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Imposition de l’économie numérique : les propositions de l’OCDE soulèvent des inquiétudes

L’OCDE a consulté les acteurs de la communauté fiscale mondiale au sujet de ses propositions sur l’imposition des opérations numériques, et CPA Canada a répondu. L’OCDE a donné suite aux commentaires reçus dans sa récente déclaration.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) mène une initiative visant à en arriver à une entente internationale au sujet de principes communs sur l’imposition de l’économie numérique, et a établi un calendrier serré pour l’obtention d’un consensus à l’égard de propositions sur des règles définitives, consensus qu’elle souhaiterait obtenir avant la fin de 2020. Les règles sont élaborées en consultation avec plus de 135 pays qui participent au Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE, lequel vise à lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (le sigle « BEPS » correspond à « Base Erosion and Profit Shifting »).

Comme nous l’avons indiqué dans un récent billet de blogue sur la fiscalité, l’OCDE s’emploie à établir des règles uniformes sur l’imposition des opérations transfrontalières virtuelles, effectuées en ligne, quand l’entreprise a une présence physique minime dans un territoire, ou qu’elle n’y a aucune présence. La stratégie de l’OCDE pour s’attaquer à ces problèmes repose sur deux piliers :

  • Le Pilier 1 examine de nouvelles façons de déterminer le lien (« nexus » en anglais) et la répartition des bénéfices entre les pays.
  • Le Pilier 2 porte sur une vaste proposition mondiale de prévention de l’érosion de la base d’imposition.

À l’automne 2019, l’OCDE a publié des propositions détaillées sur ces deux piliers à des fins de consultation. La période de consultation étant de trois mois, les parties prenantes ont eu peu de temps pour faire un examen détaillé de ces propositions. En réalité, elles avaient moins d’un mois pour revoir les propositions propres à chaque pilier. CPA Canada a soumis un court mémoire sur chacun des piliers pour répondre aux questions de l’OCDE et mettre en lumière certaines préoccupations générales.

L’OCDE a recueilli des commentaires approfondis dans les nombreux mémoires reçus ainsi que lors de la dernière plénière tenue pour discuter du Cadre inclusif. Le 31 janvier dernier, l’OCDE a publié une déclaration visant à confirmer l’engagement des pays membres à s’entendre sur une solution d’ici la fin de 2020. Soulignons que cette déclaration répond à certaines des préoccupations exprimées dans nos mémoires sur le Pilier 1 et sur le Pilier 2.

PILIER 1 : DES RÈGLES UNIFORMES RELATIVES AU LIEN ET À LA RÉPARTITION DES BÉNÉFICES

Dans le cadre du Pilier 1, l’OCDE propose une stratégie unifiée combinant des éléments des trois propositions présentées précédemment dans son Programme de travail publié en mai 2019 (en anglais).

Voici certaines des préoccupations générales présentées dans notre mémoire et comment la déclaration récente de l’OCDE y répond.

1. Critère de l’étendue

L’OCDE avait d’abord proposé que ces règles s’appliquent à toute grande entreprise ayant un contact direct avec les consommateurs. À notre avis, cette modalité d’application serait trop générale et plutôt floue. Par exemple, est-ce que les propositions s’appliqueraient uniquement aux entreprises qui vendent leurs produits ou leurs services numériques directement aux consommateurs, ou s’appliqueraient-elles également aux entreprises qui traitent avec des clients intermédiaires qui revendent ensuite les produits et services aux consommateurs (en laissant de côté les distributeurs)? Comment les propositions s’appliqueraient-elles à des entreprises qui ne distinguent pas leurs activités de contact direct avec les consommateurs de celles sans contact direct avec les consommateurs? 

Mise à jour de la déclaration

La déclaration de l’OCDE précise que les règles proposées ont pour but de cibler les services numériques automatisés (par exemple, les moteurs de recherche en ligne et les plateformes de médias sociaux) ainsi que les entreprises en contact direct avec les consommateurs (par exemple, les franchises et les entreprises de produits de luxe).

