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Une femme et un homme dans un bureau regardant ensemble des documents papier.
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Durabilité

Les informations EDI des entreprises, encore largement partiales

Une CPA spécialiste du traitement du langage naturel explique pourquoi la présentation d’informations liées à l’équité, la diversité et l’inclusion n’est pas aussi transparente qu’on le pense.

Une femme et un homme dans un bureau regardant ensemble des documents papier.Le traitement du langage naturel permet de se demander : de quoi ce document parle-t-il exactement? comment l’information est-elle présentée? (Getty Images/shapecharge)

Les rapports annuels des organisations présentent de plus en plus d’informations sur les politiques liées à la diversité et à l’invalidité. Si leur formulation semble souvent pleine de sens, elle n’en demeure pas moins très partiale, constate Jacqui Gagnon, professeure adjointe et chargée de recherche à la Hill School of Business et à la Levene Graduate School of Business de l’Université de Regina.

À l’aide du traitement du langage naturel (Natural Language Processing en anglais), la CPA explore la répétition de formulations apparemment inoffensives afin d’y découvrir des tendances qui contribuent à perpétuer des stéréotypes et des partis pris inconscients.

Elle reviendra sur le fruit de ses recherches lors du Symposium sur les facteurs ESG, organisé par CPA Canada.

CPA Canada : D’où vient votre intérêt pour le traitement du langage naturel et comment cela fonctionne-t-il?
Jacqui Gagnon (JG) : Mes motivations sont doubles : personnelles d’abord, puisque j’ai un enfant noir et un enfant handicapé, mais aussi professionnelles, puisqu’en voyant des organisations peiner à employer des formules témoignant d’une sensibilité sociale, je souhaite les aider à se pencher sur ces questions, entre autres pour ce qui est des personnes handicapées.

Mes recherches reposent sur l’utilisation du traitement du langage naturel, qui associe linguistique, informatique et intelligence artificielle. Concrètement, il s’agit de sélectionner de grands échantillons de données de façon informatisée afin d’y examiner des mots dans leur contexte. Dans mon cas, les 150 mots qui précèdent et qui suivent.

On se rend alors mieux compte de la façon dont les organisations présentent certaines questions (le propos, le langage employé, la véritable signification des termes), ce qui est impossible lorsqu’on examine un document à la fois. À force d’être répétées ici et là, ces formulations finissent par modifier notre perception de certains enjeux.

CPA Canada : Pouvez-vous nous donner des exemples de formulations que vous jugez partiales?
JG : Imaginons une offre d’emploi avec la mention « les candidats seront traités équitablement selon leur mérite, sans égard à leur race, leur sexe, leur état matrimonial, etc. ». La phrase peut sembler aller de soi, mais formulée ainsi, elle établit un lien entre mérite et diversité, et laisse penser que les personnes présentant des caractéristiques diverses n’ont peut-être pas leur chance.

Et puis, qu’est-ce que le mérite? Est-ce l’éducation? La formation? L’expérience? Seuls ceux qui ont le pouvoir le savent.

L’autre chose, c’est l’usage de formules du genre « sans égard à », comme si les institutions étaient neutres, alors qu’elles laissent des préjugés humains structurels et inconscients teinter leurs décisions. Autant l’admettre : c’est difficile d’être impartial.

Les textes sur l’invalidité reproduisent quant à eux souvent le libellé des lois, ce qui allonge inutilement le jargon au détriment d’informations concrètes.

CPA Canada : Pourquoi la présentation d’informations sur la diversité et l’invalidité revêt-elle tant d’importance actuellement?
JG : Parce qu’on peut faire nettement mieux. Pour beaucoup d’organisations, cette communication reste une posture. Afin de bien paraître, elles reproduisent dans leurs rapports des formules passe-partout, comme si elles cochaient des cases. Elles font ce qu’on appelle du socioblanchiment.

Les lois exigeant la présentation d’informations sur la diversité et l’invalidité sont pourtant plus nombreuses qu’avant. Et puis les questions de responsabilité sociale sont essentielles, car elles entraînent des répercussions sur les employés, mais aussi sur la société dans son ensemble. S’attaquer au langage institutionnel est donc un excellent point de départ.

CPA Canada : Que conseillez-vous pour changer les choses?
JG : Personne ne s’attend à ce que les organisations aient tout ce qu’il faut pour réussir du premier coup, mais elles doivent agir avec honnêteté

Plutôt que de sous-entendre « nous ne faisons pas ceci ou cela », les organisations doivent admettre « nous avons ces partis pris et voici comment nous les combattons ». Comment? En quantifiant les choses, par exemple : combien d’employés d’origines ethniques ou raciales diverses travaillent dans l’organisation? combien de personnes handicapées? à quels types de postes?

Il faut combiner aussi les données. Le nombre de travailleurs handicapés par sexes est une donnée très importante, par exemple, si on veut livrer un rapport honnête. C’est ainsi qu’on peut changer les choses : en sachant d’où on part et où on veut aller, pour mieux cibler les mesures à prendre pour y parvenir.

CPA Canada : Quelles sont les autres utilisations possibles du traitement du langage naturel?
JG : Le traitement du langage naturel permet de mettre en valeur beaucoup d’informations liées à la responsabilité sociale des organisations – au sujet de la rémunération, par exemple. On peut, en examinant des rapports annuels, se demander : de quoi ce document parle-t-il exactement? comment l’information est-elle présentée? Il permet aussi de recouper ce que disent les organisations avec ce qu’en pensent ceux qui y travaillent, qu’ils soient aptes physiquement ou qu’ils souffrent d’un handicap.

Dans notre société, beaucoup de gens n’ont pas les compétences nécessaires pour lire des rapports financiers. Grâce au traitement du langage naturel, on peut voir les passages problématiques et aider les organisations à rendre leurs rapports à la portée du public en général. Le rapport annuel fait le lien entre l’information financière auditée et les commentaires formulés par la direction, ce qui en fait un outil tout indiqué pour favoriser une communication honnête et volontaire. Or, trop souvent, les commentaires de la direction sont longs et denses. En résumé, plus nous serons en mesure de présenter des informations claires au public, meilleure sera la reddition de comptes.

Avant d’être enseignante-chercheuse, j’ai moi-même travaillé en cabinet. Je sais que les défis à relever y sont nombreux, mais j’y vois aussi l’occasion pour les organisations de faire un grand pas en avant. Le moment n’a jamais été aussi propice.

EN SAVOIR PLUS

Pour en apprendre davantage sur la communication d’informations relatives aux enjeux sociaux, voyez ces outils : ESG : les organisations (et les CPA) ont le « S » dans la mire et L’importance croissante du volet social : introduction aux aspects sociaux des enjeux ESG. Voyez aussi ces orientations : Incidences sur les entreprises des grands enjeux environnementaux et sociaux, Façons dont les CPA peuvent mener des initiatives ESG et Environnement, société et gouvernance, une stratégie à bâtir pour les petits et moyens cabinets.