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Yvon Chouinard, fondateur de Patagonia
Articles de fond
Magazine Pivot

Adopter des objectifs axés sur les valeurs : un choix qui rapporte

Contrairement à ce que pensent certains, concilier diversité et rentabilité n’a rien d’impossible. En voici la preuve.

Yvon Chouinard, fondateur de Patagonia, est assis parmi des vêtements de son entreprise et regarde l'appareil photoYvon Chouinard, fondateur de Patagonia, a annoncé qu’il fera don de son entreprise pour lutter contre les changements climatiques. (Getty)

Pourfendre les préjugés sur les rondeurs du corps, encore aujourd’hui parfois mal vues, voilà la mission que s’est donnée Marnie Rabinovitch Consky, fondatrice de Thigh Society, qui offre aux femmes une gamme de sous-vêtements moulants, sur le principe du short tout confort, qu’on enfile pour dire adieu aux cuisses qui frottent. La confection de grandes tailles revient plus cher? Qu’à cela ne tienne, l’entreprise se fait un devoir de proposer les mêmes gammes de prix dans tout l’éventail des tailles. Discriminer, pas question.

« Je préférerais de loin que nos marges en prennent un coup plutôt que de faire payer le prix fort à la clientèle. Bien dans sa peau, bien dans son corps, silhouette longiligne ou formes généreuses, toute femme est belle. » Un credo qui fait oublier le culte de la minceur et la dictature des régimes.

Marnie Rabinovitch Consky n’est pas la seule à avoir fait le choix de l’éthique. Aux États-Unis, après l’abrogation en juin de l’arrêt Roe c. Wade, des colosses comme Apple, Netflix, Disney, J.P. Morgan, Levi Strauss et Microsoft ont renforcé la couverture offerte aux femmes pour préserver l’accès aux soins de santé reproductive.

Tout autre domaine mais même principe, Yvon Chouinard, fondateur du géant des vêtements techniques Patagonia, vient d’annoncer, avec l’aval de sa femme et de leurs deux enfants, qu’il ferait don de l’entreprise, valant 3 G$, pour lutter contre les changements climatiques. Les actions avec droit de vote iront au Patagonia Purpose Trust, fiducie créée pour défendre les valeurs de Patagonia, et les actions sans droit de vote, au Holdfast Collective, OSBL en lutte contre la crise environnementale.

La planète ira mieux, mais que dire de la rentabilité? Elle se portera à merveille, semble-t-il. Les conseillers Mercer voient dans les politiques d’inclusion et de diversité ainsi que dans le combat contre les inégalités (on pense à la rémunération, aux avantages sociaux et aux assurances) de nouveaux impératifs. Aux exigences du personnel s’en ajoutent d’autres, car autorités, investisseurs, clientèle, fournisseurs, médias, tout le monde s’y met. Et puis, de la pensée plurielle à la renommée élargie et au recrutement facilité, les retombées sont là. À l’inverse, les employeurs incapables de promouvoir le mieux-être social perdront en attractivité.

Marnie Rabinovitch Consky a fondé Thigh Society en 2008, bien avant Instagram et les discours sur la réappropriation du corps. « D’emblée, j’ai voulu que la marque accueille la diversité », fait-elle valoir. Une ambition qui s’affiche sur le site Web et les campagnes de publicité de l’entreprise, où les corps en vue déclinent courbes et couleurs, et où toutes les silhouettes ou presque trouvent leur bonheur, du XS au 6XL. Même approche dans le recrutement.

Marnie Rabinovitch Consky, fondatrice de Thigh SocietyMarnie Rabinovitch Consky s’efforce de lutter contre les stéréotypes liés au corps via son entreprise, Thigh Society. (Avec l’autorisation de Thigh Society)

« Embaucher au féminin n’était pas un but en soi, mais je penchais vers une telle approche. » Il est vrai que les femmes rondes sont trop souvent critiquées, que le culte de la minceur reste une réalité, que toute une industrie s’est développée autour des régimes. « Au départ, c’est aux femmes que je proposais des sous-vêtements tout confort, d’où l’idée d’une équipe composée presque exclusivement de femmes. »

