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Jeune mère travaillant sur ordinateur portable à table pendant que sa fille partage un espace à l'école à domicile
Tendances

Vous vous sentez épuisé à cause de la pandémie? C’est le lot de nombreuses personnes.

Sept professionnels sur dix se disent mentalement épuisés, surtout à cause de l’empiètement du travail sur la vie personnelle et d’une charge de travail ingérable.

Jeune mère travaillant sur ordinateur portable à table pendant que sa fille partage un espace à l'école à domicileSelon la plupart des experts, la situation actuelle impose un fardeau accru aux femmes. (Getty Images/Brothers 91)

Même sans avoir vécu cette réalité, nous avons tous en tête cette image : un parent surmené tente de participer à une conférence téléphonique sur Zoom pendant qu’un bambin lui tire la jambe et qu’un ado, dans la pièce voisine, écoute de la musique à tue-tête. 

Exagération? Soit. Mais pour de nombreux professionnels qui tentent de composer avec la pandémie de COVID-19, cette image est devenue emblématique d’une situation pouvant mener tout droit à l’épuisement professionnel.

Même pour des professionnels sans enfants, le stress du surmenage se fait durement sentir. Selon une étude récente de Monster, la moitié des répondants qui télétravaillaient à cause de la pandémie disaient éprouver un épuisement professionnel. Selon une autre étude, plus de sept professionnels sur dix disaient se sentir épuisés pour diverses raisons, dont l’empiètement du travail sur la vie personnelle (26,7 %) et une charge de travail ingérable (20,5 %).

Chez certains, cet épuisement est presque palpable. « Certains de mes clients en coaching me disent qu’en cours d’après-midi, ils sont épuisés et ne peuvent plus produire un travail de qualité, révèle Eileen Chadnick, directrice de Big Cheese Coaching et auteure de l’ouvrage Ease: Manage Overwhelm in Times of Crazy Busy. Pourtant, ils ne sont pas conscients qu’ils sont à bout. »

QUI EST À RISQUE?

Selon une étude, certaines fonctions – marketing et communications, finance et comptabilité et stratégie d’entreprise – sont plus propices que d’autres à l’épuisement professionnel. Et certains affirment que cette réalité est plus répandue chez les travailleurs de 25 à 44 ans. Cela dit, personne n’est à l’abri, pas même les médecins. [Voir Je faisais une dépression et je voulais démissionner, dit le premier responsable, Promotion de la santé mentale, KPMG Canada]

Pourquoi l’épuisement professionnel est-il en hausse aujourd’hui? Après tout, ce trouble sévit en milieu de travail depuis des années. Mais il semble que la COVID-19 amplifie les facteurs de stress qui peuvent le déclencher. Une étude révèle qu’au Royaume-Uni, en France, en Espagne et au Canada, les personnes qui télétravaillent à cause de la pandémie travaillent en moyenne deux heures de plus par jour.

Jim Stanford, directeur de l’organisme Centre for Future Work, explique ainsi le phénomène : « Lorsqu’on travaille à domicile, les limites entre travail et vie personnelle s’estompent encore plus. Les employeurs s’imaginent que les télétravailleurs sont toujours à pied d’œuvre, leur ordinateur portable à portée de la main. »

Mme Chadnick le confirme : « Certains de mes clients essaient de travailler toute la journée sans arrêter. Ils croient que c’est ce qu’on attend d’eux. » Elle ajoute qu’ils ne se rendent pas compte que le télétravail efface les pauses régulières (prendre un café, converser avec un collègue) qui vont de soi au bureau. 

« Mais notre cerveau n’est pas fait pour fonctionner sans arrêt, prévient Mme Chadnick. Il est important de se ménager de courtes pauses pour marquer un temps d’arrêt et reposer ses méninges. Sans pauses, on s’expose à coup sûr à la loi des rendements décroissants. »

LES FEMMES SONT LES PLUS TOUCHÉES 

Selon la plupart des experts, la situation actuelle impose un fardeau accru aux femmes. « Même avant la COVID-19, la vie n’était pas simple pour les parents de jeunes enfants, souligne Mme Chadnick. Mais les structures existantes [dont les garderies] leur permettaient de concilier travail et vie familiale. La crise sanitaire ayant éliminé ces structures, de nombreuses femmes tentent de maintenir un équilibre précaire dans un contexte beaucoup plus difficile.

