Un groupe de professionnels discute du nouveau plan en réunion.
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À capitalisme redéfini, comptabilité repensée

Bon nombre de leaders font des pressions pour que le capitalisme soit remodelé autour d’un but, en plus des profits, et pour cela, les CPA sont prêts à jouer un rôle de pionniers.

Un groupe de professionnels discute du nouveau plan en réunion.Les CPA et les chefs des finances doivent créer de la valeur organisationnelle à long terme, au-delà du prisme financier. (Getty Images/alvarez)

Les appels à un capitalisme revu et corrigé se multiplient. Banquiers, investisseurs, chefs d’entreprise viennent grossir les rangs de ceux qui dénoncent un statu quo voué à l’échec. Si la cadence et l’ampleur de la mutation envisagée restent à définir, nos points de vue sur les comportements attendus de la part des entreprises se métamorphosent. De grands enjeux, comme les changements climatiques, la pandémie et la crise économique mondiale, assortis d’inégalités désolantes qui se sont cristallisées, nous ont amenés au bord du gouffre. Le changement s’impose, c’est une question de survie. 

Le Forum économique mondial défend depuis longtemps les principes d’un nouveau capitalisme, fondé sur le dégagement de valeur à long terme, par le secteur privé, au bénéfice de toutes les parties prenantes : les actionnaires, les citoyens et la planète. Parmi les chefs d’entreprise, certains leaders, en partenariat avec le Forum, s’expriment déjà et s’engagent à rééquilibrer la finalité de leurs activités : « Il est temps d’instaurer un nouveau capitalisme, juste, équitable et durable », faisait valoir Marc Benioff, à la tête de Salesforce, dans le New York Times. « Les entreprises, loin de se contenter d’extraire de la valeur, donneront au suivant pour dégager des retombées positives. »

De fait, le capitalisme a donné lieu à de notables avancées, mais aussi à des inégalités planétaires. Il se soucie peu des questions sociales et environnementales. La rivalité règne au cœur d’un système où priment la rentabilité et la valeur actionnariale, et qui n’a pas su prendre le tournant de la pérennité.

Or, on assiste à l’émergence de nouvelles attentes à l’égard des résultats des entreprises. À une époque où le monde entier s’intéresse vivement à une définition élargie du capitalisme, pour la profession comptable, c’est l’occasion de se manifester. 

La comptabilité, langue des affaires par excellence, joue un rôle indispensable pour assurer le traitement des opérations, mesurer les activités accomplies et présenter les résultats financiers. C’est essentiel, car ce sont les apports de capitaux qui donnent à l’entreprise les moyens d’atteindre ses objectifs. Ceux-ci ont-ils été réalisés? La direction a-t-elle fait preuve de rigueur et de prudence? C’est la comptabilité qui donnera l’heure juste. Cela étant, elle ne témoigne guère des progrès à l’égard d’objectifs récents, liés à de nouvelles finalités, auxquels des capitaux seront affectés.

La langue des affaires se transforme. La responsabilité et la transparence, piliers de la profession, résident au cœur du débat. On s’attend à ce que les entreprises et leur haute direction fassent état de leurs activités, de leurs méthodes, et de l’avancement des travaux accomplis pour mener à bien les objectifs. Le tout repose sur la présentation d’informations limpides, accessibles, qui éclaireront les décisions et entraîneront des changements fondamentaux dans la conduite des entreprises, des investisseurs et des autres parties prenantes, à l’échelle systémique. 

Dans son ouvrage Chief Value Officer, paru en 2016, Mervyn King, qui présidait l’International Integrated Reporting Council (IIRC), exhortait déjà les CPA et les chefs des finances à créer de la valeur organisationnelle à long terme, au-delà du prisme financier. Il préconisait une approche multifactorielle du capital, qui se présente en six dimensions : capital naturel, humain, social, relationnel, manufacturier et financier. On est loin de la perspective capitaliste classique, si bien qu’il faut redéfinir la réussite et la mesure des résultats obtenus. Un capitalisme renouvelé passe par la refonte du cadre et du paradigme sous-jacents.

Des occasions de changement apparaissent. Les sociétés à finalité sociale, l’économie régénérative et redistributive (économie du « beigne ») et la transition d’une économie linéaire industrielle à une économie circulaire exigent une gamme novatrice de mesures de la performance. Des cadres et entités comme la Global Reporting Initiative (GRI), le Sustainability Accounting Standards Board (SASB) et l’information intégrée apportent certaines réponses. On s’attend aussi à voir l’IFRS Foundation mettre sur pied un conseil des normes internationales d’information sur la durabilité, conseil qui se penchera d’emblée sur les changements climatiques, un enjeu fondamental. L’harmonisation des cadres de présentation de l’information sur la durabilité semble se profiler à l’horizon.

En comptabilité durable, la mesure des facteurs sociaux et environnementaux ainsi que la présentation d’informations connexes seront considérées comme des facteurs essentiels dans l’évaluation des résultats, en vue de créer une plus-value à long terme pour un large éventail de parties prenantes, à titre d’assise de la finalité de l’entreprise. 

C’est l’occasion, pour les comptables agréés du Canada, de faire preuve de leadership et de faciliter des changements systémiques incontournables, en déployant les mêmes efforts que pour faire état de la performance financière. Les CPA seront amenés à mesurer ce qui compte le plus, pour veiller à l’essentiel. Dans un capitalisme inclusif, qui évalue le succès sous de multiples facettes, pour les êtres humains et la Terre qu’ils peuplent, il est temps de repenser la comptabilité. Certes, les CPA continueront de scruter les chiffres, mais la nature des éléments dénombrés, soupesés et analysés changera du tout au tout.

COMPTABILITÉ DURABLE

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