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Le ministre des Finances, Bill Morneau, lors d'une journée budgétaire à Ottawa, marchant entre caméras et lumières de la presse
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La réforme fiscale néo-zélandaise, un modèle?

Peut-on réformer le système fiscal sans diviser le pays? Et si nos politiciens s’inspiraient de ce qui s’est fait aux antipodes?

Le ministre des Finances, Bill Morneau, lors d'une journée budgétaire à Ottawa, marchant entre caméras et lumières de la presse Bill Morneau, ministre des Finances du Canada, lors du dépôt du budget fédéral à Ottawa. (Getty)

Quand une campagne électorale pointe à l’horizon, faut-il aborder de front la réforme fiscale?

Au Canada, les conseillers politiques diraient que non : complexe à outrance, la question sème la zizanie. D’ailleurs, interrogée sur la politique sociale en 1993, en pleine tourmente électorale, Kim Campbell, première ministre, trouvait le moment mal choisi pour « amorcer un débat sur un enjeu fondamental ».

Eh bien, en Nouvelle-Zélande, on n’est pas de cet avis. Mais pourquoi? Depuis 30 ans déjà, à Wellington, systématiquement ou presque, les gouvernements successifs – et des groupes de chercheurs – entreprennent un examen exhaustif des dispositions fiscales. Depuis 1994, le processus législatif comprend un mécanisme d’analyse structuré, le Generic Tax Policy Process (GTPP). Ainsi, le régime fiscal s’harmonise aux objectifs du pouvoir politique, compte tenu aussi des mutations qui s’opèrent au pays.

Or, le Canada est aux antipodes – c’est le cas de le dire – d’une telle démarche. Voilà un demi-siècle que le fédéral n’a pas effectué un examen approfondi, fondé sur des principes, du régime fiscal national. Le dernier remonte au temps de l’Expo 67. Depuis, les gouvernements successifs remanient le système à coup d’ajouts et de retraits, d’où une mosaïque disparate qui évoque un pardessus rapiécé. Pourtant, selon un récent sondage effectué par Nanos Research pour CPA Canada, 81 % des Canadiens estiment qu’un tel examen devrait être une priorité du gouvernement fédéral – 35 % y voient même une priorité absolue. Hélas, et malgré les attentes de CPA Canada et de différentes organisations, Ottawa n’a rien annoncé de tel lors du dernier budget.

Photo d'époque des Maple Leafs de Toronto avec la coupe Stanley en 1967Certains se souviendront de 1967 comme l’année où les Maple Leafs de Toronto ont remporté la Coupe Stanley, d’autres comme celle de l’Exposition universelle à Montréal. (Getty)

La Nouvelle-Zélande, elle, est dans la dernière ligne droite d’un autre examen. Le parti travailliste, qui forme une coalition au pouvoir depuis 2017, avait promis d’imposer les gains en capital de manière à rehausser l’équité et la viabilité du régime fiscal, en réaction aux virages démographiques, économiques et technologiques. Le gouvernement a soumis son plan à des consultations publiques avant d’appliquer le mécanisme d’analyse, le GTPP, qui prévoit l’examen préalable des principaux éléments des politiques fiscales et des retombées des propositions : incidence sur les recettes, coûts à envisager pour faire observer les dispositions et les administrer, objectifs économiques et sociaux. Certains intervenants indépendants sont invités à se prononcer, et des consultations publiques ont lieu à différentes étapes.

Un groupe de travail a donc effectué une analyse préliminaire de la question. Présidé par un ancien ministre des Finances travailliste, il se composait de 11 personnes, y compris 5 fiscalistes, dont 2 du groupe consultatif sur la fiscalité de Chartered Accountants Australia & New Zealand (CA ANZ). Le processus, entamé fin 2017, s’est appuyé sur des sondages d’opinion, des mémoires et des audiences publiques. Dans son rapport intermédiaire de septembre, le groupe a recommandé différentes options d’élargissement relatives à l’imposition du revenu du capital – tout en s’interrogeant sur la pertinence d’une imposition accrue des gains en capital. Le gouvernement compte intégrer les recommandations de la version définitive du rapport à son programme électoral : appelés aux urnes, les citoyens trancheront à l’automne 2020.

Selon John Cuthbertson, leader, Fiscalité, à CA ANZ, le mécanisme se démarque par son approche globale : toute modification doit tenir compte des incidences sur l’ensemble du code fiscal, ainsi que des répercussions sur les organismes de bienfaisance, l’épargne-retraite et l’environnement, entre autres. Pour le gouvernement, l’exercice prend la forme d’un « débat national sur l’avenir de la fiscalité ».

Ce processus remarquablement transparent a de quoi nous inspirer – et nous montrer qu’il n’est pas obligatoire d’attendre un demi-siècle pour remodeler le régime fiscal. Comme l’indiquent les récents énoncés de position de CPA Canada sur la nécessité d’un réexamen en profondeur, notre cadre fiscal est affligé d’un cortège de maux : perte de l’avantage au chapitre de l’impôt des sociétés depuis que Washington a baissé ses taux l’an dernier, barèmes et seuils d’imposition non concurrentiels pour les particuliers, importance disproportionnée de l’impôt sur le revenu… sans compter la complexité administrative.

Dans son énoncé économique de l’automne dernier, le fédéral a annoncé des mesures temporaires pour stimuler les investissements. Mais le pays a plutôt besoin d’un cadre construit à long terme, étayé par un ensemble rationnel et consensuel de principes, comme la simplicité, l’équité, l’efficience, la compétitivité, la transparence et l’examen périodique.

Le législateur néo-zélandais a cerné ce besoin au début des années 1990 et établi un forum neutre pour passer au crible la politique fiscale. Un forum qui a survécu à plusieurs gouvernements aux idéologies opposées. Le dialogue sur des sujets difficiles, que les partis préféreraient éviter, est donc possible. Pourquoi ne le serait-il pas chez nous?