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Mains tirant aux deux extrémités d'une corde attachée à une chaise de bureau
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Bureau à domicile : peut-on vraiment parler d’un retour à la normale?

Malgré la levée du confinement, bien des personnes continuent de travailler de la maison. La pandémie a montré que la pratique est viable, mais dirigeants et employés sont partagés.

Mains tirant aux deux extrémités d'une corde attachée à une chaise de bureauNombre d’organisations et d’employés souhaitent un retour à la « normale », mais encore faut-il savoir ce qu’on entend par là. (iStock)

Les confinements dans tout le pays ont permis aux organisations de constater que beaucoup de leurs employés pouvaient très bien travailler à domicile. Avec plus du quart des Canadiens en télétravail au début de 2021, les entreprises ont modifié leurs protocoles pour faciliter ce virage. Les discussions et réunions en personne ont rapidement cédé le pas aux courriels, aux vidéoconférences, aux lecteurs partagés et au stockage infonuagique.

Dans les enquêtes sur la population active de Statistique Canada, 90 % des employés disent réussir à abattre au moins autant de travail en une heure à domicile qu’en une heure au bureau. Maintenant que la plupart des restrictions liées à la COVID-19 ont été abolies ou sont en voie de l’être, nombre d’organisations et d’employés souhaitent un retour à la « normale ». Un avis qui ne fait pas l’unanimité, puisqu’après quasiment trois ans de télétravail, la productivité s’est maintenue ou a même augmenté. Compte tenu des efforts déployés dans les dernières années pour faciliter le télétravail, est-il vraiment indiqué de revenir en arrière ou existe-t-il une autre solution? 

Outre la flexibilité de l’horaire et la liberté vestimentaire, l’un des avantages du télétravail les plus évoqués est la fin de longs trajets fastidieux. Dans un sondage mené auprès de 1 500 salariés par l’entreprise de visualisation et d’infonuagique VMware Inc., 75 % des répondants disaient se sentir plus énergiques et enclins à travailler s’ils n’avaient pas à se déplacer. Cependant, au-delà des sentiments positifs associés au télétravail, un nuage noir plane sur ces salariés : selon le même sondage, seulement 40 % d’entre eux estimaient que leur employeur avait formulé clairement ses attentes à l’égard du retour au bureau.

Alors que certains employeurs hésitent à ramener les employés sur place, d’autres imposent un retour au 9 à 5 du lundi au vendredi. Au printemps de 2022, Elon Musk, dans un coup d’éclat sans précédent, adoptait une politique stricte de retour au bureau pour les employés de Tesla et sommait le personnel de cesser d’« obéir à la loi du moindre effort ». D’autres organisations se sont montrées plus conciliantes. Deloitte Canada a ainsi proposé à ses employés un modèle hybride qui combine des jours en télétravail et d’autres en présentiel, et ne prévoit aucun retour complet au bureau pour le moment.

Un communiqué de presse de Deloitte illustre parfaitement l’approche de l’organisation : « De nombreuses questions et inconnues demeurent cependant quant à la meilleure façon de faire évoluer les fonctions de l’effectif, que ce soit sur place ou à distance, et les leaders […] devraient se pencher sur ces questions stratégiques fondamentales […] pour s’assurer que la réouverture ne soit pas un recul, mais bien un pas en avant sur la voie de la reprise. »

Convaincre les télétravailleurs de revenir de bon gré au bureau est un défi de taille pour les employeurs.

Cela dit, trouver l’équilibre approprié entre les besoins de l’organisation et le bien-être du personnel n’est pas simple, surtout quand de nombreux salariés semblent prêts à quitter leurs fonctions. En octobre 2022, un sondage de l’entreprise canadienne de technologie financière Hardbacon révélait que 80 % de télétravailleurs préféreraient chercher un nouvel emploi plutôt que de retourner à plein temps au bureau, la plupart invoquant les coûts élevés à débourser. Quand on calcule les frais de déplacement et de repas, les économies réalisées en travaillant à domicile une grande partie de l’année peuvent en effet atteindre des milliers de dollars.

Convaincre les télétravailleurs de revenir de bon gré au bureau représente un défi de taille pour les employeurs. Mais ils ont un atout en main.

Pour inciter les employés à revenir, beaucoup d’organisations, en plus d’offrir un horaire de travail hybride, proposent des espaces de bureaux restylés, ainsi que de nouvelles possibilités de valoriser la créativité et d’accroître la productivité. Une véritable bénédiction pour des entreprises telles que Sensyst, un groupe torontois de design d’intérieur de bureaux qui agence, conçoit et équipe des espaces commerciaux. « Depuis mes débuts dans les affaires, je n’ai jamais été aussi occupé qu’au cours des deux dernières années, dit le président, Rod Perry. Les clients cherchent à créer un bureau adapté à la fois aux employés qui veulent travailler sur place, à ceux qui ne le souhaitent pas et aux travailleurs hybrides. Personne n’y est encore arrivé. La donne change constamment. »

Les aires ouvertes, l’éclairage naturel et les espaces de travail collaboratif, qui étaient autrefois l’apanage des agences de création et des firmes technologiques, sont aujourd’hui recherchés par de nombreux propriétaires d’entreprise. La collaboration semble aussi le principal moteur des organisations qui utilisent désormais des espaces de réunion ouverts.

