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Illustration d'un ballon en forme de microbe flottant près de cactus
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Les microbes, un ennemi de taille

Tuer les germes : cloisons, revêtement et tissus antimicrobiens s’ajoutent à l’arsenal.

Illustration d'un ballon en forme de microbe flottant près de cactusLa demande mondiale en produits anti-COVID-19 (cloisons, poignées de porte, rampes, tissus) pourrait grimper de 8,2 % par an pendant cinq années de suite. (Illustration Matthew Billington)

Quand la grippe porcine a frappé l’Afrique en 2009, les éleveurs l’ont combattue, armés d’une invention d’ici : de solides cloisons lavables, conçues pour isoler les porcs et prévenir la contagion. Fabriqués à Palmerston, en Ontario, par Trusscore (auparavant MSW Plastics), spécialiste en matériaux avancés, les panneaux en PVC NorLock ont résisté aux coups de groins et aux souillures en tout genre.

Dès l’apparition de la COVID-19, Dave Caputo, chef de la direction, s’est rendu compte que les cloisons pouvaient aussi servir à séparer les êtres humains. Sans tarder, Trusscore a créé les panneaux TempWall, recouverts du bouclier antimicrobien Aegis Microban qui, selon les tests de la FDA, élimine 99,9 % des germes, y compris le coronavirus. « Non poreuses, faciles à nettoyer, lisses, nos cloisons sont déjà antibactériennes, et le traitement antimicrobien renforce la protection. »

Dans une conjoncture morose (l’économie canadienne devrait se contracter en 2020 de 8,2 % selon le Conference Board du Canada, ou de 8,4 % selon le Fonds monétaire international), la production d’éléments antimicrobiens pourrait représenter une lueur d’espoir. La demande mondiale en produits anti-COVID-19 – cloisons, poignées de porte, rampes, tissus – pourrait grimper de 8,2 % par an, cinq années de suite.

Pour Trusscore, la concurrence sera vive. Doug Olson, inventeur d’Edmonton, a débuté dans la transformation des viandes. Sachant que le sel conserve le bœuf et le porc, il a demandé à un laboratoire privé d’en étudier d’autres applications plus larges, ce qui a débouché sur un partenariat de recherche avec l’Université de l’Alberta, en 2010. Grâce à une étude de 2017 validée par le Journal of Hospital Infection, l’équipe a découvert que le sel peut être compressé pour atteindre une forte densité, semblable à celle d’une surface dure, telle que la porcelaine. Et le chlorure de sodium élimine une myriade de bactéries comme l’E. coli, la salmonelle et le Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM), qui peut provoquer des infections et toucher aussi bien le cœur que les poumons.

L’entreprise issue des travaux de M. Olson, Outbreaker Solutions, cherche des partenaires pour mettre en marché son produit breveté. « Il y a une foule d’applications à envisager, des poignées de porte aux interrupteurs, et les hôtels s’y intéressent », explique Matt Hodgson, cofondateur d’Outbreaker, aux côtés de Brayden Whitlock. Les regards se braquent sur Outbreaker, qui a remporté un concours d’innovations sur la COVID organisé par Roche Canada : le géant pharmaceutique lui a consenti une subvention pour déterminer à quelle vitesse le coronavirus meurt au contact du nouveau matériau.

Les poignées de porte antivirus en sel compacté et les cloisons dernier cri pour mieux loger les porcs évoquent l’avant-garde, mais d’autres inventions antimicrobiennes plus conventionnelles surgissent aussi. La québécoise A3 Surfaces teste un procédé qui anodise et obture les pores de l’aluminium avec un agent antimicrobien exclusif, à appliquer sur les barres qu’on agrippe dans le métro et l’autobus. Le métal, protégé pendant au moins un an, peut être retraité. Une étude du Conseil national de recherches Canada a montré que le revêtement tuait 99,9 % des bactéries. L’évaluation de Santé Canada suit son cours.

