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Montage graphique d’un signe de dollar sur un fond de circuits électroniques bleus.

Taxe sur les services numériques au Canada : des propositions préoccupantes

L’entrée en vigueur de la taxe sur les services numériques (TSN) au Canada est prévue pour le 1er janvier 2022. Apprenez-en davantage sur les propositions actuelles et nos préoccupations à leur sujet.

Le présent billet de blogue s’adresse aux conseillers qui travaillent en cabinet ou en entreprise et qui fournissent des services de fiscalité à de grandes entreprises présentes sur la scène internationale. Vous y trouverez :

  • un résumé de la situation actuelle du Canada au chapitre de la TSN;
  • un survol de la TSN proposée;
  • un compte rendu des enjeux que nous avons signalés dans notre mémoire présenté au gouvernement.

Dans le budget de 2021, le gouvernement fédéral a confirmé son intention de mettre en œuvre une TSN, qu’il avait initialement annoncée dans l’Énoncé économique de l’automne 2020. Il a aussi précisé, dans le budget, les principales caractéristiques de la nouvelle TSN ainsi que les modalités de sa mise en œuvre. Les propositions législatives n’ont cependant pas encore été publiées au moment où nous rédigeons le présent texte.

La TSN est conçue pour permettre d’imposer les modèles d’affaires, de plus en plus répandus, qui utilisent des technologies numériques pour interagir avec les utilisateurs au Canada, y compris les plateformes d’intermédiation et de médias sociaux. Contrairement aux entités traditionnelles, ces entreprises n’ont dans bien des cas pas besoin d’une présence physique locale pour interagir avec les utilisateurs et elles génèrent habituellement une partie ou la totalité de leurs profits de la participation, des données et du contenu de leurs utilisateurs.

Bien que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) tente de dégager un consensus international pour en arriver à une solution aux enjeux fiscaux que présente l’économie numérique, aucune entente n’a été conclue pour le moment (il en est question ci-dessous). Dans le budget de 2021, le gouvernement indique que la TSN proposée au Canada s’appliquerait à compter du 1er janvier 2022 jusqu’à l’entrée en vigueur d’une approche multilatérale acceptable de taxation de l’économie numérique.

Dans le budget, le gouvernement fédéral a aussi sollicité des commentaires sur la TSN proposée et l’approche décrite en matière de mise en œuvre. Dans le mémoire que nous avons présenté dans le cadre de la consultation, nous avons souligné des préoccupations importantes concernant certaines caractéristiques fondamentales de la TSN.

TSN : aperçu des propositions du budget de 2021

En l’absence de propositions législatives détaillées, de nombreuses questions demeurent évidemment en suspens. Dans le budget de 2021, le gouvernement a cependant présenté les principales caractéristiques de la TSN, que nous résumons ci-après.

Taux et assiette

La TSN s’appliquerait au taux de 3 % sur les recettes dans le champ d’application. Elle ne s’appliquerait pas à la composante correspondant au montant de taxe sur la valeur ajoutée ou de taxe de vente applicable perçu sur l’opération.

Recettes dans le champ d’application

La TSN s’appliquerait généralement aux recettes perçues de quatre types de modèles d’affaires en ligne qui misent sur la collaboration avec les utilisateurs au Canada pour générer des recettes :

  1. places de marché en ligne, y compris les services offerts par l’entremise d’un marché en ligne qui aide à jumeler les vendeurs de biens et de services avec des acheteurs potentiels;
  2. médias sociaux, y compris les services offerts par l’intermédiaire d’une interface en ligne afin de faciliter l’interaction entre les utilisateurs ou entre les utilisateurs et les données générées par les utilisateurs;
  3. publicité en ligne, qui comprend généralement les services visant à placer des publicités en ligne ciblées selon les données recueillies auprès des utilisateurs d’une interface en ligne;
  4. utilisation de données de l’utilisateur, c’est-à-dire principalement la vente de données recueillies auprès des utilisateurs d’une interface en ligne.

En ce qui concerne les places de marché en ligne, la TSN ne s’y appliquerait généralement pas pour ce qui est :

  • du stockage ou de l’expédition de biens tangibles vendus sur le marché;
  • de la vente de biens et de services par un vendeur pour son propre compte (y compris la vente, la licence ou la diffusion en continu de contenu numérique comme les fichiers audio et vidéo, les jeux, les logiciels, les livres électroniques, les journaux et les magazines).

Contribuables visés

La TSN s’appliquerait à de grandes entités étrangères ou canadiennes (y compris les sociétés, les fiducies et les sociétés de personnes) ou aux membres d’un groupe qui correspondent aux deux conditions ci-après :

  • revenu mondial de toute provenance d’au moins 750 millions d’euros au cours de l’année civile précédente;
  • des recettes dans le champ d’application associées aux utilisateurs canadiens de 20 millions de dollars canadiens ou plus dans l’année en question.

Le seuil de 750 millions d’euros est aussi celui qu’a retenu l’OCDE pour la déclaration pays par pays.

