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Articles de fond
Magazine Pivot

Ralentir ou périr? Un choix qui ne fait toujours pas l’unanimité.

Notre obsession pour la croissance est un frein au progrès social et un accélérateur de l’effondrement écologique, explique un économiste dans un essai récemment paru.

Couverture du livre Ralentir ou périr de Timothée Parrique montrant une montagne le sommet pointant vers le basSelon Timothée Parrique, la phobie du ralentissement nous a hélas fait ériger la seule croissance du PIB en véritable modèle de civilisation.

On dirait l’amorce d’un film catastrophe : la croissance ralentit, le produit intérieur brut (PIB) se replie, nous entrons en récession. Croissance et PIB sont pourtant loin d’être des indicateurs adaptés à notre époque, explique l’économiste Timothée Parrique, dans son livre Ralentir ou périr – L’économie de la décroissance (Seuil, 2022). Et pour cause, le PIB a été inventé par Simon Kuznets pendant la Grande Dépression. Difficile d’imaginer contexte plus différent du nôtre. De surcroît, le PIB ne mesure que la partie émergée d’une structure beaucoup plus importante et se limite aux valeurs d’échange. Par exemple, il ne tient compte d’un arbre (essentiel à notre survie) que si celui-ci est abattu et monétisé. Le PIB ne dit rien non plus de la nature positive ou négative des biens et services produits. Bref, sa croissance n’est pas forcément une bonne nouvelle car « ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui est compté ne compte pas forcément », rappelle Parrique.

Quant au concept de croissance, « ce totem des sociétés modernes devenu obsession aussi bien individuelle que collective », il est lui aussi dépassé selon le chercheur en économie écologique à l’Université de Lund (Suède). En effet, souligne-t-il, la croissance économique dans une économie de marché dépend des consommateurs (disposés à acheter toujours plus en maximisant leurs revenus), des entreprises (prêtes à vendre toujours davantage pour augmenter leurs bénéfices) et du gouvernement (qui soutient l’ensemble de ce processus pour faire croître son PIB). Hélas, « la phobie du ralentissement nous montre bien que nous avons érigé la croissance du PIB, ce thermomètre rustique des années 1930, en un véritable modèle de civilisation ».

Pensée magique

Bien entendu, les initiatives vertes se multiplient, mais pour Parrique, la croissance verte est une légende. Par exemple, certains pays se félicitent d’avoir réduit leurs émissions de CO2 quand ils ont simplement délocalisé des activités vers des pays émergents.

Par ailleurs, on peut bien décarboner l’économie avec des énergies à faibles émissions, des voitures électriques ou des biocarburants, mais cela se fait toujours au prix d’autres impacts. « La construction d’une voiture électrique demande 6 fois plus de matériaux qu’une voiture thermique, et les énergies renouvelables demandent 10 fois plus de métaux par kilowattheure que leurs homologues fossiles. » Des ressources qui sont pourtant clairement limitées et de plus en plus difficiles à extraire, explique ce porte-étendard de la décroissance. Ainsi, entre autres exemples, la concentration moyenne de cuivre dans le minerai extrait est passée de 4 % dans les années 1930 à 1 % aujourd’hui.

Sans parler de l’effet rebond de nos gestes verts (comme utiliser davantage une voiture plus sobre que la précédente), ni du fait qu’on ne peut pas recycler tout, à l’infini. La preuve : entre 2013 et 2018, le taux de recyclage d’équipements électriques et électroniques des pays de l’Union européenne n’a augmenté que de 8 % pour atteindre 38 %.

Et puis il y a les freins technologiques. Depuis les années 1970, la quantité d’énergie consommée par passager-kilomètre a diminué de 80 %, mais le trafic a augmenté de 1 236 % durant la même période. Résultat : l’empreinte de l’aviation a triplé en cinquante ans.

Bref, vu l’urgence climatique, la croissance verte est simplement impossible.

Virage durable

D’où l’injonction à ralentir plutôt qu’à relancer, à imaginer la décroissance comme une transition vers une économie de la post-croissance, soit « une économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance ».

Le thème de la décroissance n’est pas nouveau – le Québec, comme le rappelle Parrique, a eu ses adeptes de la simplicité volontaire, « un mode de vie consistant à réduire sa consommation de biens en vue de mener une vie davantage centrée sur des valeurs essentielles » –, mais le mouvement jouit d’une grande popularité.

Si un nombre grandissant d’organisations ou de collectivités (comme des villes ou des villages) s’y intéressent, on devine que d’autres, à commencer par les politiques, refusent la discussion sur les ravages du capitalisme, les inégalités de richesse ou l’impossible découplage entre production de richesse et pollution. Il existe pourtant de nombreux moyens de s’attaquer au problème, pourvu qu’on veuille adopter comme projet de société un esprit de justice sociale et de souci du bien-être. Comment? En travaillant davantage en faveur de la vie associative. En passant du temps en famille ou en formation. En imposant des limites à la rentabilité et à certains salaires. En fixant des niveaux de production et de consommation qui ne soient pas en augmentation constante. Entre autres.

Essai coup de poing, Ralentir ou périr (disponible au Québec en version électronique) intéressera particulièrement les CPA qui doivent comptabiliser différents capitaux (manufacturé, naturel, social, humain…). En plus de les aider à mieux comprendre ce que la création de valeur pourrait aussi être, sa lecture est susceptible de les aider à jouer un rôle stratégique dans leur organisation grâce à l’adoption d’indicateurs plus durables que ceux ayant cours. Qui sait si elle ne leur donnera pas envie d’être les instigateurs d’un nouveau système économique, qu’il est devenu urgent d’élaborer.

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