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Illustration de l'homme et de la femme grimpant une pile de billets de 20 $
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Magazine Pivot

Instaurer une allocation universelle : une idée loin d’être saugrenue

Plusieurs pays y songent, et pour des raisons qui vont bien au-delà de la pandémie.

Illustration de l'homme et de la femme grimpant une pile de billets de 20 $Instaurer une allocation universelle de 500 $ par mois coûterait 228 G$ par an au gouvernement. (Illustration Leeandra Cainci)

La pandémie a eu des répercussions majeures sur la santé publique et sur l’économie. La relance, opération délicate, démarre avec lenteur, mais, vu la montée du chômage et la chute du PIB qui ont fracassé les records des récessions passées, de délicates questions se posent sur les mesures à prendre pour soutenir ménages et entreprises. Alors, comment donner une impulsion à l’économie et aider les sans-emploi à réintégrer le marché du travail? Comment protéger les citoyens vulnérables contre d’autres bouleversements? 

Pour certains, un revenu universel serait la solution. Si les Canadiens touchaient une allocation leur assurant un revenu minimal garanti, ils bénéficieraient d’une hausse immédiate de leur pouvoir d’achat, hausse qui apparaît indispensable. Selon le Conseil de l’information sur le marché du travail, près des deux tiers des quelque trois millions de personnes qui ont perdu leur emploi dans le sillage de la pandémie se retrouvaient parmi les travailleurs les moins rémunérés, c’est-à-dire ceux à qui une allocation universelle serait destinée. Ce revenu minimal, qui leur permettrait de subvenir à leurs besoins fondamentaux, les protégerait contre l’instabilité économique.

Une solution qui ne ferait que des gagnants? De l’avis de certains, la Prestation canadienne d’urgence (PCU) représente un grand pas dans cette direction. Alors, pour remettre sur pied notre économie mal en point, faut-il pérenniser ce programme? 

Précisons que la PCU n’a rien d’une allocation universelle. Complexes, nuancés, les programmes de revenu universel? Absolument, quoi qu’en disent certains de leurs adeptes. Il s’agit de verser une prestation permanente aux particuliers, sans aucune condition; l’avoir et les revenus, tout comme l’employabilité, n’entrent pas ici en ligne de compte. À l’opposé, la PCU, temporaire, est assortie d’un seuil minimal de perte de revenu d’emploi. S’il n’a pas perdu son emploi ou si son revenu n’a pas baissé suffisamment, un particulier n’y est pas admissible.

À noter, selon un rapport publié en juin par l’Agence du revenu du Canada, environ 190 000 Canadiens ont dû rembourser leurs prestations au titre de la PCU en raison de leur inadmissibilité. Le programme a connu un franc succès, mais ne nous leurrons pas : il ne s’agissait que d’une mesure supplémentaire de soutien destinée à une population à risque, un peu comme le Supplément de revenu garanti ou l’Allocation canadienne pour enfants. Si le gouvernement rendait la PCU permanente, afin de soutenir l’économie, il raterait sa cible; la mesure ne permettrait pas d’aider tous ceux qui en auraient besoin.

Pour offrir un programme d’allocation universelle sans trop dépenser, l’État devrait exclure des personnes qui en ont besoin, ce qui est contraire aux principes mêmes d’une telle démarche.

Au sens large, dans l’évaluation des retombées positives, certains, fermement convaincus, tiennent pour indéniables les avantages d’une allocation universelle. De nombreux gouvernements – Suède, Finlande, Espagne, Royaume-Uni, États-Unis, Ontario, Manitoba et Québec – ont lancé des programmes pilotes ou sollicité l’avis d’experts sur le sujet. La plupart des études ont démontré les effets positifs de l’allocation universelle, et ce, dans différentes sphères, qu’il s’agisse de la santé mentale, physique, financière ou communautaire. Et compte tenu de son piètre état, l’économie en bénéficierait grandement. 

Là où le bât blesse, c’est que même si leurs avantages sont connus, les programmes d’allocation universelle sont difficiles à mettre en œuvre. 

Première embûche : l’admissibilité. En théorie, tout le monde y a droit, mais verser 500 $ par mois à 38 millions de Canadiens coûterait 228 G$ par année. Or, l’an dernier, les recettes du gouvernement fédéral s’élevaient à 332,2 G$. Donc, pour fournir aux citoyens un revenu de base qui ne répond pas réellement à leurs besoins fondamentaux, le gouvernement serait obligé d’augmenter considérablement ses recettes.

Pourrait-on envisager de verser l’allocation aux 20 % des Canadiens les plus démunis? Certes, la prestation serait plus élevée, mais cette solution soulèverait une autre question : une personne qui dépasse d’un seul et simple dollar le seuil établi ne mériterait-elle pas, elle aussi, cette prestation?

Par conséquent, pour offrir un programme d’allocation universelle sans trop dépenser, l’État devrait exclure des personnes qui en ont besoin, ce qui est contraire aux principes mêmes d’une telle démarche.

J’ai omis un aspect clé du débat. En théorie, notre société bénéficierait du regroupement des programmes visant à soutenir les personnes à faible revenu, pour simplifier leur administration; et le versement d’une aide financière directe faciliterait les choses. À en croire les partisans de l’allocation universelle, en regroupant ces mesures, disparates et ruineuses, le gouvernement serait à même de réaliser des économies et d’offrir un programme d’allocation universelle plus inclusif.

Cette proposition peut sembler logique. Toutefois, si l’éventail des programmes paraît disparate, ce qui est en cause, ce n’est pas l’inefficacité gouvernementale, mais plutôt le fait que la situation des personnes à faible revenu varie d’un prestataire à l’autre. 

Par exemple, si une personne à faible revenu atteinte d’une incapacité physique a besoin d’un fauteuil roulant, le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées lui permettra d’obtenir une aide supplémentaire. L’allocation universelle, si elle ne couvre pas le coût d’un fauteuil roulant, va créer une injustice : quelqu’un dont les besoins sont plus grands en raison d’une incapacité physique recevra la même somme qu’une personne qui ne souffre d’aucun handicap. En revanche, si l’allocation universelle en tient compte, les responsables de l’administration du programme devront évaluer la situation du prestataire atteint d’une incapacité physique. Bref, l’allocation devra évoluer en fonction des besoins de chacun.

À la racine d’une insuffisance des revenus, on peut trouver maintes causes, et diverses difficultés supplémentaires, vécues par ceux qui sont dans le dénuement, viennent compliquer les choses; alors, il se peut que les économies réalisées par le regroupement des différents programmes ne soient pas à la hauteur des attentes.

Je suis convaincu qu’un jour, le Canada offrira une allocation universelle. Compte tenu de la hausse des inégalités, de l’augmentation des risques causée par l’automatisation et de l’essor de l’économie de la pige, la décision s’impose, plus que jamais, pour protéger les plus vulnérables. Cependant, pour que le geste porte ses fruits, et pour s’abstenir de jeter une ombre sur l’idée dans son ensemble, les intervenants devront faire preuve d’ouverture et éviter de mêler la question au débat actuel sur la relance de l’économie.

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