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Une rangée de drapeaux des trois pays d'Amérique du Nord côte à côte lors des négociations commerciales avec l'ALENA
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Nouvel ALENA : Quelle sera l’incidence de l’AEUMC sur votre entreprise?

Le nouvel accord de libre-échange favorisera globalement l’économie et l’investissement canadiens, prévoient les juristes. Voici comment vous y préparer.

Une rangée de drapeaux des trois pays d'Amérique du Nord côte à côte lors des négociations commerciales avec l'ALENAUne fois l’accord adopté, le Canada sera en meilleure position aux chapitres du commerce, de l’investissement et de l’économie dans son ensemble, estime Mark Warner, avocat de droit commercial international et directeur principal du cabinet MAAW Law. (Bloomberg Creative Photos/Getty Images)

Pendant que le monde retient son souffle en attendant la ratification de l’Accord États-Unis–Mexique–Canada (AEUMC) signé en novembre lors du sommet du G20 à Buenos Aires, en Argentine, les entreprises canadiennes peuvent se préparer à l’incidence du nouvel accord.

Certains le considèrent comme un simple remaniement de l’ALENA, avec de faibles gains pour le Canada, mais d’autres y voient des perspectives de croissance et de nouveaux débouchés après une période d’incertitude. Quel que soit votre point de vue, les entreprises doivent tenir compte de nouveautés importantes, affirment les juristes.

En voici un aperçu :

COMMERCE NUMÉRIQUE

Contrairement à l’ALENA, l’AEUMC comprend un chapitre sur le commerce numérique et des dispositions concernant le flux et la protection des données, le commerce électronique, la cybersécurité, etc.

Inspiré du contenu de l’accord commercial Partenariat transpacifique (PTP), rebaptisé Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) après le retrait des États-Unis en 2017, le chapitre comporte cependant quelques distinctions.

Souveraineté des données : L’AEUMC prévoit des restrictions sur les politiques de localisation de données qu’utilisent les entreprises pour conserver les renseignements personnels numérisés à l’intérieur d’un territoire local. Des provinces comme la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse, qui ont déployé de grands efforts pour conserver les renseignements sensibles du secteur public dans leur territoire, pourraient avoir du mal à le faire en vertu de ces nouvelles règles.

Flux des données : L’AEUMC ne comporte pas les mêmes dispositions que le PTP, qui permet aux diverses parties d’adopter leurs propres exigences réglementaires en matière de transfert de données. Autrement dit, le nouvel accord pourrait faire abstraction d’approches différentes concernant le flux transfrontalier de données.

Transfert d’information : En vertu de l’AEUMC, aucune partie ne doit « interdire ou restreindre » le transfert d’information par des moyens électroniques, y compris des renseignements personnels, à des fins d’affaires. Le PTP, au contraire, autorise ce transfert d’information.

« Certaines règles visent à éliminer les obstacles au flux d’information numérique pratiqué dans le secteur des services financiers », précise Clifford Sosnow, conseiller juridique en commerce international, investissements et lutte contre les pots-de-vin et cochef des groupes Commerce international et droit douanier et Investissements de Fasken. « Mais il y a des exemptions, et il sera difficile de déterminer si elles s’appliquent. »

M. Sosnow recommande aux professionnels en finance de lire le chapitre de l’AEUMC sur les services financiers, qui énonce de nouvelles restrictions concernant notamment l’accès au marché, la localisation d’installations informatiques et le transfert transfrontalier de données.

« Les règles peuvent faire l’objet d’une foule d’exceptions, ajoute-t-il. Il faut les assimiler pour bien comprendre la portée des avantages à en tirer. »

MOBILITÉ DE LA MAIN-D’ŒUVRE

Bien que le Canada ait insisté sur ce point, les négociations commerciales n’ont pas abouti à l’assouplissement des exigences d’admissibilité à des permis de travail pour les professionnels des affaires canadiens, dont ceux de la finance. Les dispositions ressemblent plutôt à celles de l’ALENA, malgré les exigences de l’économie numérique et la mobilité accrue de la main-d’œuvre mondiale.

« Côté positif, nous conservons nos acquis. Côté négatif, l’accord n’a pas été modernisé en fonction des nouvelles catégories, dont celle du commerce numérique », résume Mark Warner, avocat de droit commercial international et directeur principal du cabinet MAAW Law, qui pratique au Canada et aux États-Unis.

« Toutefois, l’accord prévoit la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles dans diverses professions, ajoute M. Sosnow, sous réserve du consentement des organismes professionnels concernés. La libéralisation accrue du mouvement transfrontalier de professionnels devra encore attendre », conclut-il.

PLANIFICATION, STRATÉGIE, COMPÉTITIVITÉ

L’AEUMC a une incidence sur une foule de secteurs, dont ceux de l’automobile et de l’agriculture. Les entreprises actives dans le commerce et les investissements transfrontaliers doivent en tenir compte dans la planification de leurs activités, leur stratégie et leur compétitivité.

