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Canada
Économie

Le saviez-vous? Il vous revient de verser les taxes sur les services numériques.

Les taxes impayées sur les produits et services de géants comme Netflix et Spotify se traduisent par un manque à gagner de millions de dollars pour le Trésor public.

Vous payez un abonnement mensuel à Netflix, réservez parfois un hébergement sur Airbnb et recourez de temps à autre à Uber pour vos déplacements.

Ce que vous ne faites probablement pas, c’est de regarder votre reçu en ligne pour savoir combien il vous en a coûté de taxes sur ces services. Bonne – ou mauvaise – nouvelle : vous n’avez pas payé les taxes de vente.

En vertu des règles fiscales actuelles, qui n’obligent pas les entreprises étrangères comme celles mentionnées ci-dessus à percevoir les taxes de vente du fait qu’elles n’ont aucune présence physique au Canada, il revient au consommateur de verser les taxes dues à l’État. Ce qui veut dire que nous devrions maintenir un relevé de nos dépenses du genre et communiquer avec l’Agence du revenu du Canada (ARC) pour payer ce qu’il faut.

« Ça, c’est la théorie, mais, en pratique, personne ne le fait », dit Rosalie Wyonch, analyste des politiques à l’Institut C.D. Howe et auteure de Bits, Bytes, and Taxes: VAT and the Digital Economy in Canada, publié en août 2017. Selon ce rapport, si les six géants du commerce en ligne (Netflix, Spotify, Uber, Airbnb, Amazon [livres électroniques Kindle] et StubHub) percevaient la TPS/TVH, les coffres publics s’enrichiraient de quelque 97 M$. Mme Wyonch est d’avis que les lois fiscales du pays doivent être mises à jour pour tenir compte du commerce électronique mondial.

Dans un courriel transmis par le ministère des Finances du Canada à CPA Canada, on nous a précisé ceci : « Les fournisseurs de services situés à l’étranger qui n’ont pas de succursale au Canada mais qui fournissent des services par voie électronique ne sont généralement pas tenus de s’inscrire au registre de la TPS/TVH ni de percevoir ces taxes en vertu des règles législatives actuelles, la raison étant que ces services sont considérés comme ayant été fournis à l’extérieur du Canada. Le consommateur canadien, lui, est généralement tenu à l’autocotisation, donc, de remettre directement à l’ARC la TPS/TVH applicable à ces achats. » Cependant, tout montant de 2 $ ou moins n’a pas à être versé.

Or, l’ARC ne fait pas de « chasse aux sorcières » auprès des consommateurs ni auprès des entreprises étrangères, de sorte que les taxes théoriquement dues n’atteignent jamais les coffres publics. « Ça ne serait pas du tout populaire comme mesure, et bien peu rentable pour l’ARC d’un point de vue administratif », ajoute Mme Wyonch.

Trevin Stratton, économiste principal à la Chambre de commerce du Canada, a réfléchi à la croissance du commerce électronique et à son incidence sur les PME du pays.

« De plus en plus de consommateurs et d’entreprises se tournent vers le commerce en ligne. Plus qu’une tendance, c’est une réalité bien ancrée. Tout ça donne lieu à des occasions à saisir, parce que ça change la façon dont nous faisons des affaires et vendons des produits », explique M. Stratton.

« Actuellement, les entreprises situées à l’étranger ne sont pas tenues de percevoir les taxes de vente. Cette situation désavantage les entreprises d’ici, comparativement à leurs concurrents d’outre-frontière. »

VOUS BRASSEZ DES AFFAIRES À L’ÉTRANGER?

Jusqu’à récemment, les choses fonctionnaient de la même façon, ou presque, chez nos voisins du Sud. Toutefois, le mois dernier, une décision de la Cour suprême des États-Unis est venue changer la donne en permettant aux États d’exiger des fournisseurs étrangers qu’ils perçoivent la taxe de vente, ce qui pourrait être un autre irritant pour les entreprises canadiennes qui font des affaires en ligne aux États-Unis.

« Cette décision aura une incidence à l’échelle mondiale, c’est-à-dire que d’autres pays pourraient eux aussi revoir leurs règles fiscales, dit M. Stratton. Prenons l’exemple de nos entreprises : si elles font des ventes aux États-Unis, elles seront assujetties aux nouvelles règles en vigueur dans certains États. Or, si notre gouvernement fédéral ne met pas en place des règles du même genre, les principes d’équité seront mis à mal. »

Le débat sur la façon d’imposer la perception des taxes de vente sur les achats en ligne entre différents pays a également cours ailleurs dans le monde. Ainsi, d’autres pays (membres de l’Union européenne, Nouvelle-Zélande, Australie, Japon, Suisse et Afrique du Sud) ont modernisé leurs lois fiscales en se fondant sur les Principes directeurs internationaux pour la TVA/TPS de l’OCDE.

Objectif final? Mettre sur un pied d’égalité, sur le plan fiscal, toutes les entreprises qui ont pignon sur rue ou pignon sur Web (ou les deux) et qui proposent des produits ou services concurrentiels.

