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Un médecin examine un comprimé à l'aide d'un stéthoscope
Articles de fond
Magazine Pivot

Et si l’avenir des soins de santé passait par Internet?

Les soins à distance personnalisés et les cliniques virtuelles se généralisent et refaçonnent le secteur.

Un médecin examine un comprimé à l'aide d'un stéthoscopeLa COVID-19 a provoqué une explosion des besoins en télésanté au Canada. (Illustration Matthew Billington)

Pour moi, c’était une première. Dès le premier rendez-vous, je suis allée au fond des choses. Mon interlocuteur, Andrew Patzke, directeur à la croissance stratégique du groupe Cleveland Clinic Canada, a inséré une minicaméra dans sa bouche après avoir dégagé sa cavité buccale grâce à un abaisse-langue noir. Quelques secondes plus tard, gros plan sur sa luette toute rose. Je me suis surprise à émettre quelques murmures d’approbation.

De quoi aider un médecin à examiner à distance un patient qui souffre d’un mal de gorge. Le nom de cet outil virtuel? TytoCare. Intégrée aux services virtuels de Cleveland Clinic Canada, la nouvelle plateforme de télésanté combine système informatique, thermomètre et caméra haute résolution. S’y ajoutent un otoscope, un stéthoscope et un abaisse-langue. L’outil TytoCare a été installé dans les dix cliniques virtuelles Cleveland Clinic Canada, où les patients sont vus par une infirmière praticienne sans délai, par vidéoconférence.

Pour Cleveland, c’est la clinique sans rendez-vous de l’avenir. Zéro attente, aucun déplacement, accueil 12 heures sur 24, 365 jours par an. Une idée proposée aux pharmacies, aux entreprises et même aux immeubles en copropriété, comme le Waverly à Toronto, un immeuble de 166 appartements où l’on a décidé d’installer un point d’accès TytoClinic sur la mezzanine en octobre. Outre l’accessibilité, la technologie constitue l’autre pilier du dispositif. « Ce sont des outils offerts en synergie, approuvés par Santé Canada, qui facilitent le diagnostic à distance, et c’est plutôt unique », explique Jennifer Osborn, directrice au développement à Cleveland Clinic Canada. L’interaction a lieu en direct, et l’infirmière praticienne indique aux patients comment manier les appareils. Les outils d’intelligence artificielle intégrés entrent eux aussi en jeu pour capter des images parlantes.

Le virage virtuel est pris, mais tout ne s’est pas déroulé sans heurts. La pandémie a occasionné des retards de construction, qui ont freiné le déploiement des points d’accès TytoClinic, dont le nombre aurait dû doubler au Canada. D’un autre côté, la COVID-19 a provoqué une explosion des besoins en télésanté.

Les soins numériques, voie d’avenir? « Le Canada accuse un certain retard », précise Kai Lakhdar de PwC, associé aux services-conseil, Strategy&. « Mais, soudain, à l’ère de la COVID, il est devenu impossible d’avoir accès à un large éventail de services sur place. Et puis, certains patients craintifs hésitaient à consulter en personne. »

Mises devant les faits, les provinces ont dû repenser le mode de rémunération des médecins, autorisés (si ce n’est invités) à facturer des soins virtuels. Selon un récent rapport de l’ICES, institut de recherche ontarien, dans les quatre premiers mois de la pandémie, la part dévolue aux soins virtuels a été multipliée par 56, c’est-à-dire 71 % des consultations pour soins primaires.

Le public est mûr pour ce changement, ajoute Kai Lakhdar. « Les Canadiens ont pris le virage numérique, c’est souvent plus pratique d’opter pour les services en ligne, et la télémédecine a fait ses preuves. » Toutefois, à en croire une enquête réalisée en 2018 pour l’Association médicale canadienne, seuls 8 % des répondants avaient eu recours à des soins virtuels, mais 69 % se disaient prêts à le faire, si on leur offrait cette possibilité. « Au plus fort de la COVID, 60 % des consultations ont eu lieu en ligne. »

Les soins virtuels, un marché que PwC chiffre à 1,5 G$ au Canada, n’existent que depuis peu. Kai Lakhdar croit pourtant qu’un mouvement de masse se fera dans les cinq ans et que de nouveaux arrivants – Maple, Dialogue, Akira, WELL, Teladoc, Cleveland Clinic – rivaliseront pendant la transition, dans un créneau en pleine croissance. De quoi rappeler la vive concurrence qu’a déclenchée l’émergence des dossiers médicaux électroniques, ces dix dernières années. « C’est une course à la part de marché, et seuls quelques acteurs survivront. »

Les provinces se lancent dans l’aventure. Si le Réseau Télémédecine Ontario donne accès aux soins dans moult contextes, en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario et en Saskatchewan, TELUS Health MyCare propose des visites médicales virtuelles, le soir et la fin de semaine. Un service qui convient à ceux qui n’ont pas de médecin de famille (tout de même 14,5 % de la population).

Soulignons que les points d’accès TytoClinic Cleveland ne s’adressent pas à quiconque possède une carte d’assurance-maladie. Pharmacies, employeurs et propriétaires d’immeubles acquittent des droits annuels pour qu’une certaine clientèle (clients, employés, résidents) bénéficie d’un accès aux soins. Pour s’abonner, compter environ 299 $ par personne, un peu moins pour les tarifs de groupe. De fait, les cliniques virtuelles relèvent de la catégorie des soins dentaires et de la physiothérapie : des services médicaux financés par les employeurs et les particuliers. Pourtant, des voix dissidentes s’élèvent.

Dans une prise de position récente, BC Family Doctors, une association d’omnipraticiens, invitait le gouvernement à encadrer le marché de la télémédecine à but lucratif en Colombie-Britannique. Étaient soulignés divers problèmes, comme la montée des soins ponctuels, sans relation suivie entre le patient et le professionnel. La continuité (voir le même médecin d’une visite à l’autre) constituait la pierre angulaire de la qualité des soins, précisait-on. Les omnipraticiens de la province ont aussi proposé l’adoption de règles sur les conflits d’intérêts, histoire d’éviter qu’une pharmacie ne profite indûment des ordonnances délivrées dans une clinique virtuelle établie sur les lieux. 

L’avenir de la santé virtuelle est à nos portes, même si l’on ignore à quoi il ressemblera. En attendant, ne vous étonnez pas si une clinique virtuelle Cleveland s’installe dans le hall d’un immeuble non loin de chez vous.

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