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Homme suivant un cours de yoga sur l'écran mural de Mirror
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Magazine Pivot

Travailler (ses muscles) de la maison

Mirror et Peloton sont parmi les entreprises qui ont pris le virage : la mise en forme à domicile a la cote.

Homme suivant un cours de yoga sur l'écran mural de MirrorAvec Mirror, on peut suivre des cours virtuels entre amis et communiquer ses résultats (dépense calorique et fréquence cardiaque) sur Facebook. Un moyen de s’autocongratuler, mais aussi de montrer son allégeance au groupe. (Avec l’autorisation de Mirror)

Oui, c’est une battante. Comme vice-présidente des finances pour les Jeux olympiques de Vancouver, avec un mandat de cinq ans et un budget de 10 G$, Carey Dillen, CPA, a su éviter l’endettement et dégager des bénéfices, un exploit pour une ville hôtesse. Depuis 2015, elle dirige YYOGA, jeune pousse vancouvéroise qui compte 170 employés et 12 studios en Colombie-Britannique et en Ontario.

« La COVID a fait l’effet d’une douche froide », lâche Mme Dillen. En mars, le confinement l’a obligée à fermer tous les studios et à rembourser les abonnés. Le chiffre d’affaires s’est réduit comme une peau de chagrin. « Je n’avais jamais eu à licencier du personnel. J’ai eu de la difficulté. »

Cet exemple illustre la position précaire de nombre d’acteurs du milieu, aux prises avec une rentabilité en berne après des années d’expansion. Avant la COVID-19, l’industrie nord-américaine de la mise en forme pesait plus de 30 G$ par année, forte d’une croissance annuelle de 3 ou 4 %. Aujourd’hui, on ne compte plus les grandes chaînes américaines qui ont fait faillite, dont Gold’s Gym et 24 Hour Fitness. Le Conseil canadien de l’industrie du conditionnement physique prédit une « quantité massive de fermetures » en raison des pertes catastrophiques causées par la pandémie. 

Si les gymnases et studios de yoga trébuchent, c’est que leur modèle repose sur la présence physique. Même à l’ère d’Amazon et de Bumble, on veut rencontrer son entraîneur au gymnase et suivre un cours de Zumba en studio avec des amis, au lieu de regarder des démonstrations sur YouTube. Selon l’International Health, Racquet & Sportsclub Association, en 2019, un Nord-Américain sur cinq était abonné à un gymnase ou à un studio de mise en forme. Les applis et les équipements à la maison? Un plan B saisonnier, d’après LatentWorks Analytics, qui signale que le premier facteur de succès des centres sportifs, c’est le sentiment d’appartenance au groupe.

La COVID-19 n’a pas anéanti tout espoir de faire du sport ensemble, mais elle a changé la donne. Et les entreprises qui créent une atmosphère de camaraderie semblent prendre une longueur d’avance.

Prenez de jeunes pousses comme Peloton et Mirror, qui diffusent en temps réel des cours de cardiovélo, la première, sur l’écran de ses vélos stationnaires, la seconde, sur un écran mural au fini miroir. Côté esprit d’équipe, elles sont toutes deux en tête.

« Nos cyclistes tissent des liens entre eux et avec les instructeurs, partout dans le monde, un atout à l’ère de la distanciation sociale », souligne Jamie Herbert, directeur général de Peloton Canada. Grâce au « Leaderboard », une fenêtre où s’affiche la liste des membres qui suivent le même cours, et leurs données en temps réel (rythme cardiaque, cadence), l’utilisateur se fixe des objectifs et s’entraîne avec des coéquipiers en direct ou à la demande. « Les membres nouent des liens de camaraderie, au-delà de la plateforme Peloton », explique-t-il. Certains cybercyclistes se retrouvent sur un groupe Facebook et planifient même des séances d’entraînement à distance ou en personne.

