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Portrait du PDG de Coveo, Louis Têtu
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Magazine Pivot

Louis Têtu propose des outils pour rivaliser contre les géants des technos

Maîtrise des données et de l’IA en main, quelques titans contrôlent le jeu. Un audacieux veut renverser la vapeur.

Portrait du PDG de Coveo, Louis TêtuLouis Têtu, PDG de Coveo (Photo Guillaume Simoneau)

Il y a vingt-cinq ans, Jeff Bezos osait ouvrir une librairie en ligne dans son garage. David contre Goliath (Barnes & Noble). En janvier dernier, l’action d’Amazon s’envolait, et l’entreprise se hissait au premier rang des sociétés cotées; Bezos devenait le nouveau Goliath.

Louis Têtu, lui, vend des lance-pierres aux effrontés qui ont l’audace de faire la guerre aux géants de la techno. Au gouvernail de la québécoise Coveo, il leur propose, à eux qui n’ont ni développeurs ni spécialistes des données, l’arsenal qui a propulsé Amazon dans les hautes sphères : apprentissage machine, analyse de données, détection d’intention, traitement du langage naturel. « Les entrepreneurs entendent emboîter le pas à Amazon et tenir tête à Netflix, à Uber ou à Wayfair. Et Coveo, qui surfe sur la vague, démocratise le recours aux données et à l’IA. »

Si Coveo prend de l’altitude, c’est qu’elle valorise la fluidité, et le consommateur en redemande. Hier, Ford révolutionnait la production en série, et Walmart, la distribution alimentaire en grande surface, mais les poids lourds d’aujourd’hui priorisent la commodité. Aussitôt dit, aussitôt fait. Vos désirs sont des ordres. Uber n’a pas inventé le taxi, mais simplifié le geste d’en commander un; Amazon n’a pas inventé le grand magasin, mais abaissé les prix, élargi le choix et accéléré la livraison. Alexa se tient prête à prendre la commande.

Les services se simplifient au rythme de la fréquentation, car les algorithmes d’apprentissage passent au crible nos moindres clics pour combler nos attentes et devancer nos souhaits. (À preuve, 35 % des achats sur Amazon et 80 % des visionnements sur Netflix découlent de recommandations personnalisées.) « Grâce aux entreprises de pointe, on trouve de tout à toute heure. C’est cette facilité qui départage les gagnants des perdants. Ce qui compte, ce n’est pas tant le produit que la fluidité du geste de consommation. »

Pour rester dans la course et, espérons-le, prendre une longueur d’avance, l’entreprise exploitera les données et l’IA. Du sur-mesure convivial, à toute allure, c’est incontournable de nos jours. Sinon, adieu les bonnes affaires. Un client ne trouve pas son bonheur sur vos rayons? Vite, le téléphone, et voilà l’achat conclu ailleurs, en ligne, au nez et à la barbe de vos commis.

Pour rivaliser avec des colosses comme Amazon, il faut des ressources. Du savoir-faire aussi. M. Têtu, qui propose aux entreprises de s’outiller pour passer dans la cour des grands, les invite à offrir une expérience numérique fluide, grâce à un logiciel fédérateur. Les organisations s’embourbent dans les plateformes : CRM, ECM, CMS, BPM. De quoi y perdre son latin. Difficile de maîtriser ces outils et d’élucider les données qu’ils recueillent. Or, Coveo intervient comme charpente unificatrice, explique M. Têtu : « C’est la couche logicielle qui relie tous les points, d’où une hyperpersonnalisation de l’expérience. »

« Il faut monter au front, c’est une question de survie. Blockbuster a succombé, Netflix a triomphé. »

Au cœur de Coveo, un moteur de recherche. Tapez un mot-clé, une question, et l’outil fouillera les moindres recoins numériques d’une organisation – courriels, bases de données, catalogues, documents publics et privés, pages Web, listes d’acronymes – pour dénicher la réponse. Le moteur aiguillera le CPA vers une obscure disposition fiscale, le client désorienté vers une solution éclairante, l’acheteur en ligne vers le produit parfait. Comme Amazon et Netflix, il apprend au fur et à mesure, trace le portrait-robot de l’utilisateur et affine ses prédictions, recherche après recherche.

