Passer au contenu principal
L'artiste Jacques Descoteaux est assis dans son atelier, entouré de toiles peintes
Articles de fond
Magazine Pivot

CPA de carrière, Jacques Descoteaux a une âme d’artiste

À l’heure de la retraite, Jacques Descoteaux, CPA, a troqué ses feuilles Excel contre un chevalet et des pinceaux.

L'artiste Jacques Descoteaux est assis dans son atelier, entouré de toiles peintesSelon Jacques Descoteaux, les carrières de CPA et d’artiste requièrent toutes deux structure, discipline et curiosité. (Photo Claudine Baltazar)

Pendant des années, le peintre torontois Jacques Descoteaux, né à Montréal, se disait comptable de jour et artiste de nuit. Les choses ont changé en 2015, l’année de sa retraite, après 26 ans chez Honda Canada, où il a occupé divers postes en finances.

Aujourd’hui, après une « double carrière », l’homme s’investit aussi à titre bénévole pour certains organismes « dans le domaine de la justice sociale et dans le monde de l’art », apprend-on sur son site Web. Désormais artiste de jour, comptable de nuit, il navigue entre deux réalités.

De prime abord, les deux passions de Jacques Descoteaux étonnent par leur côté contrastant, l’une régie par les règles immuables des mathématiques et des bilans, et l’autre, menée par l’interprétation, voire l’expérimentation.

« Éblouie par son talent, j’ai été prise de court quand il m’a confié qu’il avait eu une belle carrière comme CPA », explique son amie de longue date, l’artiste Janet Read. « Entre chiffres et couleurs, le mariage n’a rien d’impossible, mais il n’est pas courant. »

Jacques Descoteaux n’est pas de ces créateurs minutieux, issus de l’univers des sciences, où domine l’approche analytique, enclins à peindre des miniatures, obsédés par la nécessité de capturer les moindres détails.

« Certains s’intéressent à l’hyperréalisme, tandis que Jacques, lui, vise à véhiculer des émotions, à susciter une réaction, pour aller au-delà du visible », conclut-elle.

L’homme précise que ses deux carrières, d’hier à aujourd’hui, ne sont pas aussi différentes qu’on pourrait le croire. Toutes deux nécessitent structure, discipline et curiosité. Et puis, il faut savoir jongler avec des concepts abstraits, de temps à autre.

« Concevoir des procédures et des contrôles en entreprise demande tout de même une bonne dose de créativité. L’ingéniosité est essentielle, on doit sortir des sentiers battus pour discerner les éléments perfectibles. C’est un talent qui s’intègre tout naturellement à la démarche du créateur. »

L’art, selon lui, fait aussi appel à des compétences analytiques, à la résolution de problèmes. « Quand je crée une toile, je marque des temps d’arrêt, j’observe sa composition pour voir s’il faut la retravailler. Et arrive le moment où il n’y a rien à changer, alors, je la signe. »

Jacques Descoteaux a apposé sa signature stylisée sur des centaines d’œuvres au fil des ans, principalement des peintures à l’huile, mais également des sculptures, des photographies et d’autres créations en techniques mixtes.

Ses toiles riches en couleurs sont manifestement naturalistes, comme en témoignent leurs titres poétiques, où la lune brille, la brise souffle et la mer murmure. On s’y aventure dans un univers qui s’esquisse tout juste au-delà du réalisme. Jacques Descoteaux manie avec adresse les fins couteaux de peintre pour créer de forts contrastes entre la terre et le ciel, un ciel qui se taille la part du lion de ses toiles.

Il a également fait des incursions dans d’autres domaines, notamment la sculpture et la photographie, et le meurtre de George Floyd, en 2020, lui a inspiré une série de collages intitulée Voix volées, dédiée à tant de disparus, victimes du racisme systémique, de la misogynie, du privilège, du silence.

Parmi les œuvres de la série, on trouve Dudley George, hommage à un membre d’une collectivité autochtone abattu par un tireur d’élite lors de la crise d’Ipperwash, en 1995, près de Sarnia (Ontario). S’y ajoute 6 décembre 1989, un collage qui honore les 14 jeunes femmes tuées à l’École polytechnique de Montréal il y a plus de 30 ans.

