Intérieur d'un train dans le métro. Pris dans un train de Toronto.
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Des transports en commun gratuits? Ce n’est pas pour demain.

Avec une baisse de fréquentation marquée, les chances de voir une offre de services bonifiée dans les transports en commun diminuent.

Intérieur d'un train dans le métro. Pris dans un train de Toronto.Depuis la pandémie, les déplacements urbains en transports en commun ont baissé, ce qui a entraîné un recul des revenus alors que les dépenses ont augmenté. (Getty/ jeangill)

Montréal vient d’inaugurer son Réseau express métropolitain (REM), un système de transport en commun sur rail qui connecte des banlieues sud au centre-ville de la métropole. Le projet résulte d’un partenariat entre un investisseur institutionnel (la Caisse de dépôt et placement du Québec) et le gouvernement du Québec, en plus de bénéficier d’une participation financière de la société d’État Hydro-Québec. Ce type d’alliance n’a pas encore fait ses preuves, mais montre qu’on peut concevoir des projets de transports en commun différemment.

Une industrie qui en arrache

Reste que cette inauguration s’inscrit dans un contexte difficile pour les transports en commun. Depuis la pandémie, les déplacements urbains en transports en commun ont baissé de 20 % au Canada, et même de 30 % par personne si l’on tient compte de l’augmentation de la population. Le tout a entraîné un recul de 15 % des revenus entre juin 2019 et juin 2023, alors que les dépenses, inflation oblige, ont crû de 15 % durant la même période.

Avec la baisse de fréquentation, la contribution des usagers au budget des sociétés de transport en commun a aussi diminué, au point que celle-ci représente à peine plus de 25 % des revenus à Vancouver et à Montréal. Seule Toronto a réussi à stabiliser cette contribution à 40 %, au prix d’une augmentation des tarifs accélérée qui se chiffre à 35 % de plus que l’inflation durant les 35 dernières années.

Ces enjeux financiers ne sont pas sans conséquence sur la pérennité des systèmes de transport en commun. En effet, quand l’équilibre budgétaire passe en partie par une compression des dépenses, il s’ensuit généralement une réduction de l’offre de services. Or, les usagers sont très sensibles à la qualité des services – les représentants de l’industrie sont d’ailleurs conscients de ce risque de « spirale de la mort ».

Si certains attendent avec impatience un retour à la normale, je ne partage malheureusement pas leur espoir. Le travail hybride et à distance est bien implanté, et malgré une croissance élevée de la population dans les grandes villes, notamment grâce à l’immigration, on ne constate pas de recrudescence. On doit s’y faire : la nouvelle normale semble là pour de bon.


Avec le travail hybride, le laissez-passer mensuel n’est souvent plus nécessaire. À Montréal, il faut effectuer 26 trajets pour le rentabiliser. À Vancouver? 33. Et à Toronto? 47.


Avec le travail hybride et quelques jours seulement ici et là au bureau, le laissez-passer mensuel n’est souvent plus nécessaire. À Montréal, il faut effectuer 26 trajets pour le rentabiliser. À Vancouver? 33. Et à Toronto? 47! Or, sans titre mensuel, certains réduisent encore davantage leurs déplacements non professionnels en transports en commun.

La gratuité, une solution envisageable?

Dans pareil contexte, le statu quo du financement des transports en commun ne tient plus. Il faut brasser les cartes, et à ce titre, la gratuité du transport en commun – une idée qui semblait farfelue il y a quelques années – fait son chemin depuis la pandémie. Montréal a rendu les transports gratuits pour les plus de 65 ans l’été passé, et de nombreuses villes américaines, dont Boston et New York, commencent à faire la même chose, ou à tester l’idée au moyen de projets pilotes. D’ailleurs, la gratuité des transports en commun est monnaie courante dans plusieurs centres européens. Au chapitre des pour et des contre, comment calculer où l’on se situerait exactement? Peut-être que les gains d’efficience associés à l’absence de paiement lors des embarquements (compte tenu de l’absence de revenus, évidemment) seraient contrebalancés par les coûts additionnels qu’entraînerait un achalandage accru. Difficile à dire.

Quoi qu’il en soit, on peut repenser l’allocation des ressources. Imaginons que l’argent dépensé en main-d’œuvre (comme les inspecteurs) et en infrastructures (comme les terminaux de paiement) pour s’assurer que les usagers s’acquittent de leur dû soit dorénavant utilisé pour répondre aux enjeux d’itinérance, de dépendance et de santé mentale. Concrètement, cela voudrait aussi dire qu’à Toronto, les 1 800 interventions mensuelles des inspecteurs seraient remplacées indéfiniment par des actions de nature sociale. Des gestes qui pourraient avoir un impact significatif sur l’attractivité des transports en commun, qui reste problématique pour certains en 2023. Par ailleurs, la gratuité améliorerait largement la mobilité du plus grand nombre, alors que pour le moment, certains segments de population comme les groupes racisés (3,7 fois plus) les immigrants (2,8 fois), les jeunes (1,7 fois), les personnes à faibles revenus (1,7 fois) et les femmes (1,6 fois) y sont surreprésentés.

Personne ne sait à quel point un transport en commun gratuit ainsi qu’une multiplication des pistes cyclables réduiraient la congestion routière, mais au bâton, je préfère la carotte, surtout si nous en faisons un projet auquel nous adhérons tous.

REGARD ÉCONOMIQUE

Lisez les points de vue de David-Alexandre Brassard, économiste en chef à CPA Canada, sur les défis que doit relever la jeune génération lorsqu’elle tente d’accumuler des richesses et sur les problèmes passés sous silence posés par l’accueil massif d’immigrants.