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Pourquoi ne pas instaurer une taxe pour chaque kilomètre parcouru selon le profil des véhicules en circulation, se demande Pierre-Olivier Pineau. (tous droits réservés)
Magazine Pivot

Mettre un terme à la politique de l’autruche

Dans L’équilibre énergétique, Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal, explique les tenants et les aboutissants de notre dépendance nationale aux hydrocarbures.

Pourquoi ne pas instaurer une taxe pour chaque kilomètre parcouru selon le profil des véhicules en circulation, se demande Pierre-Olivier Pineau. (tous droits réservés)Pourquoi ne pas instaurer une taxe pour chaque kilomètre parcouru selon le profil des véhicules en circulation, se demande Pierre-Olivier Pineau. (tous droits réservés)

Pierre-Olivier Pineau est un habitué des médias, qui l’invitent souvent à se prononcer sur des questions de transition énergétique. La parution de son essai L’équilibre énergétique (Robert Laffont, 2023) offre au titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal l’occasion de livrer sa vision globale du sujet. Il faut dire que la lutte contre les changements climatiques est un point sensible au Canada, où les énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) contribuent à environ 80 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) – comparativement à 70 % au Québec.

Mauvais élève?

Notre niveau de consommation d’énergie est loin d’être exemplaire, juge l’expert. « Avec 224 gigajoules (GJ) par habitant en 2018, cette consommation est en fait quatre fois plus élevée que la moyenne mondiale (54 GJ). » À titre de comparaison, « la Norvège, qui n’a pas exactement un climat tropical et n’est pas non plus un minuscule pays, consommait 164 GJ par personne en 2018 ». Et la Chine? Un petit 60 GJ.

Quant aux GES, « les 49 milliards de tonnes de GES émises par les humains sur Terre en 2018 correspondent à une moyenne de 6,4 t par personne. Le Québec, pour sa part, a une moyenne de 9,8 t, ce qui est plus élevé que la moyenne mondiale, mais beaucoup moins que la moyenne canadienne de 19,4 t ».

Des racines profondes

Le problème? Notamment notre mode de vie : plus d’objets, plus de véhicules, plus de bâtiments, plus de calories. Un quatuor énergivore qui n’a pas été bridé depuis 200 ans. Ainsi, le nombre de véhicules a augmenté beaucoup plus rapidement que la population. Entre 1980 et 2019, le nombre de voitures pour 1 000 habitants aux États-Unis est passé de 614 à 874 (+ 42 %). La tendance est similaire au Québec, estime Pierre-Olivier Pineau. La distance moyenne parcourue en véhicule, par personne, est passée de 11 000 km par an à près de 16 000 km (+ 48 %), et le poids des véhicules a augmenté de 30 %, ce qui a annulé l’amélioration de 30 % de la consommation moyenne d’essence. Une moins grande dépendance aux énergies fossiles améliorerait pourtant, entre autres, les finances des ménages canadiens puisque leurs dépenses annuelles moyennes pour le transport étaient de 10 492 $ en 2019, derrière le logement (15 821 $ en moyenne) mais devant l’alimentation (9 847 $).

Le même constat peut être fait pour les bâtiments. « Les améliorations de l’efficacité énergétique des véhicules et des bâtiments n’ont aucunement réduit la consommation d’énergie parce qu’on a collectivement choisi plus de voitures et de maisons, et de plus grandes dans les deux cas. » Même topo côté transport de marchandises, un secteur dont les émissions représentent plus de 40 % des émissions au Québec, à défaut d’avoir imposé notamment des normes sévères aux camions lourds.

Faire du neuf avec du vieux

Pourtant, Pierre-Olivier Pineau multiplie les mises en garde et les solutions. Par exemple, le train, bien plus approprié que le camion pour le transport de marchandises, consomme en outre près de trois fois moins d’énergie par passager qu’une voiture électrique.

L’étalement urbain doit aussi être freiné car il coûte cher à la société, et pas seulement en infrastructures. Ce qui n’implique pas d’aller tous habiter en ville, mais de mieux réglementer en vue d’interdire le dézonage de terres agricoles ou de densifier les milieux de vie. Il faut de surcroît valoriser l’autopartage, le transport en commun, la marche ou la bicyclette. Cette dernière ne peut évidemment pas répondre à tous les besoins de mobilité, mais elle reste 18 fois plus efficace que l’auto (en prenant en compte la moyenne de personnes par voiture, soit 1,6).

Autrement dit, alors qu’on se concentre souvent sur des technologies de rupture (comme le captage et la séquestration du carbone, l’hydrogène ou les énergies marines), on devrait commencer par lever le pied et exploiter ce qu’on a déjà.

Mettre fin aux tricheries

D’après Pierre-Olivier Pineau, un autre problème à régler est celui du laisser-faire à l’égard de « tricheries ». Pourquoi les pollueurs peuvent-ils encore agir impunément? Une taxe adéquate les découragerait et générerait des revenus permettant de trouver des solutions à cette pollution. Et pourquoi accordons-nous des subventions aux industries polluantes? Et quel besoin y a-t-il de développer un réseau routier d’une telle ampleur gratuitement pour tous? « Jusqu’à un certain point, il est parfaitement souhaitable que l’accès aux routes soit gratuit et universel. Le problème avec cette gratuité se trouve dans l’utilisation exagérée des routes. » Pourquoi ne pas instaurer un montant par kilomètre selon le profil des véhicules qui y circulent? « Cela permettrait de générer des revenus pour que les routes ne soient plus financées par l’ensemble de la société, mais directement par les utilisateurs. » Bref, il est urgent de sortir des ornières énergétiques dans lesquelles nous sommes embourbés.

Des lectures éclairantes

CPA Canada offre un éventail de ressources sur les enjeux de durabilité. Pour en apprendre davantage sur la communication d’informations relatives aux enjeux sociaux, voyez ces outils : ESG : les organisations (et les CPA) ont le « S » dans la mire et L’importance croissante du volet social : introduction aux aspects sociaux des enjeux ESG. Voyez aussi ces orientations : Incidences sur les entreprises des grands enjeux environnementaux et sociaux, Façons dont les CPA peuvent mener des initiatives ESG et Environnement, société et gouvernance, une stratégie à bâtir pour les petits et moyens cabinets.

Lisez également pourquoi notre obsession pour la croissance est un frein au progrès social et comment mener à bien la révolution des protéines, un repas à la fois.