Tous les regards se sont braqués sur l’entreprise de Québec en novembre 2019, quand OMERS Growth Equity, le groupe de capital-investissement du Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario, a collecté 227 M$ pour lui donner des ailes. Un investissement à inscrire dans les annales, qui fait de M. Têtu l’un des rares chefs d’entreprise à avoir dirigé successivement deux sociétés qui pèsent plus d’un milliard de dollars. (Pour s’emparer de Taleo, Oracle a versé 1,9 G$ US.) « Louis et ses coéquipiers, qui ont senti le vent tourner, ont décidé de prendre les devants et de bâtir une technologie d’avant-garde », souligne Mark Shulgan, directeur général d’OMERS Growth Equity.

Coveo compte environ 1 500 clients, qui exploitent sa plateforme logicielle, désormais indispensable pour livrer bataille, selon M. Têtu. Qui sont-ils? Certains des Quatre Grands et même CPA Canada sont de la partie; les tarifs annuels s’échelonnent entre quelques dizaines de milliers de dollars et quelques millions de dollars. « Il faut monter au front, c’est une question de survie. Blockbuster a succombé, Netflix a triomphé. »

Louis Têtu assis sur une chaise au bureau de Coveo à QuébecLouis Têtu dans les bureaux de Coveo à Québec (Photo Guillaume Simoneau)

Lois Têtu dirige une entreprise de logiciel-service que fréquente une multitude d’abonnés. L’infonuagique, c’est lui. Un concept qui reste abstrait, voire incompris. Et il le sait. L’an dernier, à une conférence organisée par Coveo, il a évoqué les parcours de recherche des clients, entre autres sujets pointus, et a admis, sourire en coin : « Comme sujet de conversation devant un verre, c’est un peu aride. » Comment décrire ce chef d’entreprise? Il est plutôt du type Rolex et boutons de manchettes que jeans et coton ouaté. À ses heures de loisir, on peut aussi bien le retrouver aux commandes d’un hélicoptère qu’en train de dévaler les pentes de ski avec son épouse, Louise.

Si ce battant de 55 ans dit « nous », c’est qu’il parle au nom de son équipe de direction. Ses compagnons d’armes depuis 30 ans, Guy Gauvin, chef de l’exploitation, et Jean Lavigueur, CPA, chef des finances, conjuguent audace et intégrité. Le trio a bâti deux entreprises d’envergure, mais il leur a fallu traverser le désert, explique M. Lavigueur, qui décrit Louis Têtu comme un stratège doué, dont les décisions reposent sur des faits, sans égard à la hiérarchie. À trois, ils ont survécu à l’éclatement de la bulle technologique des années 2000 en décrochant un investissement de Bain Capital, et Coveo a traversé la dernière récession malgré la fin brutale, en 2009, de son partenariat avec Microsoft, qui lui apportait l’essentiel de son chiffre d’affaires. Un pour tous, tous pour un. « S’ils s’en vont, je m’en vais, un point c’est tout, lance M. Têtu. Je ne travaille pas sans eux. »

Outre son siège social de Québec, Coveo est présente à San Francisco, à Londres et à Montréal. Louis Têtu, cadet d’une fratrie de cinq, a grandi à Québec. Précoce, il saute deux années scolaires, et obtient à 20 ans un baccalauréat en génie mécanique de l’Université Laval (il devient alors le plus jeune des membres de l’Ordre des ingénieurs dans sa spécialité).

Après un an au programme de formation en gestion de Bell, le jeune homme décide que ce n’est pas sa voie : « Grimper les échelons un à un, l’idée ne me disait rien. » À 23 ans, il démissionne et choisit de travailler aux côtés de son frère aîné pour lancer le Groupe Berclain, qui crée des logiciels d’automatisation de la planification en usine. « Il fallait tâtonner, se débrouiller », confie-t-il. Cinq ans s’écoulent, et voilà que Berclain compte des centaines d’employés sur quatre continents. Boeing et John Deere figurent parmi ses clients.

Après l’acquisition de Berclain par la néerlandaise Baan, les deux frères s’attellent à un chantier tout neuf et lancent Taleo, plateforme de recrutement numérique. En 2005, sous la direction de Louis Têtu, Taleo a grandi : un millier d’employés dans une quarantaine de pays, des centaines de clients au palmarès Fortune 500. 