« Par exemple, les mères de très jeunes enfants tentent de boucler leur travail pendant que les petits font la sieste, car on ne peut pas dire à un enfant de deux ans qu’on s’occupera de lui dans une heure. »

Elizabeth Chaina, CPA, directrice principale de la comptabilité chez Integrated Merchandising Systems (du groupe Omnicom), en sait quelque chose. Depuis mars, elle travaille à domicile, en gardant avec elle son fils de deux ans et sa fille de six ans. Non seulement la pandémie a-t-elle accru sa charge de travail (les premiers mois ont été les plus difficiles, mentionne-t-elle), mais son fils de deux ans est trop jeune pour bien comprendre la situation, puisque toute la famille est à la maison toute la journée. « Il a du mal à comprendre pourquoi maman et papa ne peuvent s’occuper de lui, même s’ils sont là. » 

Mme Chaina ajoute que les choses se passent un peu mieux avec sa fille de six ans. « Mais il lui arrive souvent de profiter de la situation. Par exemple, elle tarde à faire ses devoirs parce qu’elle sait que maman et papa sont occupés et qu’ils ont du mal à lui imposer un horaire. »

Mme Chaina précise qu’il y a chaque mois certaines périodes où des membres de son entreprise travaillent tard, pandémie ou non. Mais au cours des derniers mois, personne n’est vraiment rentré chez soi. 

« Les soirées et les week-ends étant moins occupés, je lis mes courriels et je me mets à jour, ce qui m’aide à gérer mon stress et le fardeau accru lié au fait d’avoir à m’occuper des enfants, explique-t-elle. Pour le travail qui exige toute mon attention, je me rattrape le soir, lorsque les enfants sont couchés. » 

QUE FAIRE?

La convergence de ces conditions difficiles – réduction des services de garde, charge de travail accrue à cause de la COVID-19 et avenir incertain – amène de nombreuses personnes à réclamer la prise de mesures par les autorités publiques. Comme l’observe M. Stanford, « on ne peut invoquer la généralisation du télétravail pour reporter encore l’amélioration nécessaire des services publics de garde d’enfants. » 

L’économiste Armine Yalnizyan, fellow de la Atkinson Foundation au chapitre de l’avenir des travailleurs, partage cet avis. Selon elle, Ottawa devrait augmenter les dépenses consacrées à l’infrastructure sociale, à commencer par les garderies, afin de stimuler la relance. Les dépenses supplémentaires permettraient d’accroître le nombre d’éducatrices en garderie employées directement par l’État, ainsi que les subventions aux parents. Elles permettraient aussi de relever les normes de formation et les salaires des éducatrices en garderie.   

PARLEZ À VOTRE EMPLOYEUR  

Comme le souligne Mme Chadnick, la prévention de l’épuisement professionnel repose sur la collaboration, et les employeurs ont un rôle important à jouer en adaptant les échéanciers ou en offrant des horaires variables aux personnes qui en ont besoin.  

Mais une part de responsabilité incombe aussi à l’employé. « Si votre supérieur n’est pas au courant de votre situation, prenez les devants et parlez-lui afin de gérer les attentes », conseille Mme Chadnick. [Voir Pandemic-induced burnout: 12 ways to nip it in the bud

Mme Chaina n’a pas eu à sensibiliser son employeur, qui pratique déjà une certaine souplesse. « Pendant la pandémie, la direction a été formidable, affirme-t-elle. Elle prend vraiment à cœur notre bien-être. Naturellement, on s’attend à ce que nous gérions la charge de travail en fonction des délais et des priorités. Mes collègues ont aussi fait preuve de compréhension, sans se plaindre des heures prolongées. Ils ont veillé à ce que le travail soit fait. » 

Chez ConnectCPA aussi, la souplesse fait partie intégrante de la culture, explique Lior Zehtser, CPA et cofondateur du cabinet. « Pendant la pandémie, nous avons été fidèles à nos principes : du moment que vous effectuez le travail, vous pouvez prendre un moment dans la journée pour faire des courses ou de l’exercice sans obtenir l’approbation de la direction. Nous avons fait confiance à notre équipe dès le début, et elle ne nous a pas déçus. Nous avons aussi accordé à nos employés des services de la comptabilité et de la fiscalité une journée de congé en juin, tout en étant conscients que c’était bien peu dans les circonstances. » 

M. Zehtser ajoute que de nombreux membres de son équipe qui ont un conjoint se sont bien débrouillés. « L’un d’eux s’est même offert à toucher un salaire réduit pour une charge de travail réduite, puisque nous ne pouvions pas travailler à temps plein, et nous avons accepté. Jusqu’ici, tout se passe bien. » 

Pour sa part, Mme Chaina estime que l’épuisement professionnel la guette en permanence, pandémie ou non. « Mais mon sentiment général d’anxiété a augmenté au cours des derniers mois », avoue-t-elle.  

« Quand je me sens débordée, je prends un moment de recul et je réfléchis à ce qui me reste à faire. Puis, j’évalue ce que je peux retrancher, modifier ou reporter. C’est un moyen simple et rapide de mettre les choses en perspective, de repartir du bon pied et de passer au travers de la journée. »

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Apprenez à fixer vos limites, à établir un horaire et à diriger une équipe à distance, sans négliger les règles d’étiquette et les pratiques exemplaires à suivre lorsqu’on utilise des outils à distance comme Zoom.