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Huit milliards d’humains : les estimations démographiques sont-elles justes?

À l’occasion de la Journée mondiale de la population, soulignée le 11 juillet, nous interrogeons des experts en démographie sur leurs calculs.

Une photo d'une rue animée d'Old Delhi montre la congestion et la surpopulationTandis qu’au Canada, les calculs et estimations démographiques sont vérifiés avec précision, des pays comme l’Inde, l’Afghanistan ou le Liban ne sont pas forcément en mesure de réaliser des dénombrements rigoureux. (Getty Images / Danny Lehman)

La Journée mondiale de la population est soulignée le 11 juillet depuis 1987, année où l’humanité a franchi le jalon des cinq milliards de personnes.

Au Canada, nous venons tout juste de dépasser les 40 millions d’individus, selon l’horloge démographique de Statistique Canada. Et d’après les Nations Unies, il y avait huit milliards d’humains sur Terre en novembre dernier. Un chiffre qui laisse pantois. Mais ces estimations sont-elles justes?

« Très justes », précise Don Kerr, professeur de démographie au King’s University College de l’Université Western. Du moins au Canada et dans d’autres pays du G7, où une économie avancée est gage de la qualité des données sur les naissances, les décès et l’immigration. Ailleurs, les Nations Unies se heurtent à des incertitudes : retards de recensement observés depuis des dizaines d’années, registres flous, absence totale de données d’état civil sont évoqués. La marge d’erreur de la dernière estimation mondiale s’établit à plus ou moins 2 %. Au Canada, elle se chiffre à 0,3 %, ce qui est plutôt précis.

OBJECTIF EXACTITUDE

Une telle exactitude s’appuie sur « la très grande compétence en démographie de Statistique Canada, explique Don Kerr. Le recensement quinquennal au pays, c’est du luxe », poursuit-il. Comme la majorité des pays effectuent leur recensement, au mieux, aux 10 ans, le système canadien se caractérise par une marge d’erreur moindre.

L’Horloge démographique du Canada reflète les données de l’année précédente, et les mesures réelles de la population correspondent aux estimations trimestrielles et annuelles du Centre de démographie de Statistique Canada.

Laurent Martel, directeur du Centre de démographie, fait le point : « Cette précision s’explique notamment par les dispositions de la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, appliquée par le ministère des Finances du Canada en vue du versement des paiements de transfert annuels aux provinces et aux territoires. » Autrement dit, il en va des exigences de la péréquation. Les estimations démographiques entrent dans le calcul des modalités de la distribution du fonds de 88 G$, dit-il.

Ces estimations étant ainsi un moteur important de l’économie, il est impératif de mesurer et de maintenir leur exactitude.

« Nous comparons nos estimations démographiques aux données de chaque recensement, explique Laurent Martel, afin d’évaluer leur précision aux cinq ans. Les chiffres concordent, ce qui prouve leur grande qualité. »

Don Kerr abonde dans le même sens. « Au Canada, nous disposons aussi d’estimations très précises de l’erreur de couverture au recensement. L’écart entre l’estimation et les résultats du dernier recensement, calculé aux cinq ans, est généralement d’environ 0,3 %. »

Les estimations de la population canadienne au premier trimestre ont été publiées à la fin de juin : au 1er avril 2023, nous étions 39,8 millions, un total un peu en deçà du jalon atteint deux mois plus tard, selon l’Horloge. Cette valeur s’appuie encore sur les données du recensement de 2016, mais les estimations basées sur celui de 2021 seront présentées en septembre 2023.

UNE IMAGE INCOMPLÈTE

Et les estimations de la population mondiale? « 152 des 237 pays qui transmettent leurs données aux Nations Unies ont pu s’appuyer sur un recensement ou un registre de l’état civil postérieur à 2014 », ajoute Don Kerr.

Tandis que le Canada se fonde sur les données du recensement de 2021, d’autres pays n’ont pas accès à des renseignements aussi précis. « L’Inde, qui compterait 1,4 milliard d’habitants, le pays le plus peuplé du monde, tente encore de terminer son recensement de 2020, retardé par des problèmes logistiques causés par la pandémie », poursuit-il.

Pour le Nigéria, le plus grand pays d’Afrique, les Nations Unies disposent d’un recensement de 2006. En Afghanistan, le dernier exercice remonte à 1979, et au Liban, à 1932.

Patrick Gerland, chef des estimations démographiques des Nations Unies, confirme qu’il est parfois difficile d’en arriver à un chiffre précis. « Dans un pays comme le Liban, la situation politique empêche la tenue d’un recensement. La République démocratique du Congo n’a pas été en mesure d’en tenir un depuis 1917. »

Pour ce qui est des pays déchirés par la guerre et des troubles politiques, les Nations Unies ne disposent que de données limitées et doivent recourir à des hypothèses. « Pensons aux crises humanitaires, comme en Syrie ou au Yémen, qui impliquent des millions de déplacés et de réfugiés », fait observer Patrick Gerland.

Les facteurs dont tiennent compte les Nations Unies dans les calculs des marges d’erreur varient en fonction de la situation. « Certains pays connaissent une période de dysfonctionnement relatif qui finit par s’estomper », résume Patrick Gerland.

Par exemple, pendant que la politique de l’enfant unique, éliminée en 2016, avait cours en Chine, de nombreuses naissances n’étaient pas déclarées en raison des pénalités imposées. « Pour calculer le nombre d’enfants en Chine à l’époque, il fallait attendre qu’ils deviennent adultes, constate-t-il. Ces personnes finissaient par apparaître dans les données du recensement et du système d’éducation, deux sources indépendantes qui permettent d’étayer les estimations. »

Quant aux estimations de la population mondiale, Laurent Martel est d’avis que malgré la marge d’erreur élevée, les Nations Unies s’y prennent de main de maître. « Que ce soit pour les estimations ou les projections démographiques, la rigueur est de mise, et les résultats reflètent la qualité de la démarche », dit-il.

Des contraintes demeurent, toutefois. Don Kerr résume : « Les Nations Unies proposent le meilleur chiffre possible, mais l’estimation voulant que nous ayons franchi le cap des huit millions d’habitants en novembre dernier est très incertaine. C’est peut-être arrivé en 2021, voire en 2020, tout comme il est envisageable que le moment charnière n’ait lieu que cette année ou l’an prochain. »

ENJEUX ÉCONOMIQUES

Voyez ce que pense l’économiste en chef de CPA Canada, David-Alexandre Brassard, des enjeux de l’heure tels que la politique d’immigration et les contraintes financières que vivent les jeunes.