Selon la déclaration, la règle s’appliquerait également à toute grande entreprise en contact direct avec les consommateurs qui vend des produits de consommation indirectement par le biais d’intermédiaires. Cependant, la règle ne s’appliquera pas aux entreprises qui vendent des biens intermédiaires incorporés dans un produit final.  

Enfin, l’OCDE recommande que les entreprises ayant plus d’une branche d’activité distinguent, aux fins de l’application des règles, les branches d’activité touchées par les dispositions et celles qui ne sont pas touchées par ces dernières. Cela dit, l’OCDE n’a pas précisé comment faire cette distinction.

2. Complexité

Certains éléments des propositions – tels qu’une nouvelle règle relative au lien et l’utilisation de seuils de ventes propres à chaque pays – peuvent s’avérer trop complexes, et leur mode de fonctionnement, incertain. Par exemple, est-ce que ces seuils de ventes tiendront compte de la taille relative de l’économie de chaque pays de sorte que les plus petits pays puissent bénéficier des nouvelles règles? De quelle façon les autorités fiscales de chaque pays recevront-elles les données sur les ventes locales pour déterminer si les règles s’appliquent à l’entreprise en question? 

Mise à jour de la déclaration

L’OCDE entend rendre les règles et les exigences d’observation aussi simples que possible, mais n’a pas indiqué comment cet objectif serait atteint. Bien que la complexité des règles demeure une préoccupation, l’organisation a donné des précisions concernant les nouveaux droits d’imposition et la référence à des seuils de ventes. L’OCDE suggère d’avoir recours à divers seuils de ventes pour faire en sorte que les fardeaux d’observation soient fonction des avantages attendus (par exemple, le seuil existant de 750 millions d’euros de ventes utilisé pour la présentation des informations pays par pays). La déclaration comprend également des exceptions sectorielles, notamment pour les industries extractives et pour nombre de services financiers.

3. Recours à des experts en normalisation

Les méthodes envisagées pour la répartition des bénéfices utilisent des informations financières fondées sur les principes comptables généralement reconnus (PCGR). Ainsi, pour veiller à l’efficacité de ces méthodes, l’OCDE aurait tout intérêt à collaborer avec un groupe rassemblant tant des fiscalistes que des experts en normes comptables. Il est difficile de savoir si cela a été fait. 

Mise à jour de la déclaration

Selon son Programme de travail révisé, l’OCDE entend faire appel à des experts techniques pour explorer ces questions.

4. Recours à un mécanisme de règlement des différends

Comme les propositions vont au-delà des règles fiscales internationales traditionnelles, il faudra penser à une nouvelle approche pour éliminer la double imposition et à un mécanisme efficace de règlement des différends à l’égard de plusieurs éléments proposés. 

Mise à jour de la déclaration

L’OCDE sait qu’il est important d’éliminer la double imposition et d’instaurer un mécanisme efficace de règlement des différends. Pour aborder la double imposition, l’OCDE propose de créer un processus multilatéral obligatoire et contraignant. D’ailleurs, la déclaration présente certaines des méthodes envisagées, notamment la mise en place de crédits d’impôt étranger, de déductions et d’exonérations fiscales.

L’OCDE a également annoncé que le recours facultatif à des régimes de protection, tel que proposé par les États-Unis, sera examiné. Selon cette formule, les entreprises pourraient choisir d’être assujetties au Pilier 1. Cependant, cette orientation soulève un certain nombre de questions qui pourraient rendre difficile l’atteinte d’un consensus.

PILIER 2 : PROPOSITION GLOBALE DE LUTTE CONTRE L’ÉROSION DE LA BASE D’IMPOSITION (« GLOBE ») 

Cet ensemble de propositions vise à atténuer le risque que les multinationales déplacent leurs bénéfices vers des territoires où les taux d’imposition sont les plus faibles. Voici certaines des préoccupations générales que nous avons soulevées dans notre mémoire.

