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Deux magasins de prêt à court terme
Canada
Finances personnelles

« Le budget a braqué les projecteurs sur les prêts à conditions abusives »

Doretta Thompson, de CPA Canada, explique pourquoi les prêts à conditions abusives sont dangereux – et en quoi les propositions du dernier budget pourraient être un pas dans la bonne direction.

Deux magasins de prêt à court termeIl n’est pas rare que des gens aient plusieurs emprunts à la fois. (Shutterstock/dcwcreations)

Depuis des années, les Canadiens qui ont besoin d’argent (souvent des personnes à faible revenu) tombent dans le piège des prêteurs non traditionnels qui exigent des frais et des taux d’intérêt exorbitants. Voilà pourquoi le budget fédéral de 2023 propose de modifier le Code criminel pour limiter les frais et les intérêts que ces prêteurs facturent. Il propose, entre autres choses, de ramener de 60 % à 35 % le taux d’intérêt annuel maximum et de plafonner les frais à 14 $ par 100 $ empruntés (ces frais varient actuellement d’une province à l’autre et peuvent atteindre 20 $).
Nous nous sommes entretenus avec Doretta Thompson, chef du développement de la littératie financière à CPA Canada, pour comprendre l’importance des mesures proposées et ce qu’elles signifient pour les Canadiens.

CPA CANADA : Pourquoi les prêts à conditions abusives sont-ils dangereux?

DORETTA THOMPSON (DT) : Les prêts sur salaire et les prêts à tempérament à taux d’intérêt excessif coûtent très cher. Le problème réside essentiellement dans le fait que les personnes les plus vulnérables financièrement peuvent tomber dans une spirale d’endettement. Par exemple, une personne qui contracte un prêt sur salaire peu élevé pour régler une dépense d’urgence peut se trouver dans l’impossibilité de le rembourser dans le délai habituel de deux semaines. Elle s’expose à d’importantes pénalités et, pour s’en sortir, elle risque de demander une prolongation du prêt ou un prêt additionnel auprès d’une autre entreprise. Il n’est pas rare que des gens aient plusieurs emprunts à la fois. Et s’ils réussissent à rembourser leur emprunt, ils recevront constamment d’autres offres de prêt. C’est ainsi que les choses dégénèrent. Ils peuvent tout perdre à cause de ce qui n’était qu’au départ un petit prêt sur salaire.

Les prêts sur salaire ne sont pas assujettis au taux d’intérêt annuel maximal de 35 %. Ils sont régis par les provinces et le budget a réduit les frais à 14 $ par tranche de 100 $ empruntés. Il s’agit des frais sur une période de deux semaines, ce qui, sur un an, peut représenter jusqu’à 600 % du montant initial du prêt.

CPA CANADA : Les trois dernières années ont été particulièrement difficiles pour les Canadiens qui avaient déjà du mal à joindre les deux bouts. Ont-ils eu recours plus fréquemment à des prêts à conditions abusives?

DT : Selon l’Association of Community Organizations for Reform Now (ACORN), les prêts à tempérament ont bondi de 300 % entre 2016 et 2020, et la situation financière de nombreux Canadiens est devenue plus précaire au cours des trois dernières années. Les gens qui ont peu de moyens ou une mauvaise cote de crédit sont des proies faciles pour ces prêteurs non traditionnels. Les gens qui possèdent des actifs peuvent s’en sortir autrement.

CPA CANADA : Existe-t-il de meilleures options que les prêteurs non traditionnels pour les Canadiens à faible revenu?

DT : Les prêteurs non traditionnels sont une solution de dernier recours. La vaste majorité des Canadiens – et ce ne sont pas toujours des personnes à faible revenu – se tournent vers ces prêteurs parce qu’ils n’ont pas d’autres options. Ou bien ils ne sont pas admissibles à des prêts d’institutions traditionnelles, ou bien ils ont épuisé leur crédit. Le problème est complexe et c’est une bonne chose que le gouvernement braque les projecteurs sur les prêts à conditions abusives. Il sera toutefois important de trouver des façons d’offrir d’autres sources de prêt et de crédit aux Canadiens les plus vulnérables. Être pauvre coûte cher.