Si ces espaces communs ont la cote, ils rencontrent aussi une certaine résistance. « Les employés veulent encore avoir leur propre bureau », affirme Rod Perry. Satisfaire ce besoin de propriété pourrait être une façon de favoriser le retour des télétravailleurs, qui bén­éficient à domicile d’un environnement soigneusement personnalisé. À cet égard, l’aménagement de postes de travail partagés et d’espaces communs propres à la nouvelle culture de travail peut se révéler un véritable casse-tête. Certaines organisations contournent le problème en faisant venir leurs différentes équipes en alternance.

Le besoin de s’isoler dans ces espaces partagés constitue un autre défi. Les vidéoconférences sont maintenant monnaie courante (et remplacent parfois même les voyages d’affaires), mais il est difficile de participer à un appel vidéo lorsqu’on se trouve à côté de quelqu’un qui a une tâche urgente à terminer. Par conséquent, certains bureaux sont maintenant équipés de cabines individuelles qui permettent la tenue de discussions en privé.

Un nouveau paradigme émerge dans l’aménagement de bureau, souligne Rod Perry. Les dirigeants engagent des designers pour « créer un nouvel environnement distinct qui non seulement attire des candidats, mais aussi fidélise les employés. Les organisations de taille moyenne ne sont pas prêtes à se départir de leurs espaces de bureaux – aucun de mes clients n’a réduit sa surface de travail ».

La pandémie a aussi donné l’occasion à certains de quitter un poste dans une entreprise pour lancer une activité à domicile. « Des personnes ont perdu leur emploi et ont dû se réorienter, mais d’autres ont mis à profit de nouvelles possibilités et appris à vivre différemment », affirme Jelena Zikic, professeure agrégée en gestion des ressources humaines et de carrière à l’École de gestion des ressources humaines de l’Université York. Les technologies et un peu de créativité ont facilité ce choix, observe-t-elle. En période de confinement, certains ont développé leur autonomie et ont acquis de nouvelles compétences – comme la conception de sites Web – qui les aident à exploiter une activité indépendante.

Les petits entrepreneurs disposent d’une plus grande latitude pour imaginer la culture d’entreprise qu’ils veulent.

La pandémie a aussi aidé à s’épanouir une certaine catégorie de personnes. « Tandis que les extravertis vivaient difficilement la situation, les introvertis, eux, ont apprécié non seulement cette autonomie, mais aussi une certaine forme d’isolement, poursuit Jelena Zikic. Ils ne souffrent pas autant de l’isolement professionnel. » À l’abri des distractions découlant de la vie au bureau ou des inquiétudes inhérentes à l’anxiété sociale, ces solitaires ont pu se consacrer entièrement à leur travail et à eux-mêmes.

Apprendre à fonctionner dans la « nouvelle normalité » de la pandémie a stimulé ces petits entrepreneurs, les rendant plus confiants et compétents. Selon le rapport La voie pour braver la tempête 2022 de la Banque Scotia, plus de 80 % des propriétaires canadiens de PME sondés s’estiment maintenant mieux outillés pour survivre à une autre pandémie et à une éventuelle récession.

En revanche, même si on pourrait penser que la culture d’entreprise ne s’applique pas aux activités à domicile, certains sont d’un autre avis. Alex Tucker, spécialiste du marketing numérique et propriétaire d’une PME, soutient qu’elle peut certainement exister, « mais demande une planification plus poussée, et est moins susceptible de renforcer les liens sociaux et de collaboration créative qu’un milieu de travail traditionnel ». Les petits entrepreneurs disposent d’une plus grande latitude pour imaginer la culture d’entreprise qu’ils veulent et peuvent travailler indépendamment à son instauration.

Selon Alex Tucker, les CPA sont nettement avantagés puisque « les services qu’ils fournissent répondent non à un souhait, mais à un besoin. Souvent, ils n’ont pas à se préoccuper autant du marketing et des ventes que le propriétaire d’une PME. » Et ils peuvent décider seuls de leur image de marque et de celle de leur organisation.

Le CPA Alan Goldhar exerce ses activités à son domicile torontois. Il estime que c’est la meilleure solution à ce stade-ci de sa carrière. Il est craintif à l’égard de la COVID et, dans la dernière ligne droite de sa vie professionnelle, il souhaite ralentir un peu. « Je travaille encore à plein temps, mais je compte réduire mes heures progressivement. » Son bureau, situé au rez-de-chaussée de son domicile, a une entrée réservée aux clients. Mais est-ce l’aménagement idéal pour de nouveaux venus dans la profession?

D’après Alan Goldhar, la présence au bureau est avantageuse pour un CPA en formation. « Au début de ma carrière, aller au bureau était essentiel, car je pouvais y consulter des collègues, j’avais accès à des ressources comme une salle de réunion, et je pouvais m’imprégner d’une atmosphère professionnelle formatrice. » Mais maintenant qu’il n’a plus besoin d’attirer de nouveaux clients, il peut servir sa clientèle existante depuis sa propre résidence.

Après la pandémie qui a tenu les gens éloignés les uns des autres, les organisations cherchent maintenant à les réunir de nouveau. Mais il n’existe pas de modèle unique ni de panacée. Pour Jelena Zikic, « plein de gens aiment ce contexte complètement différent où vie personnelle et travail se confondent, et où ils disposent d’une certaine flexibilité. »

LA VOIE À SUIVRE

Voyez ce que pense Pamela Steer, FCPA, Présidente et chef de la direction de CPA Canada, des conditions gagnantes à un retour au bureau réussi. Par ailleurs, les CPA entrent dans une nouvelle ère. Lisez quelques réflexions sur l’avenir de la profession, sur les compétences technologiques nécessaires, sur les plans de travail hybride d’organisations en avance sur leur temps et sur la liste d’outils essentiels du travail en mode hybride.