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Magazine Pivot

Montée fulgurante et chute fracassante de WeWork

La plateforme qui voulait réinventer les lieux de travail prise au piège de l’appât du gain et de l’égocentrisme.

La couverture d'un livre noir avec un triangle doré est représentée.The Cult of We: WeWork, Adam Neumann, and the Great Startup Delusion brosse le portrait du charismatique fondateur de la société immobilière.

Quel meilleur sujet pour les journalistes spécialisés en affaires que la montée fulgurante et l’effondrement de WeWork? Après des débuts modestes, la société immobilière commerciale a atteint en une dizaine d’années une valeur de 40 G$ US et s’est ensuite écroulée. Le principal responsable de la débâcle? Son charismatique fondateur, Adam Neumann, qui se voyait le premier billionnaire au monde et proclamait qu’un éventuel traité de paix au Moyen-Orient serait signé dans un local de WeWork. Dans leur livre The Cult of We: WeWork, Adam Neumann, and the Great Startup Delusion, les journalistes Eliot Brown et Maureen Farrell brossent un portrait peu flatteur de Neumann et sont à peine plus tendres avec sa femme, Rebekah Paltrow (cousine de l’actrice Gwyneth Paltrow). Le couple est comparé aux personnages du roman Gatsby le Magnifique, de F. Scott Fitzgerald, des « gens négligents [qui] brisaient choses et êtres, pour se mettre, ensuite, à l’abri de leur argent […] en laissant à d’autres le soin de faire le ménage ».

En quoi s’agit-il de l’un des meilleurs récits du genre à paraître ces dernières années? Sous la plume de Farrell et Brown, l’histoire de WeWork révèle la fragilité et l’étroitesse de vue du système financier, ainsi que la disjonction entre marchés boursiers (qui ont bondi pendant la pandémie de COVID-19, en dépit de la flambée de chômage) et économie réelle. Plus intéressant encore, le récit lève le voile sur le « culte » que les investisseurs en capital de risque de la Silicon Valley vouent aux fondateurs.

Neumann rêvait de richesse et de célébrité bien avant de choisir un domaine. Après avoir tenté sa chance à 29 ans dans les vêtements pour bébés, en 2008, il a frappé un filon. Les jeunes pousses cherchaient de petits locaux, à utiliser au besoin, d’autant que la crise financière avait accru la demande, nombre de nouveaux chômeurs s’étant lancés à leur compte. Propriétaire de deux immeubles lucratifs à Brooklyn, Neumann a voulu procéder immédiatement à des acquisitions à New York et à San Francisco, voire outre-mer. De très riches investisseurs étaient prêts à financer l’expansion de WeWork, car Neumann avait le profil recherché par les soi-disant « chasseurs de licornes » : un visionnaire fantasque, passionné et bon vendeur qui leur rapporterait des milliards. Enclins à prêter foi à des fondateurs à l’attitude « presque messianique » – loin de les rebuter, l’excentricité les attirait –, les investisseurs n’ont pas posé de questions tandis que Neumann flambait à mesure les capitaux levés. Vu la faiblesse des taux d’intérêt, seule la plus-value comptait. Espérant que la trajectoire d’Apple se reproduirait, on s’intéressait beaucoup plus à la valeur qu’au bilan.

Ces ornières ont empêché les fonds de capital-investissement de voir que WeWork était un fournisseur de locaux pour bureaux appartenant à la vieille économie et ne deviendrait pas comme Apple un colosse de la nouvelle économie. C’est sans compter des comportements très étranges… Par exemple, lors d’un vol en jet nolisé, Neumann, adepte des voyages de luxe, a produit avec ses amis tant de fumée de cannabis que l’équipage a dû mettre des masques à oxygène. La chute était inéluctable… et c’était avant la rencontre de l’investisseur rêvé.

Masayoshi Son, qui dirigeait la japonaise SoftBank et promettait à WeWork un investissement de 10 G$ US, a dit à Neumann qu’il n’était pas assez fou. Avec leur subtilité habituelle, Brown et Farrell rapportent que ces propos ont alarmé les partenaires de Neumann, « qui ne connaissaient pour la plupart personne de plus déjanté ». Vers la fin, Neumann avait fortement investi dans la nouvelle entreprise Life Biosciences (il disait à ses employés que la mort était un problème technique temporaire), et son ego était « complètement débridé ».

En août 2019, ses frasques et sa cupidité l’ont rattrapé. WeWork a fait un premier appel public à l’épargne qui devait rapporter des dizaines de milliards, mais les investisseurs se sont montrés hostiles, ce qui a fait chuter la valeur de l’entreprise de plus de 80 %. Aux yeux du public, le fondateur est passé de visionnaire à caricature vivante : cette année-là, des New-Yorkais ont pris ses traits à l’Halloween. Bien vite, comme s’ils étaient tous redevenus lucides, les banquiers, les administrateurs et les dirigeants de l’entreprise – qui avaient pourtant encouragé les excès de Neumann – l’ont incité à partir.

Or, ce remarquable récit d’ascension et de chute précède le point culminant de The Cult of We. Selon Farrell et Brown, les gros investisseurs attendent la venue du prochain visionnaire... Par ailleurs, contrairement à ses ex-employés, qui se sont retrouvés avec des options sur actions sans valeur, Neumann a eu droit à un parachute doré de 185 M$ US. Comme quoi, parfois, l’égocentrisme paie.

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