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Une bouteille de Kelping Hands, un nouveau désinfectant à base de varech, enveloppée d'algues.
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Nouvelle vague : un désinfectant pour les mains et pour une bonne cause

Une entreprise de l’île de Vancouver a lancé un désinfectant pour les mains à base d’algues pour allier philanthropie et valorisation stratégique de sa marque.

Une bouteille de Kelping Hands, un nouveau désinfectant à base de varech, enveloppée d'algues.Lancé en septembre dernier, Kelping Hands est un désinfectant pour les mains à base d’algues marines, une première en Amérique du Nord. (Kelp par chengyuzheng)

Quoi de plus banal aujourd’hui que du désinfectant pour les mains? Pour un entrepreneur de 26 ans, la hausse exponentielle de la demande a ouvert la voie à l’expansion vers une nouvelle catégorie de produits. Majid Hajibeigy, qui a fondé Canadian Pacifico Seaweeds, établie sur l’île de Vancouver, a Une innovation à mi-chemin entre la philanthropie et la valorisation stratégique de la marque.

Canadian Pacifico Seaweeds a parié sur les algues nommées laminaires, ces rubans bruns et dorés qui ondulent dans l’eau. Elle aide les petits exploitants à établir leur ferme marine, propose des technologies de récolte et de transformation, et décline une gamme de produits à base d’algues. Diplômé de l’Université de la Colombie-Britannique, M. Hajibeigy a fondé l’entreprise en 2018, fort d’un stage auprès du biologiste Louis Druehl, pionnier de la culture des laminaires. Le désinfectant est certes une nouvelle filière.

« Une idée en l’air, qui a mûri par étapes », précise l’entrepreneur. Premier déclencheur, le rappeur 50 Cent lance son propre désinfectant. Une incursion improbable dans un nouveau marché. Et puis, un fabricant britannique d’engrais végétaux, Guernsey Seaweed, crée un désinfectant où les algues, riches en vitamine E, remplacent la glycérine, ingrédient hydratant raréfié par la ruée vers les gels antiseptiques. Mais il a fallu une autre nouvelle alarmante pour enclencher l’aventure : le confinement menaçait la survie de l’aquarium de Vancouver, en quête de financement.

« Un vrai déclic », se souvient M. Hajibeigy. Il a osé demander à Guernsey la formule du produit, et un quart d’heure plus tard, les Britanniques ont répondu par l’affirmative. « Nous espérons réunir 500 000 $ à remettre à l’aquarium. »

Le marketing engagé, voulant que l’entreprise verse une partie du chiffre d’affaires à une cause, n’est pas nouveau en soi, mais il faut souligner que l’œuvre philanthropique de Kelping Hands est sa principale raison d’être.

Une bouteille de 120 ml du gel, qui répond à des normes de qualité strictes, coûte 16 $ sur le site Web. Selon M. Hajibeigy, 80 % du chiffre des ventes au détail et 50 % de celui des ventes en gros sont versés à l’aquarium. « La marque conservera toujours son volet caritatif et, une fois les 500 000 $ atteints, nous aiderons un autre OSBL. » Le premier lot de 10 000 unités s’est écoulé début 2021 et, au moment de mettre sous presse, l’entrepreneur négociait son premier grand contrat de distribution aux États-Unis.

« Je ne voulais pas dégager un profit sans aider du même coup un OSBL, surtout pas pendant la pandémie. » Cela dit, Kelping Hands permet à l’entreprise de diffuser son message : les produits à base d’algues sont bons pour la santé, la planète et l’économie, trois piliers du développement durable.

La glycérine des désinfectants classiques provient en général de cultures à lourde empreinte carbone, associées à la déforestation (soya, noix de coco, palme). Au contraire, les algues sont écologiques, ou du moins peuvent le devenir. Ne nécessitant ni terres arables, ni irrigation, ni engrais, ni pesticides, elles se prêtent à de multiples usages : alimentation humaine et animale, produits de beauté, produits pharmaceutiques, bioplastiques. Elles foisonnent sur la côte Ouest, qui accueille la plus grande diversité de laminaires du monde.

« Vu leur croissance rapide – 1,5 m en 2 semaines –, les algues sont 20 fois plus efficaces que les arbres pour absorber le carbone », fait valoir M. Hajibeigy. Mais il y a un hic : si les arbres séquestrent le CO2 pendant des dizaines d’années, les algues libèrent chaque année des gaz à effet de serre en se décomposant.

En Amérique du Nord, la filière algues n’a pas encore le vent en poupe. Le New York Times a analysé la question dernièrement (« Why Isn’t Kelp Catching On? »). L’algoculture, complexe, exige des infrastructures, et sa viabilité passe par une exploitation à grande échelle, un défi pour les établissements de moindre envergure, faute de moyens et de savoir-faire. C’est pourquoi Canadian Pacifico Seaweeds, principal fournisseur de produits et d’ingrédients à base de laminaires de Colombie-Britannique, épaule aussi les nouveaux cultivateurs.

La filière est prometteuse. D’après Global Market Insights, le marché se chiffrait à 58,98 G$ US en 2019 et dépassera les 85 G$ d’ici 2026.

Depuis le lancement de Canadian Pacifico Seaweeds il y a moins de trois ans, d’autres ont fait le saut, dont Cascadia Seaweed, elle aussi en Colombie-Britannique, Seagrove Kelp, en Alaska (la plus grande ferme de laminaires en Amérique du Nord) et GreenWave, OSBL du Connecticut. GreenWave offre des formations sur la mariculture régénératrice, de toute évidence fort courues puisque la liste des participants s’allonge. Quelque 7 000 inscrits attendent leur tour. Les algues, voilà un marché porteur, où de francs succès se profilent.

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