Passer au contenu principal
Un mur de chiffres avec les marques de différents rédacteurs en haut.
Articles de fond
Magazine Pivot

Les CPA en première ligne dans la bataille contre les données douteuses

En cette ère où nous sommes submergés d’information, les CPA sont appelés à jouer un rôle clé et à s’assurer que les données sont fiables.

Un mur de chiffres avec les marques de différents rédacteurs en haut.Plus que jamais, les CPA se retrouvent au cœur de la révolution numérique, alors que le volume d’informations à trier et à organiser ne cesse de croitre.

Le monde a produit 1,8 zettaoctet (Zo) de données en 2011, soit 1 800 milliards de gigaoctets (Go). Qu’est-ce à dire? Se tournant vers l’analogie avec l’imagerie médicale, IDC, cabinet de recherche en TI, expliquait que, pour créer ce déluge de données, il faudrait faire passer 215 millions d’examens IRM à chacun des habitants de la planète, 365 jours de suite. À l’époque, IDC parlait d’une quantité « colossale » de données. Mais tout est relatif.

En 2020, IDC a revu ses chiffres et évalué que les êtres humains avaient créé, saisi, copié et consommé 59 Zo de données. Stupéfiant. Et le rythme s’accélère : en trois ans, nous en produirons sans doute davantage qu’en trente ans. Par l’intégration de capteurs à toutes sortes de gadgets, des Fitbit aux thermostats, l’Internet des objets, omniprésent, devrait faire naître à lui seul 80 Zo de données d’ici 2025. On hésite désormais à employer l’adjectif « colossal », de crainte de s’exposer à la moquerie dans quelques années à peine.

Les mégadonnées transforment les industries, les administrations publiques, l’enseignement, la recherche et les professions. Comme le volume d’informations élaborées dépasse largement notre capacité à les trier et à les organiser, nous dépendons de l’intelligence artificielle (IA) et de l’apprentissage machine pour les interpréter. Vus comme les dépositaires et garants de l’information financière, les CPA se retrouvent à présent au cœur de la révolution numérique – et de la prise en charge des risques qu’elle comporte.

« Quand on réfléchit aux données, on constate que la confiance et l’éthique sont deux piliers de notre profession, depuis toujours », explique Laura Friedrich, codirectrice de Friedrich & Friedrich, cabinet comptable qui se consacre à la recherche et à la normalisation, et est situé non loin de Whistler, en Colombie-Britannique. « Sur bien des plans, le déferlement des mégadonnées ne change pas la nature de la comptabilité. Mais le champ d’action de celle-ci est sur le point de s’étendre considérablement, vu la masse de données à traiter, souvent issues de sources difficiles à appréhender, comme l’IA. L’un des grands enjeux sera de déterminer la fiabilité des renseignements. » Comment faire le tri?

Dans un univers où presque toute information peut être falsifiée, manipulée ou déformée, il incombe aux CPA de s’assurer que les mégadonnées sont bel et bien dignes de confiance.

Pour décrypter l’incidence qu’aura l’avènement des mégadonnées sur la profession, il s’avère utile de faire la distinction entre la collecte, l’accès et l’analyse, explique Michel Girard, expert en gouvernance des données, agrégé supérieur au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale (CIGI), un laboratoire d’idées de Waterloo, en Ontario. Les maillons de la « chaîne de valeur des données », qui ouvrent de nouvelles pistes pour les organisations, restent toutefois fragiles : falsification, altération et déformation rôdent dans les parages. Justement, c’est pour les CPA l’occasion de mettre à profit leur savoir-faire, sous l’angle de la confiance et de la probité.

COLLECTE

Le premier maillon de la chaîne de valeur des données est sans contredit le principal. Recueillir, décrire, étiqueter et annoter les données avec soin, c’est essentiel, pour que le prochain intervenant puisse les manier en toute confiance. Il ne suffit pas de puiser directement à la source, prévient Michel Girard. « Si les données sont fragmentaires, inexactes ou biaisées, vous aurez de gros ennuis en aval. » Les grandes entreprises américaines évaluent le coût des données douteuses à 15 M$ US par an en moyenne, ajoute-t-il. Le phénomène « à données inexactes, résultats erronés » coûte cher, en particulier dans l’univers des mégadonnées.

