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Magazine Pivot

Urgence climatique et sociale : L’heure des choix a sonné

En dressant un état des lieux de notre société, Gérald Fillion et François Delorme nous invitent à rompre avec la vision à court terme pour mieux relever des défis trop longtemps ignorés.

Pourquoi, se demandent Fillion et Delorme, n’a-t-on pas encore redéfini certains indicateurs économiques comme le PIB, pour tenir compte de l’exploitation faite du « capital naturel », soit l’économie de la biodiversité? (tous droits réservés)

Déni? Manque d’information? Paresse? À la lecture de L’heure des choix (Édito, 2021), on se demande comment justifier l’apathie collective dont nous faisons preuve face aux défis qui nous attendent. Journaliste bien connu à Radio-Canada, Gérald Fillion ne blâme personne, mais évoque dans son livre 17 sujets illustrant le carrefour environnemental et social auquel le Québec et le Canada se trouvent. Pour chacun, il fait intervenir un expert du domaine, chargé de rappeler quels sont les enjeux réels, après quoi l’économiste François Delorme apporte son point de vue. Après tout, souligne-t-il, « l’économie est la science des choix ».

Or les questions ne manquent pas : Comment remettre la nature au cœur de nos décisions économiques? La voiture électrique est-elle une vraie solution écologique? Est-il encore rentable d’investir dans les énergies fossiles? Sommes-nous prêts pour une révolution agricole? L’intelligence artificielle va-t-elle faire disparaître nos emplois?

UN MONDE DE PARADOXES

Plus qu’à la critique à tous crins, les auteurs invitent à la réflexion, soulignant à quel point nos paroles et nos actes se contredisent. Par exemple, l’électrification est présentée depuis des années comme une solution de choix pour atténuer l’empreinte carbone du secteur des transports, responsable de 40 % des émissions de GES; mais, simultanément, on n’a jamais autant développé le réseau routier pour favoriser l’expansion des banlieues autour de Montréal et de Québec.

Si on a aussi instauré une taxe carbone à laquelle les automobilistes sont assujettis chaque fois qu’ils font le plein, celle-ci a été très mal expliquée, et aucun plafond n’a été fixé, laissant aux plus riches la porte ouverte pour polluer sans limites.

On n’a pas non plus encore redéfini certains indicateurs économiques comme le PIB, pour tenir compte de l’exploitation faite du « capital naturel » (soit l’économie de la biodiversité). « Quelle est la valeur de l’air qu’on respire, de l’eau qui coule librement du robinet, ou d’un après-midi à 23 °C et non à 35 °C? », se questionne Fillion. Et pourquoi investit-on encore entre 4 000 et 6 000 G$ dans des politiques qui détruisent ce capital, alors qu’on affecte 70 G$ à des politiques qui le soutiennent?

Pourquoi? Parce qu’il serait illusoire de croire que la fin des investissements dans les énergies fossiles est arrivée, constatent les auteurs, « même si les signaux à plus long terme indiquent une rentabilité décroissante ». Quant aux investissements verts, ils ne sauraient entraîner une réduction radicale des émissions de GES puisqu’ils ne satisfont pas aux critères de rentabilité « court-termiste » du secteur financier. 

Un discours nuancé donc, qui rappelle que, en général, chaque question contient déjà une partie de la réponse. Hélas, les gouvernements manquent souvent de courage pour imposer des mesures concrètes, lorgnant toujours du côté des prochaines élections.

EXAMEN DE CONSCIENCE

Même si les Québécois affichent de bonnes intentions citoyennes, force est de constater que leurs vieilles habitudes ont la vie dure. Alors qu’on n’a jamais autant parlé d’environnement, ils ne sont que 5 % de plus qu’il y a 10 ans (60 % en tout) à consommer fréquemment de façon locale. Et s’ils ont massivement adopté le magasinage en ligne, c’est en partie sur des sites établis à l’étranger, pour lesquels le gouvernement ne touche que peu ou pas de taxes – « 350 M$ en moins pour financer nos écoles et nos CHSLD ».

En fait, si tous les habitants de la planète étaient des Québécois, il nous faudrait 4 planètes Terre pour répondre à nos besoins, car notre consommation ne ralentit pas, constatent les auteurs, inquiets, qui se demandent à quoi ressembleront au sortir de la pandémie les voyages en avion, autre fléau écologique. Et pourquoi ne pas imposer une taxe de 275 $ sur les billets de première classe et de 30 $ sur les billets de classe économique? Cette taxe créerait un fonds de 225 G$ qui donnerait le temps au secteur aérien de s’adapter. Pour mémoire, un passager en première classe ou en classe affaires émet de 2,6 à 4,3 fois plus de CO2 par kilomètre qu’un passager en classe économique.

La répartition et la redistribution de la richesse taraudent les auteurs, notamment Delorme, chercheur au Laboratoire des inégalités mondiales dirigé par l’économiste Thomas Piketty. Gageons que certains lecteurs parmi les mieux nantis réagiront en parcourant les chapitres qui abordent la nécessité de repousser l’âge de la retraite, les bienfaits d’un revenu minimum garanti ou d’un régime universel d’assurance-médicaments, financé par tous. Or, « seuls les gouvernements sont en mesure d’atténuer les inégalités », rappelle Fillion. 

Bref, à lire L’Heure des choix, on réalise que les vrais enjeux du « vivre ensemble » ne sont souvent pas ceux qu’on pense. La bonne nouvelle, c’est que le livre fourmille de propositions qui donnent envie de se mobiliser pour une société plus cohésive

DES LECTURES INSPIRANTES

Notre vision du progrès nous a-t-elle fait perdre de vue l’essentiel? Doit-on prioriser la quête de sens sur la poursuite du bonheur? L’entreprise peut-elle agir comme un levier social pour changer le monde? La réponse en livres.