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Couverture du livre Trailblazer: L’entreprise, plateforme incontournable du changement par Marc Benioff
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Magazine Pivot

Voir l’entreprise comme un levier social

Dans un livre paru en français, Marc Benioff, fondateur et PDG de Salesforce, invite à défricher son propre chemin.

Couverture du livre Trailblazer: L’entreprise, plateforme incontournable du changement par Marc BenioffLe temps est venu d’imaginer le nouveau contrat social du 21e siècle, explique Benioff dans son livre, et cette tâche ne peut pas être laissée aux politiques. (Tous droits réservés)

Contrairement à Google ou à Facebook, Salesforce n’est pas connue du grand public – mais de certains CPA, oui, manifestement. Leader mondial en gestion de la relation client (CRM en anglais) depuis sa création en 1999, l’entreprise développe pour ses membres des solutions leur permettant d’analyser, de capter et de traiter les informations de leurs clients, actuels ou potentiels, afin de les fidéliser.

Derrière ce succès, Marc Benioff, qui a eu l’idée avant-gardiste de proposer un abonnement à des produits infonuagiques à coût raisonnable en lieu et place d’achats coûteux de logiciels. La formule lui a valu un succès phénoménal : 22 ans plus tard, la société est évaluée à 130 G$ US et compte près de 50 000 salariés.

AMÉLIORATION CONTINUE

Cela dit, Salesforce n’a pas attendu d’atteindre une telle masse critique pour « améliorer un peu le monde », selon les mots de son fondateur. Elle a mené ses premiers combats quand elle ne comptait qu’une cinquantaine de salariés.

Le modèle 1-1-1, repris et adapté par des milliers d’entreprises, en fait partie : 1 % des capitaux, 1 % des profits et 1 % du temps de travail sont redistribués à des organisations caritatives. Au total, plus de 4 millions d’heures de travail ont déjà été cumulées, et 300 millions de dollars en subventions ont été versés. Chaque employé peut consacrer jusqu’à 7 journées payées par année au bénévolat, et depuis le premier jour, Salesforce double les versements des employés à leur cause préférée jusqu’à hauteur de 5 000 $.

« L’apprentissage automatique et l’IA décideront du sort de votre entreprise » prévient Marc Benioff dans son livre.

Aussi, quand Marc Benioff a été mis au courant de l’écart salarial qui existait entre hommes et femmes dans son entreprise, il a d’abord refusé d’y croire, admet-il, victime de biais inconscients. Rattrapée par la réalité (et par les chiffres), l’entreprise a dépensé 3 M$ US pour remédier au problème. Or, l’année suivante, un nouvel écart de 3 M$ s’était creusé. Un audit a révélé que l’iniquité persistait notamment à cause des acquisitions faites par Salesforce, laquelle a forcé ces entreprises à faire leurs devoirs.

Côté environnemental, l’entreprise s’est engagée en 2013 à ne consommer que de l’énergie renouvelable. Depuis, elle a atteint un taux zéro d’émission de gaz à effet de serre dans le monde et fournit à tous ses clients des services infonuagiques neutres en carbone.

Benioff a aussi dû prendre position en 2018 quand des centaines de salariés ont protesté contre le fait que le Service des douanes et de la protection des frontières avait accès aux logiciels de Salesforce, alors que des agences fédérales séparaient les enfants migrants de leurs familles à la frontière mexicaine. S’il n’a pas dénoncé le contrat, il a instauré de nouvelles procédures d’audit afin de déterminer si les clients utilisent ou non la technologie de l’entreprise à des fins néfastes au regard de l’éthique. Trailblazer, (Eyrolles, 2020) coécrit avec Monica Langley, regorge de telles anecdotes sur la vie d’un fonceur qui a côtoyé les plus grands PDG du monde.

L’innovation technologique a produit une « dislocation économique », observe Benioff. Le temps est venu d’« imaginer le nouveau contrat social du 21e siècle », une tâche qui ne peut pas être laissée aux seuls politiques, surtout que « sur les 100 premières entités du monde qui génèrent des revenus, 70 ne sont pas des pays, mais des entreprises ».

Cette tâche, les entreprises peuvent la remplir jusque dans la formation de leurs employés. « Aux États-Unis, l’offre d’emplois technologiques s’élève à près d’un demi-million, mais les universités n’ont produit que 63 000 diplômés en informatique en 2018. » Aux entreprises de former les salariés aux emplois de demain, plutôt que de demeurer spectatrices de l’accélération de l’automatisation. Et Benioff met en garde : « L’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle décideront du sort de votre entreprise dans les années à venir. » D’où ce constat : « Cultiver un esprit novice et être ouvert à de nouvelles façons de penser n’est pas seulement bon pour le cerveau, c’est une technique de survie. » C’est ça, être un pionnier.

PRENDRE POSITION

Il est tentant pour un auteur de voir dans un miroir ce qu’il aimerait y contempler. Et Trailblazer le confirme. Le milliardaire n’y dit pas tout de ses motivations ni de ses buts, et on y retrouve à l’occasion le prêchi-prêcha propre aux autobiographies de PDG (famille travailleuse, autodidactisme, sacro-saintes valeurs…). Mais il serait trop facile de s’arrêter là.

La richesse, explique Benioff, doit être redistribuée, et le capitalisme, transformé. Salariés, clients, voisins, enfants… Tous doivent profiter des impacts positifs qu’une entreprise peut avoir, et non les actionnaires seulement. Le San-Franciscain rappelle que si « les meilleures sociétés de capital-risque avaient exigé des sociétés dans lesquelles elles investissent de placer 1 % de leur capital dans un organisme caritatif d’intérêt public, [pareils organismes] disposeraient de milliards de dollars pour lutter contre les problèmes que nous affrontons aujourd’hui. » Une bonne façon de rappeler qu’il n’est jamais trop tard pour commencer.

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