Or, les CPA sont fin prêts à protéger la qualité des données d’une organisation, avance Michael Lionais, CPA. « Ils ont toujours fondé leurs décisions sur des données. C’est leur raison d’être. » En 2019, il a été détaché du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada pour conseiller CPA Canada dans le cadre du projet Voir demain, qui vise à repenser la profession, au cœur de la révolution numérique. Il travaille aujourd’hui dans le secteur privé. Ce qui caractérise les mégadonnées, selon lui, c’est qu’il leur manque les structures et les règles si familières aux CPA. 

On réunit désormais une kyrielle de chiffres disparates, de toute provenance : comportement des consommateurs, observations sur les procédés de production, indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), la liste s’allonge. Et les méthodes et motifs de leur collecte peuvent soulever des dilemmes éthiques.

La question clé? Déterminer si les données cadrent avec le but visé, et donc, repérer les défauts, lacunes, erreurs et fausses hypothèses, fait valoir Michael Lionais. Il ajoute qu’il est possible de recourir à des données imparfaites en prenant certaines précautions. Et puis, même des données exhaustives et factuelles pourraient déboucher sur des résultats déplorables, faute de cadrer avec l’objectif envisagé.

Il est important de déterminer au préalable comment les données ont été réunies et de voir si elles s’arriment au but poursuivi, d’après Michael Lionais. « Il y a là un véritable rôle pour les CPA, qui s’interrogeront : les données coïncident-elles avec les questions posées? À défaut de quoi, dans quelles sources puiser pour s’en procurer de meilleures? »

Il faut prouver que le devoir de diligence a été rempli, et les CPA jouent un rôle primordial pour protéger la confiance.

ACCÈS ET PARTAGE

Une fois collectées et validées, les données seront communiquées aux intéressés et à eux seuls, ce qui soulève tout un lot de défis et de risques. La COVID-19 a bouleversé les paramètres, souligne Michel Girard. Le partage des données s’accompagne de risques accrus, à l’ère du télétravail et du recours aux services d’infonuagique pour faciliter les échanges. Avant les ravages de la pandémie, tout le monde travaillait au même endroit, sur les mêmes serveurs.

« Et voilà qu’émergent de lourds enjeux de confidentialité et de cybersécurité, poursuit-il. Les intéressés refuseront de partager leurs données s’ils ne sont pas sûrs et certains qu’elles seront prises en main dans les règles de l’art. » Qui plus est, de nombreux juristes soulignent que les entités et les particuliers engagent leur responsabilité à l’égard de la mise à jour et de la protection des données.

« Les intéressés demanderont des engagements écrits attestant la fiabilité de la chaîne de valeur des données. Il faudra prouver que le devoir de diligence a été rempli, et les CPA joueront un rôle primordial pour protéger la confiance. » Encore une fois, la tâche s’apparente à la prise en charge de l’information financière, mais l’échelle et la portée du travail accompli vont s’étendre considérablement et englober une pléthore de nouvelles formes d’information.

ANALYSE

Le dernier maillon de la chaîne de valeur des données? L’analyse, qui consiste à convertir cette myriade d’informations en constats utiles, source de plus-value. « Les données, il faut les traiter, les interpréter, les traduire en actions, explique Michel Girard. C’est le travail de quelqu’un qui voit les choses sous l’angle de la rentabilité, de quelqu’un qui a l’habitude de conseiller ses interlocuteurs. Cette tâche, ce n’est pas aux TI de s’en acquitter. »