Si les deux conditions sont réunies, la TSN ne s’appliquerait qu’aux recettes dans le champ d’application associées aux utilisateurs canadiens qui dépassent le seuil de 20 millions de dollars. Il est indiqué dans les propositions que la définition du groupe de sociétés dans la législation concernant la TSN correspondrait à celle retenue dans les règles de déclaration par pays.

Sources de recettes

Lorsque les recettes proviennent à la fois d’activités relevant du champ d’application et d’autres activités, les recettes taxables devraient être réparties raisonnablement entre les activités. À cet égard, deux approches générales sont proposées dans le budget de 2021 pour déterminer les recettes taxables associées à des utilisateurs au Canada :

  • lorsqu’il est possible de rattacher les renseignements transactionnels à des utilisateurs pertinents au Canada, les recettes correspondantes seraient taxables;
  • lorsqu’il n’est pas possible de le faire, le montant taxable serait déterminé au moyen d’une formule qui dépend de la nature des recettes.

Emplacement des utilisateurs

Pour déterminer la provenance des recettes perçues auprès d’utilisateurs de services numériques au Canada, le gouvernement propose, dans le budget de 2021, de tenir compte de l’emplacement habituel des utilisateurs. Pour certains types de recettes, c’est toutefois l’emplacement en temps réel de l’utilisateur qui serait utilisé. Le fournisseur de services numériques peut obtenir l’emplacement de l’utilisateur à partir des données dont il dispose déjà, comme l’adresse IP, l’adresse de facturation, l’adresse de livraison et l’indicatif téléphonique régional. Les fournisseurs de services numériques devraient utiliser une approche cohérente pour déterminer l’emplacement des utilisateurs.

Traitement fiscal

La TSN serait déductible dans le calcul du revenu imposable de l’entité selon les principes fiscaux en vigueur au Canada, c’est-à-dire si l’entité a engagé la dépense en vue de tirer un revenu imposable au pays. L’obligation fiscale relative à la TSN ne serait pas admissible à un crédit applicable à l’encontre de l’impôt sur le revenu à payer au Canada.

Déclarations et paiements

Les entreprises assujetties à la TSN seraient tenues de produire une déclaration annuelle à la suite de la fin de la période de déclaration, qui est proposée comme étant l’année civile. Un paiement annuel serait requis après la fin de la période de déclaration; une entité désignée pourrait produire la déclaration de TSN et s’acquitter de l’obligation fiscale relative à la taxe pour le compte du groupe. Celui-ci serait toutefois conjointement et solidairement responsable de la TSN payable par tout autre membre du groupe.

À venir également : modification de la TPS pour le commerce électronique

S’agissant de nouvelles mesures d’imposition d’opérations électroniques, il est aussi important de garder à l’esprit que des règles de TPS entrent en vigueur pour les ventes en ligne à compter du 1er juillet 2021. Elles s’appliqueront généralement à un ensemble plus vaste de biens et de services que la TSN. Par exemple, les services transfrontaliers de diffusion en continu de vidéos seront assujettis à la TPS, mais, de façon générale, pas à la TSN.

Principales préoccupations et nos recommandations

Les propositions législatives n’ayant pas encore été publiées, de nombreux aspects demeurent incertains, et des renseignements supplémentaires doivent être fournis.

Nous avons soulevé une question fondamentale dans notre mémoire : la TSN canadienne est-elle censée être un impôt indirect ou (ce qui nous semble plus probable) un substitut à l’impôt sur le revenu? La distinction est importante pour assurer l’uniformité et la logique des caractéristiques de la taxe. Par exemple, si la TSN est conçue comme un substitut à l’impôt sur le revenu, la question de la double imposition se pose.

Voici d’autres enjeux que nous avons signalés dans notre mémoire.

Mise en œuvre et calendrier

Dans le Communiqué des ministres des Finances et des gouverneurs de banques centrales du G7 du 5 juin 2021, les pays du G7 s’engagent à trouver une solution équitable quant à l’attribution des compétences fiscales relativement aux entreprises numériques et comptent conclure une entente lors de la réunion du G20 en juillet. Dans ce contexte, nous sommes d’avis que la TSN devant entrer en vigueur le 1er janvier 2022 serait de courte durée et ne serait donc pas un choix judicieux, compte tenu des coûts qu’elle entraînerait pour les contribuables et pour l’Agence du revenu du Canada (ARC).

Par ailleurs, si une TSN temporaire est adoptée, nous estimons que son instauration le 1er janvier 2022 risquerait de ne pas laisser aux entreprises suffisamment de temps pour la comprendre et s’y préparer, surtout étant donné que les propositions législatives n’ont toujours pas été publiées et que de nombreuses questions demeurent en suspens. Les entreprises ont besoin de temps pour comprendre le champ d’application des règles, analyser l’incidence de celles-ci et déterminer comment recueillir les renseignements dont elles ont besoin pour calculer la taxe.