À Etobicoke, l’ontarienne Myant a inventé des tissus de fibres antibactériennes, qui comportent du fil de cuivre. Au moins six études américaines l’ont prouvé, le cuivre, désinfectant naturel, élimine le coronavirus, entre autres micro-organismes. Myant propose déjà un masque, en vente sur son site. « De tels agents antimicrobiens pourraient s’intégrer à n’importe quel textile », explique Hannah Fung, directrice marketing. « Pensez aux sièges des salles d’attente et des transports en commun, des espaces fréquentés mais rarement désinfectés. »

Pour gagner le combat contre les microbes, il faudra prouver l’efficacité des armes à long terme.

Cela dit, certains se demandent si les matériaux antimicrobiens valent la peine qu’on s’y attarde. Aux États-Unis, les experts des Centers for Disease Control and Prevention signalent que peu d’études prouvent que les surfaces antimicrobiennes empêchent la propagation des maladies. Le cabinet-conseil McKinsey met en garde contre le danger économique de la résistance aux antimicrobiens (RAM) : les microbes s’adaptent aux antiviraux et antibactériens, qui deviennent inopérants. Et les revêtements naturels (comme le cuivre) ne sont pas nécessairement aussi durables que les matières qu’a inventées l’être humain. Une étude rapportée dans Genome Biology and Evolution a montré qu’à travers l’Histoire, le recours au cuivre a coïncidé avec l’émergence de micro-organismes résistants, notamment l’E. coli. Le coronavirus SARS-CoV-2, qui vient de naître, mute déjà. Va-t-il s’adapter aux boucliers désinfectants d’aujourd’hui? Pour remporter la bataille du marché antimicrobien, il faudra prouver l’efficacité des armes à long terme.

Dans le secteur des antimicrobiens, le risque de surinvestissement varie d’une entreprise à l’autre. La création de tissus parsemés de fil de cuivre de Myant ne s’éloigne pas outre mesure de ses activités bien établies : la production de vêtements munis de détecteurs qui mesurent les signes vitaux des patients. Pour son premier projet de lutte contre la COVID, l’entreprise a choisi les masques, car la demande était là. « Le gouvernement a lancé un appel aux entreprises pour contrer la pénurie d’équipement de protection individuelle, fait valoir Mme Fung. Notre direction a analysé sans tarder nos compétences de base pour trouver moyen de réorienter notre savoir-faire. Nos machines à tricoter, nos spécialistes, nos employés sont sous un même toit, ce qui nous rend extrêmement agiles. Nous sommes passés du concept à la commercialisation en quelques semaines. » En revanche, des entreprises comme A3 et Outbreaker courent davantage de risques : développer des technologies pendant des années, espérer que Santé Canada les approuvera, escompter que le marché sera au rendez-vous, que d’incertitudes. 

Qui ne risque rien n’a rien, selon le proverbe. On s’arrache déjà les cloisons TempWall de Trusscore. Pari tenu pour l’entreprise qui fabrique 400 panneaux par jour pour des hôpitaux d’Amérique du Nord. Les urgences des hôpitaux Grand River et St. Mary’s à Kitchener, en Ontario, ont servi de sites de tests (le directeur des urgences du St. Mary’s, le Dr Jay Green, a participé au développement de produit). Parmi les autres clients de Trusscore, le Wake Forest University Baptist Medical Center en Caroline du Nord et des centres de traitement de la COVID, installés à Hanover, à Kincardine et à London, en Ontario. Pratiques, les cloisons temporaires sont déplacées au besoin, pour assurer l’isolement dans des espaces bondés où, autrement, les patients auraient  du mal à respecter la distance de deux mètres.

Les cloisons TempWall ont servi de tremplin à Trusscore, au-delà des hôpitaux. En mai, la jeune pousse décrochait 5 M$ en capitaux de démarrage, un investissement inégalé depuis sa création treize ans auparavant. Oui, la recherche de capitaux avait commencé bien avant la COVID, mais le succès des cloisons TempWall pendant la pandémie a permis à Trusscore d’aller plus loin. Son prochain défi sera de se diversifier et d’adapter ses produits pour en faire des cloisons de bureau, par exemple. Après tout, les Canadiens s’apprêtent à retourner travailler sur place, au bureau. Et certains télétravailleurs cloîtrés chez eux entendent sans doute participer eux aussi à l’effort de réinstallation, en toute sécurité. 

DOSSIER COVID-19

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