Mettre en exergue la diversité, voilà un principe qui se généralise, dans les PME et ailleurs. KPMG au Canada en a fait son cheval de bataille dès 2014, année où le cabinet a créé un conseil consacré à la diversité, à l’équité et à l’inclusion. Il s’agissait, explique Rob Davis, chef de l’inclusion et de la diversité ainsi que président du conseil d’administration, d’établir une stratégie nationale et d’encourager l’action à tous les niveaux. Depuis, la démarche a évolué : « Au-delà de la diversité dans les rangs du personnel et des associés, on veut que tout le monde se sente accueilli, à l’aise, et puisse assumer pleinement son identité dans une équipe désormais plurielle. »

Au nombre des objectifs que se donne le cabinet, certains portent sur le recrutement. KPMG aspire à renforcer la diversité parmi ses associés pour arriver à y dénombrer, d’ici octobre 2025, un tiers de femmes et un quart de personnes de couleur. S’ajoute à cela la volonté d’engager davantage de candidats issus des communautés noires et autochtones, entre autres. Une plus large représentation des personnes qui vivent avec un handicap est aussi souhaitée. Le cabinet s’est tourné vers des recruteurs spécialisés pour faire des pas en avant sur ces différents axes. Vient enfin la mise en place de « plans d’action pluriannuels pour la réconciliation avec les groupes autochtones, la lutte contre le racisme et l’accessibilité », de conclure Rob Davis.

Il n’en demeure pas moins que bâtir une marque considérée comme progressiste reste parfois un exercice périlleux, surtout quand l’organisation est en plein développement. On a vu passer ces dernières années plusieurs exemples d’entreprises montrées du doigt en raison d’une incohérence entre valeurs affichées et action concrète.

Ainsi va une certaine représentation de la femme d’affaires, image qui a fait surface dans les années 2010. Une ambitieuse qui incarnait, pour la génération montante, la carrière au féminin. Un idéal creux, osait dire Rhiannon Lucy Cosslett du quotidien anglais The Guardian, qui n’a vu dans cette féminisation d’un stéréotype arriviste qu’un leurre de parité, sous l’ombre du capitalisme. De fait, en 2013, Sheryl Sandberg, directrice de l’exploitation de Facebook, dans son manifeste féministe En avant toutes, prenait position. Pour se faire une place dans la caste de l’entreprise, l’ambitieuse doit jouer le jeu, prise au piège du pouvoir et du privilège. Et une fois arrivée au sommet, elle se retrouvera obligée de reproduire la dynamique contraignante qu’elle a elle-même subie.

Sophia Amoruso, femme d’affaires et créatrice de plateformes en ligne, a publié le récit #Girlboss en 2014. L’année suivante, elle a été attaquée en justice, accusée de faire régner une culture toxique, où l’on écartait les femmes enceintes et où les mesures d’accommodement au travail étaient refusées. Un phénomène loin d’être isolé. D’autres ambitieuses ont été épinglées. Racisme, culture toxique, pratiques abusives, les accusations se sont accumulées. Dans le collimateur, Audrey Gelman, qui a créé The Wing, lieu de travail partagé pour femmes, et Emily Weiss, icône de la série The Hills, à l’origine de la marque Glossier, qui décline soins pour le visage et maquillage.

Chez Thigh Society, la présence dans l’espace public d’enjeux inédits a infléchi la stratégie marketing. « Le discours sur la diversité de genre évolue, et l’émergence du genre non-binaire se confirme. Alors une nouvelle clientèle se profile, et nous souhaitons l’accueillir », poursuit Marnie Rabinovitch Consky. « C’est l’occasion de remplir notre mission, qui est de présenter les corps dans toute leur pluralité. » Silhouettes, origines, âges, différences, la mosaïque est là, si bien qu’au-delà du marketing, l’entreprise entend « livrer un message qui correspond à son positionnement ».

Du côté de KPMG, l’enjeu sera de maintenir la dynamique dans une conjoncture incertaine, marquée par la guerre en Ukraine, le risque de récession et la pression inflationniste, pour réussir à progresser sur la voie de l’inclusivité, une tâche de longue haleine, à ne pas perdre de vue.

Rob Davis parie sur la communication : « On discute des pas en avant, on en parle en assemblée du personnel. Du côté du recrutement, de la fidélisation des employés et des relations client, la diversité, l’équité et l’inclusion sont omniprésentes. » Pour bien communiquer, toute la hiérarchie se met de la partie. « La stratégie de diversité a été portée par les associés les plus haut placés, et sans leur soutien indéfectible, elle se serait enlisée. Bien au contraire, elle s’est enchâssée au cœur de nos valeurs. »

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