« Vous devez comprendre l’incidence de ces nouvelles règles sur votre chaîne d’approvisionnement, affirme Brenda Swick, avocate en commerce international et investissements, et associée du cabinet Cassels Brock Lawyers. Les entreprises canadiennes doivent savoir qu’elles pourront aussi bénéficier de plusieurs autres accords commerciaux. »

Mme Swick fait allusion notamment à l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG), en vigueur depuis 2017, qui réduit et élimine les tarifs entre le Canada et l’Union européenne, et au PTPGP, prévu pour 2019, qui étend les perspectives de commerce et d’investissement de ses 11 pays membres.

Contrairement aux accords de libre-échange (ALE) avec d’autres pays, l’AEUMC comprend une disposition concernant les pays à économie planifiée, en l’occurrence la Chine, et exigeant la divulgation d’un texte sur les négociations au moins 30 jours avant la signature d’un accord. Elle prévoit aussi la résiliation de l’AEUMC et son remplacement par un accord bilatéral modifié, ce qui exclurait la partie qui conclut un nouvel accord commercial avec un pays à économie planifiée. Certains croient que cette disposition vise à décourager les négociations commerciales bilatérales en cours entre le Canada et la Chine.

« Il existe d’autres pays à économie planifiée, mais cette disposition vise vraisemblablement les accords avec la Chine, confirme M. Sosnow. Si le Canada devait négocier avec la Chine, il devrait le faire avec plus de transparence qu’en d’autres cas et tenir compte de l’incidence sur les États-Unis, ou risquer de faire face à une réaction négative et à la menace de résiliation de l’AEUMC. »

Les récentes tensions diplomatiques entre le Canada et la Chine, provoquées notamment par l’arrestation de la directrice financière d’Huawei à Vancouver et par la détention de ressortissants canadiens en Chine, ont aussi entraîné l’annulation d’un voyage en Chine de Mélanie Joly, ministre du Tourisme, et le report de l’ouverture d’un magasin Canada Goose à Beijing. L’avenir des relations commerciales entre les deux pays est donc en mutation permanente.

MENACE TARIFAIRE

En ce qui concerne le maintien des tarifs sur l’acier et l’aluminium, Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères, a rappelé aux Canadiens, dans le cadre de l’émission The National de CBC, que ces tarifs sont traités séparément des négociations de l’AEUMC.

« C’est comme une épée de Damoclès, qui a une réelle incidence sur les entreprises et les familles au Canada, aux États-Unis et au Mexique », affirme Maryscott Greenwood, chef de la direction du Conseil des affaires canadiennes-américaines (CABC).

Mme Swick ne croit pas que les tarifs disparaîtront de sitôt. Elle recommande aux entreprises canadiennes de se pencher sur d’autres accords commerciaux. « Face à ces tarifs de représailles qui nuisent énormément, vous devez tirer parti d’autres accords de libre-échange que le Canada a le bon sens de négocier afin que les entreprises soient moins dépendantes des États-Unis », explique-t-elle. (Voir ALENA et tarifs douaniers : prévoyez dès maintenant divers scénarios)

DE L’INCERTITUDE AUX DÉBOUCHÉS

Si les opinions varient quant à la situation du Canada dans le cadre de l’AEUMC, on se réjouit toutefois de la quasi-adoption d’un accord. Après plus d’un an de négociations intenses, il s’agit d’un grand pas en avant.

« Dans l’ensemble, il est avantageux de voir les négociations se conclure, car l’incertitude liée à la menace des États-Unis de se retirer entièrement et la perspective de passer à un accord trilatéral plutôt que bilatéral étaient problématiques pour le milieu des affaires », explique Mme Greenwood.

« Une fois l’accord adopté, le Canada sera en meilleure position aux chapitres du commerce, de l’investissement et de l’économie dans son ensemble, tout en étant en mesure de poursuivre ses relations avec notre partenaire commercial le plus important, les États-Unis », ajoute M. Warner.

« L’adoption de cet accord réduira davantage l’incertitude commerciale qui, selon moi, a grandement nui aux investissements importants au Canada. Tel est l’avantage réel pour l’économie canadienne », estime-t-il.

« Il n’en reste pas moins que nous côtoyons l’économie la plus importante du monde, rappelle M. Warner. Il s’agira encore du marché le plus vaste et le plus important pour le Canada, et nous avons réussi à conserver l’essentiel de ce que nous avions acquis en 1994. »

POUR EN SAVOIR PLUS

Vous voulez en savoir plus sur l’incidence des guerres commerciales, comme la renégociation de l’ALENA, sur les entreprises? Lisez Incidence des guerres commerciales sur les entreprises, l’entrevue de CPA Canada avec Laura Dawson, directrice du Canada Institute au Wilson Center.