La TSN peut donner lieu à une double imposition

De façon générale, l’imposition du revenu brut donne lieu à un fardeau fiscal plus lourd que l’imposition du revenu net. Comme les coûts ne sont pas déduits du revenu brut, une TSN canadienne de 3 % pourrait donner lieu à un taux d’imposition effectif global plus élevé que le taux proposé pour la TSN. L’OCDE a d’ailleurs reconnu ce problème et a formulé l’avertissement suivant : « Une double imposition économique pourrait aussi résulter d’effets en cascade lorsqu’une prestation de certains services en ligne est réalisée auprès d’un client qui intègre ces services dans une prestation effectuée en aval elle-même soumise à la taxe. »

En outre, si les différents pays adoptent leur propre TSN sans qu’une approche cohérente soit suivie, les entreprises pourraient devoir payer cette taxe dans plusieurs administrations pour les mêmes recettes. Afin d’éviter la double imposition, nous avons recommandé au gouvernement d’envisager d’instaurer un crédit (qui s’apparenterait au crédit pour impôt étranger) ou un autre mécanisme permettant de compenser la TSN versée à d’autres autorités fiscales.

La TSN pourrait nuire à la compétitivité des entreprises canadiennes

La TSN vise à veiller à ce que les recettes que les grandes entreprises, étrangères ou locales, tirent de la collaboration en ligne avec les utilisateurs au Canada soient assujetties à l’impôt canadien. Il est indiqué dans les propositions que la TSN ne serait pas admissible à un crédit applicable à l’encontre de l’impôt sur le revenu à payer au Canada, mais que les montants payés pourraient être déduits à titre de dépense.

Si le gouvernement souhaite faire de la TSN un substitut de l’impôt sur le revenu, un tel traitement manquerait d’uniformité et ferait en sorte que des entreprises qui paient déjà l’impôt canadien sur le revenu des sociétés paieraient plus d’impôt sur les mêmes profits (si le profit réalisé à partir des recettes assujetties à la TSN est imposé au Canada). Les entreprises établies au Canada seraient ainsi désavantagées par rapport aux exploitants étrangers puisqu’elles paieraient l’impôt sur le revenu canadien et une TSN supplémentaire de 3 %.

Nous avons par conséquent recommandé dans notre mémoire que les sociétés établies au Canada soient exclues du champ d’application de la TSN ou qu’elles puissent obtenir un crédit d’impôt pour la TSN qu’elles paieraient.

L’application de la TSN devrait être plus ciblée

Nous sommes préoccupés par la possibilité que la TSN puisse s’appliquer à un ensemble bien plus vaste d’entreprises que ce qui est visé. Toutes les entreprises dont le revenu mondial excède les 750 millions d’euros (qu’il soit ou non dans le champ d’application) devraient effectuer une analyse détaillée pour déterminer si leurs « recettes dans le champ d’application » dépassent le seuil de 20 millions de dollars associés aux utilisateurs au Canada. Nous avons demandé au gouvernement d’envisager d’adopter un mécanisme plus simple pour déterminer si la TSN s’applique.

Nous avons également suggéré au gouvernement de clarifier à quels secteurs et à quelles entreprises il a l’intention d’appliquer cette taxe et de s’assurer que les règles sont ciblées en conséquence. Les entreprises sauront-elles que certaines de leurs activités sont assujetties à la TSN? Nous avons recommandé au gouvernement d’envisager l’ajout d’un critère de l’objectif dans les règles proposées afin que la taxe ne s’applique qu’aux modèles d’affaires dans lesquels les services dans le champ d’application constituent l’objectif principal ou l’un des principaux objectifs.

Enfin, nous avons également demandé au gouvernement de suivre l’exemple d’autres pays et d’énumérer les entreprises qui ne seraient pas assujetties à la TSN.

Entreprises à faible marge

La TSN risque d’avoir la plus grande incidence sur les entreprises qui ont des marges faibles, voire des pertes. Pour rappel, si l’on suppose que la TSN constitue un substitut de l’impôt sur le revenu, nous sommes d’avis que le gouvernement devrait envisager d’autoriser une autre méthode de calcul de la taxe permettant de tenir compte des marges, comme l’a fait le Royaume-Uni (publication en anglais). Cette règle serait avantageuse pour les groupes qui ont des pertes ou de faibles marges d’exploitation sur leurs activités liées aux services numériques.

Questions de conformité

Comme les propositions s’avèrent vagues au chapitre des questions de conformité, nous avons encouragé le gouvernement à fournir des précisions le plus tôt possible, afin de donner aux entreprises touchées du temps pour se préparer. Nous lui avons aussi suggéré d’envisager de s’appuyer sur les concepts, définitions, systèmes d’inscription et obligations de déclaration actuels pour réduire au minimum le fardeau administratif associé à la TSN. Enfin, nous lui avons également demandé de fournir des lignes directrices sur les exigences applicables aux documents justificatifs ainsi que des exemples de la manière dont la taxe sera appliquée.

Informations à venir

En résumé, de nombreuses précisions demeurent nécessaires. Le gouvernement pourrait communiquer de nouvelles informations après avoir examiné les commentaires obtenus dans le cadre des consultations, y compris ceux figurant dans notre mémoire. Nous avons également suggéré au gouvernement d’analyser les systèmes de TSN déjà mis en œuvre dans d’autres pays. Nous continuerons à soulever ces questions et à publier des mises à jour dans notre blogue sur la fiscalité et notre page sur les actualités fiscales.

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