Malgré tout, les paysages abstraits à grande échelle suggérés par la rudesse de lieux éloignés, comme la baie James au Canada et les étendues nordiques de l’Islande, de l’Irlande ou de l’Écosse, qui évoquent le bout du monde, demeurent son thème favori. Son amie Janet Read, qui s’inspire elle aussi de ces paysages, les décrit comme « la ceinture de l’Atlantique Nord », où une « lumière atmosphérique » unique vient imprégner la toile. Elle et Jacques Descoteaux y puisent leurs idées.

« La clarté tend à y être moins aveuglante que celle du Sud, explique le peintre. Beaucoup d’artistes du début du XXe siècle affluaient au sud de l’Italie et de la France pour capturer la vive lumière de la Méditerranée. Pour ma part, j’aime ces endroits, bien entendu, mais le Nord me donne un éclairage plus tamisé. »

Ses toiles sont caractérisées par un horizon bas et un ciel gigantesque. « Parfois, c’est un ciel calme, et parfois, la turbulence s’y installe. Tout est question de mon ressenti, de mon humeur quand je peins. »

Entre peinture et comptabilité, toute réflexion sur les passions d’une vie soulève la question de l’inné contre l’acquis. L’enfance de Jacques Descoteaux le destinait certainement à ses deux carrières. « Inné, acquis, je pense que c’est une combinaison des deux », fait-il valoir.

« Les comptables travaillent trop, on le sait. Un soir, [un de mes patrons] m’a dit : “Rentre chez toi, tu restes trop tard.” »

L’homme a vu le jour à Ahuntsic-Cartierville, un quartier de classe moyenne, au nord de l’île de Montréal, et auparavant le cœur de l’industrie textile de la métropole. Il y a grandi avec ses trois frères dans un foyer où les affaires et la musique étaient omniprésentes.

Le père de Jacques a fait carrière dans la gestion de chantiers de construction, et sa mère s’asseyait volontiers au piano. C’est le grand-père maternel de Jacques, organiste titulaire d’un doctorat en musique qui se produisait dans l’une des églises du quartier, qui a appris à sa mère à jouer du piano.

Et les frères de l’artiste, alors? Serge, plus jeune que Jacques, a d’abord travaillé en menuiserie avant de devenir expert en sécurité des données pour l’une des grandes banques du Canada. Christian, celui du milieu, passionné de musique, dirige maintenant l’école de musique la Finenote à Lac-Beauport, au nord de Québec.

Quant à Jacques, même s’il n’a créé ses premières œuvres qu’à la mi-trentaine, il a toujours été séduit par l’art. Il raconte qu’au milieu des années 1970, superviseur de la paie pour l’entreprise de construction québécoise Sintra, il avait dépensé une part de son tout premier salaire pour s’offrir deux œuvres d’art. Il les possède encore aujourd’hui.

Depuis, il estime en avoir acquis plus d’une centaine, mais ces deux premiers coups de cœur ont marqué le début d’un périple qui a changé sa vie à tout jamais. « J’ai bien fait de me les offrir! », dit-il en souriant.

À Honda Canada, c’est l’un de ses patrons qui l’a poussé sans le savoir à devenir un artiste de renom, dont les œuvres sont prisées par des collectionneurs du Canada et des États-Unis. Et Jacques Descoteaux de raconter : « Les comptables travaillent trop, on le sait. Un soir, il m’a dit : “Rentre chez toi, tu restes trop tard.” »

Le jeune homme suit ce conseil et s’inscrit à deux cours donnés par la commission scolaire de Toronto. Au programme, l’aquarelle et l’improvisation théâtrale. « Je me suis lancé à tout-va, mais je cherchais des pistes. Ce que je voulais, c’était cesser de travailler autant. »

L’improvisation lui plaît bien, tandis que ses talents d’aquarelliste laissent à désirer. Pourtant, encouragé par des progrès lents mais perceptibles, il persévère dans la peinture. Il s’inscrit à d’autres cours au Musée des beaux-arts de l’Ontario et à l’Ontario College of Art & Design (OCAD University) ainsi qu’à des cours privés auprès d’artistes dans leur atelier.