Pourquoi donc le Canada se fait-il tirer l’oreille? Et pourquoi notre gouvernement semble-t-il si peu enclin à accroître son assiette fiscale à juste titre? Nos élus craignent peut-être, pense Mme Wyonch, que les grands acteurs se retirent du Canada (un petit marché pour eux), et que les consommateurs ne comprennent pas l’à-propos de la taxe.

« Nous sommes conscients de cet enjeu depuis près de 20 ans... pourtant, le Canada est un des derniers pays à agir pour rectifier les choses, dit Mme Wyonch. On parle ici d’une mesure impopulaire, car les gens auraient l’impression qu’il s’agit d’une nouvelle taxe, alors qu’il ne s’agirait que d’un transfert de responsabilité au niveau de l’intermédiaire qui perçoit et remet la taxe. »

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, n’est pas convaincu, lui qui a affirmé l’an passé, au sujet d’une taxe proposée de 5 % sur les services Internet à large bande, qu’il n’entendait pas alourdir davantage le fardeau fiscal de la classe moyenne en instaurant une taxe sur les services Internet à haute vitesse – bref, une idée rejetée d’emblée.

Selon le ministère des Finances, l’enjeu reviendra sur la table à la session d’automne de la Chambre des communes. « Bien que le gouvernement ait clairement fait savoir qu’il n’entend pas soutirer d’argent aux citoyens canadiens abonnés à des services en ligne, il examine néanmoins les implications de la croissance rapide du commerce électronique sur notre régime fiscal », nous a-t-on dit par courriel.

Dans un mémoire prébudgétaire publié en 2018, CPA Canada a recommandé que le gouvernement fédéral procède à un examen exhaustif du régime fiscal canadien en vue de se pencher sur des enjeux comme la taxation des services numériques. Notre mémoire appelait à un examen mené par un groupe d’experts indépendants, dans le but de réduire la complexité et l’inefficience du régime fiscal ainsi que d’en rehausser l’équité et la compétitivité.

L’ALENA ET LE COMMERCE DE DÉTAIL

En cette période de négociations entre le Canada et les États-Unis au sujet de l’ALENA, il se présente un autre débat sur le relèvement des limites des achats exempts de droits de douane – le fameux « seuil de minimis » (valeur des envois par la poste ou service de messagerie en dessous de laquelle les articles peuvent entrer au Canada sans être frappés de droits de douane ou de taxes), actuellement fixé à 20 $ au Canada. Les États-Unis aimeraient bien que le Canada adopte leur propre seuil de 800 $US. Cette mesure serait bien accueillie par les consommateurs canadiens et nos PME, qui paient plus cher leurs intrants, comparativement à leurs concurrents d’autres pays. À l’inverse, les conséquences seraient moins favorables pour les commerçants canadiens exploitant des établissements de brique et de mortier, à qui la concurrence en ligne fait déjà très mal.

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LES CHOSES BOUGENT


La pression s’accentue à l’échelle du pays pour ce qui est d’exiger des entreprises de commerce en ligne étrangères qu’elles perçoivent les taxes dues, sachant que les achats en ligne des ménages canadiens sont estimés à plus de 20 G$ par année, soit 7 % des ventes au détail enregistrées au Canada.

En avril 2018, le Comité permanent du commerce international a déposé un rapport (Commerce électronique : regard sur certaines priorités commerciales des entreprises canadiennes) à la Chambre des communes qui incitait fortement le gouvernement à aller de l’avant avec les changements fiscaux souhaités par maints observateurs. Fait à noter par ailleurs, le gouvernement du Québec a été le premier, en avril dernier, à rendre obligatoire la perception de la TVQ (9,975 %) par les entreprises n’ayant aucune présence physique ou importante au Québec (cette mesure devrait entrer en vigueur en janvier 2019). D’autres provinces pourraient lui emboîter le pas. L’analyste Rosalie Wyonch, de l’Institut C.D. Howe, s’inquiète d’une éventuelle fragmentation des pratiques à l’échelle canadienne, ce qui obligerait les entreprises (canadiennes ou étrangères) à se conformer à des règles fiscales incohérentes ou incompatibles. « En l’absence de direction claire de la part du fédéral, on peut s’attendre à un manque d’harmonisation susceptible de nuire au régime fiscal dans son ensemble », déplore-t-elle.

Trevin Stratton est lui aussi d’avis que les barrières commerciales entre provinces et les règles non uniformes doivent être revues et corrigées, dans tout le pays. « Ajouter une taxe sur les services numériques à l’embrouillamini fiscal actuel n’améliorera pas la situation », affirme-t-il.

« Nous devons favoriser une application uniforme et prévisible de la taxe de vente, partout au Canada, par simple souci d’équité. Il faut le faire pour éviter une balkanisation des provinces, qui semblent se diriger dans des directions différentes », ajoute-t-il.

Bien des questionnements... d’autant plus que l’Agence du revenu du Canada vient de publier des projections selon lesquelles les taxes et impôts dus au gouvernement fédéral – par les particuliers et tous les types d’entreprises – devraient s’élever à plus de 47 G$ d’ici 2020. Les impayés du côté des entreprises, qui représentent un peu plus de la moitié de cette somme, comprennent les remises de TPS et les retenues à la source. Certains estiment que cette situation est en partie attribuable aux compressions budgétaires dans la fonction publique.