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Un homme d’affaires.
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Fin du racisme systémique : « C’est le moment d’agir », dit Wes Hall.

Le chef de la direction de Kingsdale Advisors, qui a créé l’initiative BlackNorth, discute des progrès accomplis pour ouvrir les portes qui restaient fermées pour les Canadiens noirs.

Un homme d’affaires.Wes Hall croit que si les groupes sous-représentés travaillent ensemble, ils mettront plus vite fin au problème de la discrimination. (Photo gracieuseté de Kingsdale Advisors)

Wes Hall est l’un des hommes d’affaires les plus influents au Canada. Outre son rôle de chef de la direction et de fondateur du cabinet-conseil Kingsdale Advisors, il est le président fondateur de l’initiative BlackNorth, qui vise à éliminer les obstacles systémiques auxquels se heurtent les Canadiens noirs.

Dans l’entretien qu’il accordait en 2020 au magazine Pivot de CPA Canada, l’entrepreneur a raconté son parcours, depuis ses humbles débuts en Jamaïque jusqu’à ses fonctions actuelles.

Aujourd’hui, Wes Hall fait le point sur ses initiatives récentes et, plus généralement, se penche sur les progrès réalisés pour mettre fin au racisme systémique.

CPA CANADA : Les événements de 2020 ont provoqué un pic de popularité pour des organisations comme Black Lives Matter. Et depuis que vous avez lancé l’initiative BlackNorth en 2020, plus de 500 organisations signataires ont pris l’engagement de travailler à l’élimination du racisme systémique envers les Noirs. Croyez-vous que cet élan se maintiendra?

Wes Hall (WH) : Je remarque que la communauté noire a connu des moments forts tous les 30 ans environ. Dans les années 1960, aux États-Unis, il y a eu le mouvement des droits civiques, sous l’impulsion de Martin Luther King, tué en 1968.

Je pense aussi à la brutalité policière. Nous avons vécu un autre moment clé en 1991, quand Rodney King a été battu à Los Angeles.

Puis, en 2020, George Floyd a été assassiné à Minneapolis.

Chacun de ces moments a provoqué une prise de conscience. Mais dans les années 1960 et 1990, les choses ont fini par revenir à la normale.

Cette fois-ci, nous avons réalisé que nous ne pouvions pas laisser passer ce moment. Nous devions prendre les choses en main et mettre sur pied des organisations pour aborder spécifiquement la question du racisme systémique envers les Noirs.

C’est aujourd’hui qu’il faut agir. Et je crois que le mouvement est durable, surtout grâce aux nombreuses organisations qui sont maintenant là pour garder la question au premier plan.

CPA CANADA : Outre BlackNorth, le Canada compte aujourd’hui un certain nombre d’associations et de réseaux qui soutiennent les jeunes et les professionnels noirs.

WH : Il existe de nombreuses organisations qui font un travail extraordinaire. Malheureusement, elles sont privées des capitaux dont elles ont besoin. Pour chaque tranche de 100 $ versés aux organismes de bienfaisance traditionnels au Canada, seulement 7 cents sont versés aux organismes qui se consacrent à l’avancement des personnes noires.

Mais j’ai espoir que ces 7 cents augmenteront avec le temps, car on se rend compte que ces organismes font un travail vraiment utile pour la société et pour nos entreprises.

CPA CANADA : Croyez-vous que la lutte contre le racisme systémique est en bonne voie au Canada, de façon générale?

WH : Oui, je le crois.

Auparavant, les organisations s’abstenaient de poser des questions sur l’orientation sexuelle ou l’origine ethnique. On considérait que c’était discriminatoire. Pourtant, cette approche relève elle-même d’une pensée systémique, car si on ne sait pas ce qui se passe, on ne peut pas agir.

Dans notre propre organisation, nous avons décidé de suivre le principe de l’auto-identification. Nous n’y voyons pas une atteinte au droit à la vie privée, mais plutôt une manière de valoriser l’individualité.

C’est pourquoi nous disons aux entreprises : « Rassemblez des données sur l’appartenance ethnique. »

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, on le fait déjà. En général, certains critiquent volontiers les États-Unis, mais on y fait beaucoup de choses que nous ne faisons pas. On y recueille des statistiques et on peut donc savoir combien d’entreprises dirigées par des Noirs ont vu leurs demandes d’emprunt refusées par les banques. Ou combien d’entrepreneurs noirs il y a. Au Canada, nous ne sommes pas en mesure de faire le point sur ces réalités.

Au Canada, nous ne connaissons pas le nombre de patients noirs refusés dans les hôpitaux, ou le nombre de personnes noires décédées en chirurgie en raison d’un malentendu culturel. Nous n’avons pas ce genre de données, mais aux États-Unis, elles sont recueillies.

CPA CANADA : À quelles autres initiatives avez-vous participé dernièrement?

WH : J’ai été le premier Canadien noir à endosser le rôle du « dragon » comme investisseur à la saison 16 de l’émission Dragon’s Den de la CBC, diffusée à l’automne 2021. Le tournage de la saison 17 débutera en mai, et je serai de la partie. En tant que premier dragon noir, j’ai été en position de faire l’effort conscient de favoriser les entrepreneurs autochtones, noirs et de couleur. J’ai donc vraiment hâte de retourner sur le plateau.

J’ai également été producteur délégué du documentaire Don’t Make Me Over, sur la vie de Dionne Warwick, qui est arrivé deuxième parmi les documentaires en lice au Festival international du film de Toronto, en 2021 (je siège depuis longtemps au conseil d’administration du festival). Et ma toute première biographie paraîtra en octobre 2022 sous le titre No Bootstraps When You’re Barefoot.

CPA CANADA : Quels conseils pouvez-vous offrir aux autres professionnels des groupes racisés?

WH : Chaque groupe a ses difficultés. On peut être victime de discrimination en raison de l’orientation sexuelle, ou parce qu’on est une femme, ou parce qu’on a une ascendance autochtone, qu’on est noir, ou qu’on vient d’un autre groupe racisé. Mais je crois que si ces groupes collaboraient davantage et partageaient leurs meilleures pratiques, ils pourraient résoudre beaucoup plus rapidement leur problème commun, à savoir la discrimination.

CPA CANADA : Nous espérons tous que la pandémie sera bientôt derrière nous. Croyez-vous qu’un jour le racisme systémique sera lui aussi derrière nous?

WH : La pandémie n’est peut-être pas encore derrière nous, mais nous avons désormais des vaccins. Pour le racisme systémique, nous nous appuyons aujourd’hui sur tous ces organismes qui se mobilisent afin de susciter le changement. Ce sont leurs démarches qui font office de « vaccins », en quelque sorte.

Bien sûr, ni la COVID-19 ni le racisme systémique ne disparaîtront complètement. Nous voyons la pandémie qui prend une forme endémique, progressivement, ce qui signifie que ses conséquences ne seront plus aussi néfastes.

C’est la même chose pour le racisme systémique. Grâce aux efforts que nous menons actuellement, le racisme prendra une forme atténuée, endémique, pour ainsi dire : il ne sera plus aussi destructeur qu’avant.

Mais, encore une fois, cela ne signifie pas qu’il va disparaître. Il y aura toujours des abus, et certains auront peut-être du mal à décrocher un emploi, vu la couleur de leur peau. C’est pourquoi des organisations comme BlackNorth lutteront toujours pour le changement.