1. Utilisation des états financiers établis selon les PCGR pour déterminer la base d’imposition

Dans le cadre du Pilier 2, les PCGR sont utilisés dans le calcul de la base d’imposition, ce qui renforce nos préoccupations générales soulevées à l’égard du Pilier 1. Nous nous demandons si cette méthode est la mieux adaptée au but visé. Que les états financiers soient fondés sur les IFRS ou sur d’autres formes de PCGR, ils sont principalement conçus pour répondre aux besoins des investisseurs, prêteurs et autres créanciers aux fins de la prise de décisions d’investissement, et non pas pour aider les gouvernements à déterminer le bénéfice imposable.

2. Vérification

On ignore comment les autorités fiscales arriveraient à confirmer les montants des bénéfices imposables. Il se peut notamment qu’elles n’aient pas les compétences comptables nécessaires pour confirmer si les bénéfices mondiaux ont été calculés correctement selon les PCGR. La situation pourrait fort bien se présenter si les PCGR utilisés sont ceux d’un pays étranger.

3. Coûts de conformité

L’OCDE devra réfléchir attentivement au seuil à choisir pour s’assurer que les propositions s’appliquent uniquement aux entités en mesure d’absorber l’augmentation subséquente des coûts de conformité. 

La déclaration de l’OCDE aborde brièvement l’état d’avancement des travaux liés au Pilier 2; on y souligne que des progrès notables ont été accomplis dans l’atteinte d’un consensus. Cependant, la liste des questions à résoudre de l’OCDE révèle qu’il reste encore un travail considérable à mener en ce qui concerne les éléments conceptuels clés des règles proposées.

PROCHAINES ÉTAPES ENVISAGÉES PAR L’OCDE

La déclaration de l’OCDE fait également le point sur les prochaines étapes et sur l’échéancier à suivre pour en arriver à une entente mondiale sur un ensemble de règles définitives. Voici un aperçu des étapes envisagées :

  • Au cours de 2020, les organes subsidiaires de l’OCDE procéderont à des analyses techniques et formuleront des observations sur la faisabilité d’une mise en place des règles proposées et sur leurs retombées; ils mèneront également des analyses économiques et réaliseront des études d’impact.
  • Le comité directeur du Cadre inclusif et les organes subsidiaires collaboreront afin d’arriver à une entente entre les pays membres du Cadre inclusif sur les principales dispositions d’une solution propre au Pilier 1 d’ici juillet 2020. Une entente sur les autres dispositions sera parachevée d’ici novembre 2020.
  • Les organes subsidiaires poursuivront leurs travaux pour résoudre les enjeux clés à l’égard des propositions relatives au Pilier 2 présentées dans la déclaration.
  • Les pays membres du Cadre inclusif auront alors jusqu’à la fin de 2020 pour s’entendre sur une solution consensuelle sous forme définitive, et, à cette étape, le comité directeur du Cadre inclusif publiera un rapport contenant toutes les particularités techniques.

Nous continuerons à assurer le suivi des travaux de l’OCDE et à participer au débat mondial sur l’adoption de principes efficients, efficaces et équitables en matière d’imposition de l’économie numérique. Nous veillerons aussi à offrir notre point de vue et nos conseils au ministère des Finances du Canada et à l’Agence du revenu du Canada lorsque viendra le temps d’adopter les recommandations définitives de l’OCDE ici au Canada.

POURSUIVONS LA CONVERSATION

Avez-vous d’autres préoccupations d’ordre pratique en ce qui a trait aux propositions de l’OCDE et à leurs incidences possibles sur les multinationales présentes au Canada? Nous vous invitons à publier un commentaire ci-dessous.

Le blogue sur la fiscalité de CPA Canada se veut un forum d’échange sur les politiques fiscales et les enjeux en matière de fiscalité, et leur incidence sur les fiscalistes. Vos commentaires peuvent influer sur les prises de position adoptées par CPA Canada au nom de l’intérêt public.

Avertissement

Les opinions et les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l’auteur et ne représentent pas nécessairement ceux de CPA Canada.