En 2021, Postes Canada et la Banque Toronto-Dominion envisageaient de lancer un nouveau produit de prêt personnel dans certains bureaux de poste, puis de l’offrir à l’échelle du pays, surtout dans les communautés rurales, éloignées et autochtones. Ce projet est en suspens pour une durée indéterminée, mais combien il serait souhaitable d’y revenir. Des pays comme la Grande-Bretagne et la France ont mis en place des programmes de ce genre, qui permettent d’accéder à certains services de base sans subir de menace et sans se tourner vers des prêteurs non traditionnels.

CPA CANADA : Quels conseils donneriez-vous aux Canadiens à faible revenu pour éviter qu’ils recourent à des prêteurs non traditionnels?

DT : Nous conseillons d’abord aux gens de se prévaloir de tous les avantages fiscaux auxquels ils ont droit. Le régime fiscal comporte d’importantes mesures de soutien du revenu, comme le remboursement de la TPS. Des centaines de millions de dollars ne sont jamais réclamés parce que de nombreux contribuables à faible revenu qui y seraient admissibles ne produisent pas de déclaration de revenus. Il existe, partout au pays, des comptoirs d’impôt gratuits offerts par le Programme communautaire des bénévoles en matière d’impôt (PCBMI) et soutenus par des CPA pour aider ces personnes à remplir des formulaires et à mieux comprendre le processus.

Nous suggérons ensuite aux gens de s’informer sur la terminologie et les processus bancaires de base pour qu’ils puissent entreprendre avec confiance des démarches auprès d’institutions de crédit traditionnelles et se protéger contre l’exploitation. Nous savons, par exemple, que les institutions financières offrent trop de produits aux personnes vulnérables, comme les nouveaux arrivants et les Autochtones. Les ateliers de littératie financière de CPA Canada sont destinés à outiller les gens dans ce domaine.

Nous leur suggérons aussi de créer un petit fonds d'urgence. Il serait irréaliste de s’attendre à ce que les personnes à faible revenu mettent assez d’argent de côté pour couvrir leurs dépenses de base pour trois ou six mois. S’ils arrivent petit à petit à épargner 400 $, soit le montant moyen des prêts sur salaire, même si cela prend du temps, ils éviteront peut-être de faire ce premier pas qui les plongera dans la spirale de l’endettement.

Dans les faits, la seule issue pour bien des gens pris au piège des prêts à conditions abusives est de demander la protection contre les créanciers. Les premières rencontres avec des syndics autorisés en insolvabilité sont gratuites. De plus, des organismes sans but lucratif donnent des conseils sur le crédit par l’intermédiaire du Conseil en crédit du Canada.

CPA CANADA : Selon l’ACORN, près d’un Canadien sur deux vit maintenant d’une paye à l’autre. Comment ces gens peuvent-ils se sortir de cette situation?

DT : C’est précisément en raison de ces statistiques que nous offrons gratuitement des programmes de littératie financière. Nous voulons aider les gens à comprendre leurs options financières, leurs ressources, leurs envies et leurs besoins, et à prioriser ensuite leurs objectifs budgétaires et d’épargne. Il n’y a pas que les gens du quintile inférieur qui vivent ainsi. Des particuliers considérés comme étant à revenu élevé peuvent se trouver dans la même situation.

Il est très important de demander de l’aide au plus tôt. Les personnes endettées attendent cinq ans en moyenne avant de demander de l’aide, ce qui se répercute sur tous les aspects de leur vie.

CPA CANADA : Croyez-vous que le plafonnement des taux proposé dans le budget fédéral contribuera à régler le problème lié aux prêts non traditionnels?

DT : Nous sommes heureux que le fédéral ait braqué les projecteurs sur ce problème et ait fait le premier pas en ramenant le taux d’intérêt à 35 % et les frais à 14 $ par tranche de 100 $ empruntés. Et aussi qu’il prévoie tenir des consultations. Il reste encore beaucoup de travail à faire sur le plan systémique, et nous espérons sincèrement que les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral travailleront de concert pour améliorer davantage la situation.

EN SAVOIR PLUS SUR L’ENDETTEMENT ET LES PRÊTS

Apprenez-en plus sur les prêts non traditionnels et voyez comment sortir de l’endettement et éviter la faillite. CPA Canada vous invite à consulter ses ressources en littératie financière et son résumé des mesures fiscales du budget fédéral.