L’impact de la guerre sur l’information financière : point de vue d’un expert

La guerre en Ukraine a un impact sur un large éventail de questions relatives à l’information financière, qu’il s’agisse d’estimations et de jugements importants ou de considérations sur des aspects comptables et sur les informations à fournir. (Emir Memedovsky/Getty Images)

La guerre en Ukraine a un impact important sur certaines questions de comptabilité et d’information financière, au moment où de nombreuses entreprises préparent leur rapport trimestriel. Deloitte Canada a publié récemment un rapport « IFRS in Focus », intitulé Financial Reporting Considerations Related to the Russia-Ukraine War, qui donne des précisions sur un large éventail de questions relatives à la présentation d’information financière, qu’il s’agisse d’estimations et de jugements importants ou de considérations sur des aspects comptables et sur les informations à fournir.

CPA Canada s’est entretenue avec Matt Welchinski, CPA, associé chez Deloitte, des répercussions du conflit sur l’information à présenter, et sur les aspects que les CPA devront prendre en compte.

CPA CANADA : Comment cette crise se compare-t-elle à une récession majeure ou à une catastrophe naturelle en termes d’information financière et d’évaluation des risques?
Matt Welchinski (MW) : Certaines choses sont les mêmes, d’autres sont différentes. Les catastrophes naturelles ont tendance à faire grimper le prix des matières premières. Et tant les récessions que les catastrophes mènent souvent à des crises humanitaires. Généralement, l’incertitude atteint une crête bien définie, mais dans le cas du conflit actuel, il semble que les choses évoluent rapidement.

La guerre, tout comme la pandémie, a donné lieu à des incertitudes qui ont entraîné une hausse du prix des matières premières et grippé la chaîne d’approvisionnement mondiale. L’escalade est un risque réel, étant donné la volatilité de la situation. Par ailleurs, on sait que la Russie est un important fournisseur ou producteur de matières premières. Cette crise change bien sûr la donne en ce qui concerne les évaluations, la liquidité, l’obtention de fonds, le respect des sanctions et la comptabilisation des produits, entre autres considérations relatives à la présentation d’information financière.

CPA CANADA : Quels aspects de la présentation d’information financière seront le plus touchés par le conflit qui fait rage en Ukraine?
MW : Parmi les éléments des états financiers qui exigent une certaine attention, je mentionnerai ceux-ci : la nécessité et l’importance des jugements et des estimations, les prévisions, la classification du résultat net en tant que résultat d’activités poursuivies par rapport à un résultat net d’activités abandonnées, la dépréciation et, enfin, la cession d’actifs non financiers. Et il y a évidemment bien d’autres considérations si l’entreprise exerce des activités au Bélarus, en Russie ou en Ukraine, ou si elle a une forte exposition à ces marchés.

La dépréciation et la recouvrabilité sont des aspects qui seront particulièrement complexes, étant donné que les projections et les données clés sont susceptibles de changer au fur et à mesure de l’évolution de la situation. La planification par scénarios pourrait se révéler nécessaire dans certains cas. Que vous soyez un professionnel de la finance, un dirigeant d’entreprise ou un planificateur, il sera essentiel de suivre de très près la situation pendant un certain temps.

CPA CANADA: Comment les sanctions seront-elles traitées, du point de vue des informations à fournir?
MW : Les sanctions créent des considérations supplémentaires importantes en matière de conformité, d’autant plus que ces sanctions varient d’un pays ou d’un ressort territorial à l’autre. Les banques disposent généralement de l’infrastructure nécessaire pour tenir compte des sanctions, en raison des programmes existants en matière de lutte contre la corruption et les paiements de facilitation. Certaines entreprises n’ont peut-être pas l’habitude de suivre de multiples sanctions réglementaires et pourraient de ce fait devoir investir dans la technologie ou des conseils extérieurs, si ce n’est pas déjà fait.

CPA CANADA : Quels types d’entreprises seront le plus touchés?
MW : Certaines institutions financières qui ont une exposition importante aux régions en question peuvent être directement touchées, parce qu’elles peuvent avoir des prêts ou d’autres instruments qui ne sont pas recouvrables. L’ampleur de l’exposition dépendra de la concentration de l’exposition à ces régions et de l’exposition (positive ou négative) aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement et du prix des matières premières. De nombreux producteurs de nickel, de blé, d’orge et de palladium, par exemple, pourraient en fait connaître une augmentation significative de leur chiffre d’affaires et de leur bénéfice, puisque les prix sont en hausse.

Matt Welchinski, associé chez Deloitte

CPA CANADA : Quels comptes exigeront davantage d’estimation et de jugement?
MW : La détermination de la valeur recouvrable des actifs (soldes de comptes) présentera sans doute le plus haut degré d’incertitude d’estimation. Certains jugements pourraient être nécessaires quant à la planification de scénarios, à la continuité de l’exploitation, ou encore à la nature et à l’étendue des informations à fournir. Il y aura probablement des zones grises au moment d’établir la juste valeur de certains actifs ou passifs. Dans certains cas, cette détermination reposera sur des modèles complexes, et des informations additionnelles devront être fournies.

CPA CANADA : Comment les risques et incertitudes liés à la guerre seront-ils pris en compte dans les tests de dépréciation?
MW : La valeur recouvrable des activités, des stocks et d’autres actifs peut changer considérablement en fonction de l’évolution de la situation. La détermination de la valeur recouvrable, ou juste valeur, pourrait créer une incertitude d’estimation importante. Divers scénarios devront être envisagés. On peut également s’attendre à ce que les taux d’actualisation augmentent en raison de l’intensification du risque et de l’incertitude.

CPA CANADA : En quoi le fait de mettre fin à des activités commerciales en Russie affectera-t-il l’information financière?
MW : Si vous avez décidé de ne plus y exercer d’activités commerciales, il pourrait y avoir des effets importants sur la dépréciation, et il faudra établir si ces activités doivent être considérées comme des activités abandonnées. Et si des actifs sont bloqués, il y aura des pressions importantes sur la valorisation et, aussi, une incidence sur la continuité de l’exploitation.

CPA CANADA : Que doivent faire les comptables pour se préparer à ce qui les attend dans les prochains mois?
MW : Outre les rapports financiers, il existe deux grandes considérations immédiates. Tout d’abord, les contrôleurs, les directeurs financiers et les responsables des questions de conformité doivent s’assurer que l’entreprise reste à flot et qu’ils n’enfreignent aucune loi ni aucun règlement, nouveaux ou modifiés, découlant des sanctions. La liste des sanctions instaurées par le Canada est potentiellement complexe : vous devez donc envisager de travailler avec un conseiller interne ou externe pour faire les choses correctement.

La seconde dépend des accords de financement et des contreparties. Si vous traitez avec une banque russe ou une contrepartie qui est une société ukrainienne incapable de fonctionner pour le moment, les problèmes de liquidités pourraient porter un coup dur à votre entreprise, à court terme, s’ils ne sont pas gérés de manière appropriée. Avant même d’aborder la question de l’information financière, il s’agit là d’éléments financiers et commerciaux très importants dont vous devez tenir compte. Vous devrez suivre de près l’évolution de la situation afin d’évaluer l’impact sur votre entreprise, au fur et à mesure que la situation évolue.

EN SAVOIR PLUS

Consultez les ressources de CPA Canada sur les Normes internationales d’information financière, les Normes comptables pour les entreprises à capital fermé, ou encore sur les rapports de gestion et autres rapports financiers.

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