Passer au contenu principal
Voyageurs traversant un hall d'aéroport
Articles de fond
Magazine Pivot

Parier (gros) sur l’immigration

L’accueil massif d’immigrants pour faire croître l’économie pose des défis que l’on passe sous silence.

Voyageurs traversant un hall d'aéroportEn 2022, le Canada comptait environ deux millions de dossiers (citoyenneté, permis de travail, résidence temporaire, etc.) en attente. (Getty Images/Stuart Gregory)

Pour faire face au vieillissement de la population, le Canada mise sur sa capacité à attirer des immigrants et à les intégrer. Un exercice qui, par le passé, s’est généralement avéré une réussite, puisque le pays accueille proportionnellement plus d’immigrants que les autres membres du G7. On observe aussi au Canada un taux de rétention élevé et stable, ainsi qu’une intégration économique complète pour la deuxième génération. Le gouvernement fédéral a donc l’intention d’appuyer sur l’accélérateur. Pour 2025, sa cible est de 500 000 immigrants, comparativement aux 465 000 prévus en 2023 et aux 405 000 accueillis en 2021. Hélas, les succès du passé ne sont pas garants de ceux de l’avenir, et certains problèmes actuels seront exacerbés par un nombre grandissant de nouveaux arrivants.

Un système saturé

Le système d’immigration craque déjà sous la pression. En 2022, on comptait environ deux millions de dossiers (citoyenneté, permis de travail, résidence temporaire, etc.) en attente, dont la moitié devait être traitée dans les délais normaux – ce qui ne veut pas dire rapidement, loin de là. Le retard s’était déjà accru durant l’été 2021, quand l’immigration retrouvait son erre d’aller après le ralentissement connu en début de pandémie. Autrement dit, le rythme de traitement actuel est problématique alors que nous sommes en deçà des cibles visées pour 2025.

Coté immigration irrégulière, on a dénombré près de 65 000 demandes d’asile en 2022, soit deux fois plus que la pire année de la décennie et cinq fois plus que la moyenne annuelle. La fermeture du chemin Roxham soulagera un peu le système, ce qui permettra de concentrer les efforts sur le traitement des dossiers de réfugiés « officiels » tout en diminuant la pression sur un système aux ressources limitées, mais tout n’est pas réglé.

Pas sûr non plus que nous puissions fournir des habitations à coût raisonnable à ces nouveaux arrivants. La période pandémique a été marquée par une accélération historique de la construction résidentielle (comparable à celle des années 70), mais Desjardins estime qu’une hausse additionnelle de 50 % des activités de construction sera nécessaire pour répondre aux besoins. Dans une industrie qui fait face à des pénuries de main-d’œuvre et à une faible croissance de la productivité, cet objectif semble inatteignable. La pression sur le coût des logements demeurera donc problématique, particulièrement pour les immigrants, qui sont généralement moins bien payés à leur arrivée. Ils sont d’ailleurs presque deux fois plus nombreux que les non-immigrants à débourser 30 % ou plus de leurs revenus pour couvrir leurs frais d’habitation.

Des enjeux bien connus

La répartition géographique des immigrants est un autre défi récurrent. Ceux-ci se dirigent généralement vers les villes comme Toronto, Montréal, Vancouver, Calgary, Edmonton et Winnipeg, ce qui pose des défis sur le plan du renouvellement de la population et de la croissance économique hors des grands centres. S’ensuit une plus grande précarité chez les immigrants qui s’installent dans des villes où la vie coûte plus cher qu’ailleurs. À l’inverse, les provinces maritimes reçoivent moins d’immigrants, ce qui aggrave leurs défis liés au vieillissement de la population.

La surqualification demeure aussi problématique, notamment chez les immigrants universitaires, dont la fréquence de la surqualification pour leur emploi est de 24 % supérieure à celle des non-immigrants.

La question des travailleurs étrangers temporaires n’est toujours pas réglée non plus. On en dénombrait sept fois plus en 2021 qu’au début des années 2000. Récemment, ce nombre s’est stabilisé à environ 750 000, mais il devrait de nouveau grimper avec les modifications apportées au programme en 2022. Si cette main-d’œuvre peu coûteuse (mais aussi plus vulnérable) permettra de combler davantage d’emplois récurrents moins spécialisés, elle ne constituera pas une approche d’immigration « efficace » si le taux de transition vers la résidence permanente est faible.

Croissance à tout prix?

Un Canada à 100 millions d’habitants en 2100 et une économie qui croît en conséquence ne sont pas nécessairement des objectifs louables. Ce qu’on veut, c’est un meilleur niveau de vie à un coût abordable pour les Canadiens (donc, que le PIB par habitant soit important) dans un Canada uni – là encore, il y a une capacité d’absorption maximale. Or le gouvernement a les yeux plus grands que la panse. Plutôt que de simplement hausser les cibles d’immigration année après année, il devrait prioriser la qualité de l’immigration et améliorer nos services d’intégration.

REGARD ÉCONOMIQUE

David-Alexandre Brassard, économiste en chef à CPA Canada, se prononce sur la solidité du système bancaire canadien et se demande si les jeunes ont plus de mal à s’enrichir que leurs ainés.