Sur l’écran géant Mirror, qui affiche la liste des participants, d’où un sentiment d’appartenance et de proximité, on suit des cours virtuels entre amis et on communique volontiers ses résultats (dépense calorique et fréquence cardiaque) sur Facebook. Un moyen de s’autocongratuler, mais aussi de montrer son allégeance au groupe. 

Après plusieurs années difficiles, le titre Peloton a grimpé de 10 % cette année. Entre février et mars, les téléchargements de son appli ont quintuplé. Mirror, elle, s’est fait racheter par la géante vancouvéroise Lululemon pour 500 M$ US, une somme considérable pour une entreprise qui n’a que deux ans, même si elle compte Gwyneth Paltrow et Kate Hudson comme clientes.

Il reste un obstacle de taille à franchir : le prix. Il faut prévoir 2 600 $ US pour le vélo Peloton et 1 500 $ US pour l’écran Mirror, au bas mot. De la place, donc, pour des concurrentes qui ciblent des clients au budget plus raisonnable. La new-yorkaise NEOU a justement été fondée en 2019 par Nate Forster car sa sœur, mère célibataire de trois enfants, ne pouvait s’offrir un Peloton. Sa solution : une appli qui donne accès à 3 000 cours en tout genre, dont certains donnés en direct et signés SoulCycle ou Barry’s Bootcamp. Qu’on possède un vélo stationnaire, des poids, ou rien du tout comme équipement, on trouve son bonheur. Les gros plans et la musique entraînante évoquent l’ambiance dynamique d’un cours en salle. Et comme les cyclistes Peloton, les adeptes de NEOU peuvent voir qui parmi leurs amis suit le cours.

Le succès de NEOU dépasse le simple effet de mode. Parmi les 50 000 abonnés recrutés en un an (à raison d’environ 12 $ US par mois), le taux de fidélisation d’un mois à l’autre s’établit à 90 % – ce qui a valu à l’entreprise de recueillir plus de 30 M$ US de capital-risque. Évaluée à 40 M$, NEOU a pour ambition de devenir « la Netflix du conditionnement physique », révèle Jaime Kinsley, chef des communications. 

NEOU, comme Peloton et Mirror, née dans le numérique, offre d’emblée des séances connectées à domicile. Mais le virage du marché déborde le cadre du virtuel. Ainsi, ClassPass, lancée en 2013, donne à ses abonnés accès à un réseau de 30 000 salles de sport. Une idée novatrice : pourquoi se contenter d’un seul centre sportif quand toutes les portes s’ouvrent?

Hélas, la COVID a mis à mal cette idée. Ébranlés par la pandémie, 95 % des partenaires mondiaux de ClassPass ont dû fermer pour un temps. « Nous avons donc collaboré avec eux afin de proposer des cours virtuels dès mars », fait valoir Mandy Menaker, directrice des relations publiques. La demande a augmenté de 25 % d’une semaine à l’autre au cours des premiers mois. Certes, reconnaît-elle, les séances en ligne ne peuvent se substituer aux cours en présence, mais « les instructeurs dynamiques et motivants » réussissent à s’en rapprocher.

Bien avant la pandémie, en 2019, YYOGA s’était mise à offrir des cours en ligne sur son appli. Mais à l’époque, « bon nombre de nos membres en ignoraient l’existence », explique Mme Dillen. Si la préférence générale allait au yoga en personne, tout a changé en mars. À présent, aux membres de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, qui suivent les cours de leurs yogis préférés, donnés de chez eux ou en studio, s’ajoutent d’autres clients du monde entier, qui s’inscrivent en ligne.

Il reste que la transition ne s’est pas faite sans accrocs, et que YYOGA a dû fermer deux studios pour de bon. Le problème? Une séance en personne coûte 20 $, contre 8 $ par mois pour les cours en ligne. « YouTube regorge de cours gratuits, explique Mme Dillen. On essaie de donner une valeur ajoutée, grâce à des défis de groupe ou à des activités sociales en ligne. Mais le virtuel n’a pas encore remplacé le réel. »

DOSSIER COVID-19

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