Après l’entrée en Bourse de l’entreprise, le conseil d’administration suggère à M. Têtu de vivre dans la Silicon Valley, mais celui-ci décide plutôt de rester président du conseil tout en cédant sa place comme chef de la direction (il choisit lui-même son successeur). Il installe ses pénates à Toronto, pour que ses trois adolescents grandissent dans une ville cosmopolite et multiculturelle. Aujourd’hui, ils sont chez eux à Londres, Dublin ou Montréal.

En 2012, quand Oracle a acquis Taleo, M. Têtu avait des visées sur une autre jeune pousse, Coveo, à qui il avait apporté des capitaux comme investisseur providentiel, en 2008. Vu que l’entreprise se développait, les membres du conseil d’administration et son fondateur (Laurent Simoneau, un autre entrepreneur de Québec) ont invité M. Têtu et son équipe à monter à bord. « De sacrées montagnes russes, mais on s’est piqués au jeu », raconte M. Lavigueur.

Coveo aide les décideurs à s’y retrouver face à un flux de données sans cesse renouvelé.

Mais que fait Coveo, au juste? À l’instar d’Amazon, elle se positionne en intermédiaire. Ainsi, à Seattle, Tableau, spécialisée en visualisation des données, s’appuie sur la plateforme pour aider ses clients à résoudre eux-mêmes leurs problèmes en ligne, ce qui réduit le nombre d’appels au soutien technique et génère des économies d’environ 18 M$ par an. Pour Acuity Brands, d’Atlanta, Coveo fournit un portail d’interrogation sur 5 000 produits, 32 marques et 14 sites Web. M. Lavigueur ajoute que les cabinets de comptabilité ont recours à la plateforme pour éplucher des sources disparates : feuilles de calcul, états financiers, lettres, règlements, jurisprudence, lois fiscales de divers ressorts territoriaux. « Les fiscalistes sont appelés à digérer une masse de renseignements sans cesse renouvelée, pour offrir une plus-value au client. Comment s’y retrouver, face à cette mer de données? »

Coveo prend aussi soin de donner un sens aux mille et une traces que laissent ses clients (visites, visualisations, clics), toutes regroupées et anonymisées, puis distillées par des algorithmes d’apprentissage pour optimiser les fonctionnalités. À noter, le directeur à la sécurité de l’information et le directeur à la protection des données veillent entre autres au respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne.

Qui sont les concurrents de Coveo? Le cabinet de recherche Gartner répond : Lucidworks, de San Francisco, qui a recueilli 100 M$ en août pour développer son moteur d’analyse Fusion, alimenté par l’IA. Et aussi Mindbreeze, filiale du géant autrichien Fabasoft, dont la plateforme InSpire a été applaudie par les clients, précisait Gartner en 2019 : « Dans un marché en ébullition, les fournisseurs sont à même de se différencier. »

L’investissement d’OMERS aidera Coveo à se hisser en tête du peloton, espère Louis Têtu, qui voit grand et entend embaucher 270 personnes, pour porter l’effectif à 750. Du sang neuf affecté à la recherche-développement et à la création d’applications. « Coveo s’adapte à pratiquement tous les secteurs », soutient M. Shulgan, qui signale que le jour où M. Têtu a présenté son argumentaire à OMERS, il a piqué la curiosité des investisseurs présents. « C’était remarquable, les idées fusaient. Coveo n’a défriché que quelques parcelles d’un immense territoire. »

M. Têtu le reconnaît, la pandémie de COVID-19 pourrait entraver la croissance à court terme de son entreprise. Il entend protéger la santé des employés, veiller à leur sécurité d’emploi et fournir un service impeccable aux clients. Mais il se préparait depuis longtemps à saisir les occasions au vol : l’entrepreneur a toujours eu l’intention d’utiliser les fonds d’OMERS pour faire des acquisitions en cas de fléchissement du marché. « Coveo pourrait servir de port d’attache aux entreprises en mauvaise posture après la crise. J’essaie de faire la part des choses et de garder les pieds sur terre, mais je crois que Coveo avance à grands pas. » Le David d’hier sera peut-être le Goliath de demain.

DÉVELOPPER SES COMPÉTENCES

Pour en savoir plus sur l’IA et l’impact que cette technologie pourrait avoir sur votre travail, consultez les publications de CPA Canada, Introduction d’un CPA à l’IA : des algorithmes à l'apprentissage approfondi et En quoi les mégadonnées et l’IA transforment-elles la comptabilité et la finance?