Jacques Descoteaux a depuis abandonné l’improvisation, mais a gardé le sens de la répartie. « Je sais réagir vite et me lancer sans trop savoir de quoi il sera question. »

Sans formation structurée en art, il a tout de même été encadré par des artistes de Toronto et d’ailleurs. Il a suivi un cours de pastel donné par le peintre américain d’origine allemande Wolf Kahn, à la National Academy de New York.

Collègues et amis décrivent un homme humble, travailleur, « gentil comme tout », toujours prêt à donner un coup de main à autrui. « Il a une générosité peu commune, et dans le milieu des arts, tout comme dans d’autres professions d’ailleurs, c’est une denrée qui se fait rare », soutient Janet Read.

« L’inspiration arrive quand je suis debout, devant le chevalet, et non assis à patienter », explique Jacques Descoteaux qui peint quotidiennement.

Amanta Scott a rencontré Jacques Descoteaux à la Propeller Art Gallery de Toronto par une soirée pluvieuse il y a environ 10 ans. Après s’être aventurée à l’autre bout de la ville, elle qui venait de l’est, Amanta se souvient d’être arrivée trempée, son parapluie ayant succombé aux assauts du vent. Il n’en restait plus grand-chose.

« J’ai jeté le squelette du parapluie, mais j’ai gardé le tissu, que j’ai enroulé autour de mes épaules en guise de châle. Les yeux de Jacques ont brillé à la vue de cette petite bête mouillée, cette inconnue. D’autres m’auraient sans doute prise pour une folle, mais un lien s’est noué. »

Un lien qui s’est transformé en amitié ponctuée de maintes promenades durant lesquelles Amanta et Jacques discutaient d’idées et de techniques, et abordaient les difficultés qui se dressent sur le chemin des artistes. Un chemin incertain, sur lequel le créateur doit aussi savoir dresser un budget et se vendre.

Dans l’art de son confrère, Amanta Scott dit percevoir des échos de l’œuvre de Clyfford Still, artiste américain acclamé par le Metropolitan Museum of Art, membre clé de la première génération des peintres expressionnistes abstraits de New York.

Jacques se concentrait sur de petites surfaces lorsqu’il a rencontré Amanta, qui l’a invité à adopter les grands formats qu’il privilégie à présent. « J’étais persuadée que son travail s’y prêtait par sa puissance. Une œuvre d’envergure est percutante, elle n’est pas que pour faire joli. »

Alors, où l’artiste puise-t-il ses idées? Voilà une question souvent posée, tôt ou tard. Certains peintres évoquent un éclair d’inspiration, d’autres disent travailler au quotidien pour cultiver la créativité.

Jacques Descoteaux, qui n’attend pas l’inspiration, le souffle créateur, se plie chaque jour à la même discipline, dans son atelier au troisième étage d’un immeuble du quartier Parkdale à Toronto. « L’inspiration arrive quand je suis debout, devant le chevalet, et non assis à patienter. Il faut ménager un environnement propice, et les idées naissent. »

Si certains obstinés ne cessent de revoir et de remanier leurs œuvres (le sculpteur Auguste Rodin aurait passé 37 ans sur La Porte de l’Enfer, inspirée par La divine comédie de Dante), Jacques, lui, ne s’acharne pas. « Je n’hésite pas, j’avance. Je sais que la prochaine toile sera une autre découverte. »

Sa seconde carrière comme artiste bien entamée, Jacques Descoteaux entend poursuivre sur sa lancée. En avant, les pinceaux!

PORTRAITS DE CPA

Voyez comment ces CPA font preuve d’innovation pour lutter contre les changements climatiques, de quelle façon celle-ci essaie de révolutionner le marché des aliments pour animaux et de quelle manière cette autre se montre plus que créative.