L’analyse des mégadonnées suppose une collaboration étroite entre les CPA, les spécialistes des données et les ingénieurs en IA, mais aussi un sens aigu des affaires. « Le CPA n’est pas censé construire la boîte noire, rappelle Michael Lionais, mais plutôt suivre le fil conducteur qui va des questions aux conclusions, et s’assurer qu’il tient. Vous aurez beau partir de données solides, si l’analyse est faussée, vous n’en tirerez rien de bon. L’or se transmuera en plomb. L’essentiel, c’est de faire le point sur le problème qu’on tente de résoudre. »

Toutes sortes d’erreurs peuvent survenir en cours d’analyse. L’un aura confondu corrélation et causalité; l’autre aura tablé sur des hypothèses désuètes. L’imprécision prédictive des sondages – pensons aux résultats inattendus de la présidentielle américaine de 2016 – illustre bien les écueils que peut rencontrer l’analyse de grands ensembles de données. L’éthique constitue une autre considération qui pèse dans la balance. On a montré du doigt les préjugés raciaux, intégrés aux algorithmes de reconnaissance faciale ou de traitement des demandes de prêts hypothécaires, d’où l’importance d’un encadrement serré des mégadonnées. « Je ne connais pas d’expert en science des données ou de mathématicien formé pour porter un jugement sur l’utilisation éthique des données, lance Michel Girard. Seuls les CPA sont habilités à traiter ces questions, sur les axes de la qualité, de la confiance et de l’éthique. »

NORMALISATION

Les CPA veillent tant à la qualité qu’à la pertinence des données de l’organisation et ont leur mot à dire dans l’établissement de garanties juridiques et éthiques, à l’échelle internationale. Les nouvelles informations s’accumulent. Sans règles claires et assorties de modalités d’application pour encadrer la collecte, l’accès et l’analyse, le spectre des erreurs et errements hante l’univers des mégadonnées. Brian Friedrich, du cabinet éponyme, s’est investi dans la révision des règles d’éthique proposées par le Conseil des normes internationales de déontologie comptable (IESBA) à titre de président du groupe de travail sur la technologie.

À l’ère de la révolution numérique, les principes de l’utilisation éthique des données sont déjà enchâssés dans les référentiels nationaux de déontologie comptable, mais la multiplication des lignes directrices émises par des organisations phares – l’OCDE, l’Union européenne, Microsoft, IBM, divers États – pour orienter l’utilisation des données engendre de l’incertitude quant aux cadres applicables, aux pratiques exemplaires et aux questions de conformité. « Les assises de ces cadres sont les mêmes, alors, pourquoi tant de versions divergentes? » Ces dédoublements appellent à une unification, une épuration. Les CPA étant fortement engagés dans la gouvernance des données et dans l’établissement de normes, il va de soi qu’ils ont voix au chapitre et participent à la définition des normes mondiales de gouvernance des données, fait valoir Brian Friedrich.

« On ne peut se contenter de normes localisées pour donner un sens à l’univers des mégadonnées », ajoute Bruce Cartwright, directeur général de l’Institute of Chartered Accountants of Scotland (ICAS), qui a participé à l’étude de CPA Canada sur les mégadonnées. Ce genre d’alliance internationale est la voie à suivre. « En concertation, nous réunirons davantage de ressources et de puissance intellectuelle, et nous éviterons le double emploi. CPA Canada est à l’avant-garde de cette réflexion. »

Si les débouchés qu’offrent les mégadonnées semblent illimités, les risques encourus sont intimidants. « Les données erronées pourraient nous faire reculer, explique Michel Girard. Il faut des données fiables et de qualité afin de profiter du virage numérique, et pour en arriver là, nous serons tenus d’adopter des systèmes et des contrôles rigoureux. » Les CPA seront amenés à élargir le rayonnement de leur savoir-faire, gage de confiance et d’éthique, qui s’étendra à la sphère des mégadonnées, au Canada comme à l’étranger. 

EN SAVOIR PLUS

Découvrez quelles compétences les CPA devront posséder pour maîtriser les mégadonnées. Voyez en quoi le Certificat en gestion des données de CPA Canada peut servir pour prendre des décisions stratégiques éclairées et ce vers quoi la profession se dirige.