Passer au contenu principal
Employé de bureau travaillant tard dans la nuit à examiner des informations commerciales sur un écran d’ordinateur
Comptabilité
Vérification

Auditer des cryptoactifs : sachez tenir compte des risques

Les transactions par chaîne de blocs et les cryptoactifs engendrent des enjeux d’un autre type pour les auditeurs. Un groupe de travail se penche sur la meilleure approche à adopter face à cette nouvelle réalité.

Employé de bureau travaillant tard dans la nuit à examiner des informations commerciales sur un écran d’ordinateur « Les procédures d’audit traditionnelles ne fournissent pas des éléments probants appropriés dans le cadre de l’audit des actifs et des transactions en cryptomonnaies » explique Taryn Abate, directrice, Audit et certification, à la division Recherche, orientation et soutien de CPA Canada. (Getty Images/Hero Images)

Du fait que les technologies financières prennent leur essor et que le nombre de sociétés du secteur des cryptoactifs continue d’augmenter, tant au Canada qu’à l’étranger, la demande pour les services d’audit dans ce domaine est naturellement en hausse. C’est une nouvelle occasion pour les CPA de faire preuve de leadership.

Étant donné que la technologie de la chaîne de blocs sur laquelle se fondent les actifs numériques est nouvelle et complexe, il se dessine des enjeux et des risques qui doivent être analysés en vue d’assurer des audits de grande qualité. Voilà pourquoi CPA Canada a mis sur pied un groupe de travail, plus tôt cette année, pour explorer différentes approches en matière d’audit, notamment pour tenir compte des risques particuliers à l’univers des cryptoactifs et des chaînes de blocs. Ce groupe de travail, orchestré par CPA Canada et le Conseil des normes d’audit et de certification du Canada, comprend aussi des représentants du Conseil canadien sur la reddition de comptes (CCRC) et de firmes d’audit ainsi que des inspecteurs professionnels provinciaux

Nous nous sommes entretenus avec Taryn Abate, directrice, Audit et certification, à la division Recherche, orientation et soutien de CPA Canada, et avec Jean-François Trépanier, qui dirige un des projets du groupe de travail. M. Trépanier est spécialiste des normes professionnelles chez Raymond Chabot Grant Thornton à Montréal. Depuis deux ans, il travaille à Catallaxy, une filiale du cabinet qui se concentre sur la question des chaînes de blocs, entre autres sur l’élaboration d’une méthode d’audit des actifs numériques

CPA CANADA : Le Canada compte plus de sociétés ouvertes manipulant des cryptoactifs que la plupart des autres pays. Pourquoi, d’après vous?

JEAN-FRANÇOIS TRÉPANIER : À plusieurs égards, le Canada peut être considéré comme un cas particulier, à tout le moins pour ce qui est des entreprises cotées qui brassent des affaires en cryptomonnaies. Selon les plus récentes informations disponibles, notre marché boursier comprend les deux tiers des sociétés ouvertes qui appliquent les IFRS et qui présentent des avoirs sous forme de cryptoactifs, à l’échelle mondiale. Cela entraîne un défi intéressant, pour notre pays, car ces entreprises cotées en bourse doivent faire l’objet d’un audit. Et cela peut expliquer pourquoi tant de parties prenantes canadiennes soulèvent le problème de l’auditabilité des transactions et des avoirs en cryptomonnaies

Il est important de faire observer aussi que les entreprises, cotées ou non, qui font état de cryptoactifs ne sont pas toutes du même type. Certaines sont des fonds d’investissement avec un portefeuille d’actifs crypto, de sorte que ces actifs sont au cœur de leurs activités. D’autres sont des détaillants qui ont commencé à accepter le paiement en cryptomonnaies. Pour eux, ces actifs seront relativement secondaires, si on peut dire. D’autres encore sont des sociétés qui font du minage de cryptomonnaies et qui en perçoivent en guise de revenus. Ce sont là des entités commerciales aux caractéristiques variées, qui présentent chacune un contexte bien différent pour les auditeurs.

CPA CANADA : Sur quoi le groupe de travail de CPA Canada se concentre-t-il?

TARYN ABATE : Étant donné qu’il s’agit d’un secteur nouveau et en évolution, il n’y a pas encore de pratiques exemplaires; on est donc en mode exploratoire. Les procédures d’audit traditionnelles ne permettent pas de fournir des éléments probants appropriés dans le cadre de l’audit des actifs et des transactions en cryptomonnaies. On est en présence de nouveaux types de risque, qui restent à cerner et à prendre en compte.

On observe une certaine crainte sur les marchés quant à la possibilité que les auditeurs refusent d’auditer les entités qui détiennent ou échangent des cryptomonnaies, mais ce n’est pas tout noir ou tout blanc. Voyez-vous, l’entreprise doit avoir mis en place des processus, des contrôles et des règles de gouvernance appropriés. Elle doit être prête à subir un audit. Un auditeur n’est jamais disposé à prendre un niveau de risque insurmontable.

CPA CANADA : Quels sont certains des risques, dans cet univers?

JFT : Divers enjeux ont été soulevés au cours des derniers mois; plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs fait l’objet d’une communication publiée en décembre 2018 par le Conseil canadien sur la reddition de comptes. Il y a, par exemple, la question des droits de propriété. Je cite le texte du CCRC : « Les opérations sur des cryptoactifs assurent un certain degré de confidentialité, car les registres fondés sur la chaîne de blocs représentent l’identité des entités qui les ont réalisées par une séquence de caractères alphanumériques propre à chaque adresse publique. » Cela signifie que les auditeurs doivent obtenir des éléments probants suffisants et appropriés à l’égard de la détention par l’entité des cryptoactifs associés à une adresse publique. Une tâche pas si facile, parce que les actifs numériques ont des caractéristiques différentes. On aura beau concevoir des outils et des techniques pour valider la propriété, ceux-ci pourraient se révéler inutiles pour certains cryptoactifs qui exploitent la cryptographie à des fins de confidentialité.

D’autres risques s’ajoutent lorsque les cryptoactifs sont détenus par un tiers agissant comme dépositaire indépendant. Bon nombre de plateformes qui permettent l’achat et la vente de cryptomonnaies ont aussi la garde des actifs de leurs clients. Or, en décembre dernier, on a appris que le chef de la direction de Quadriga, alors la plus grosse plateforme d’échange au Canada, serait décédé pendant un voyage, ce qui a laissé de nombreux clients sans accès à leur cryptopécule – une somme totale de plus de 200 millions de dollars en bitcoins et autres monnaies est devenue inaccessible. Les situations ahurissantes de ce genre, ainsi que d’autres défaillances, ont mis en lumière le fait que la « confiance totale » à laquelle on doit normalement s’attendre n’est pas encore une réalité dans cet univers.

Voilà qui est paradoxal, parce que la technologie des chaînes de blocs est censée procurer un système où la question de la confiance n’est plus pertinente. Il s’agit d’un grand livre immuable, une source unique de vérité, où toutes les opérations consignées peuvent être consultées. En théorie, vous n’avez pas à faire (ou à ne pas faire) confiance à une tierce partie pour vous assurer que les écritures sont exactes. Mais comme on dit dans le milieu, « ne fais pas confiance; vérifie ». Cela montre que la communauté des adeptes des cryptomonnaies n’a pas forcément une confiance aveugle envers les participants, ou même la technologie.

CPA CANADA : Pouvez-vous nous en dire plus au sujet des problèmes de confiance?

JFT : Tout le monde affirme que la notion de confiance est intrinsèque à la chaîne de blocs. Mais les gens réalisent que la confiance est quelque chose qui se gagne, qui n’est pas accordé d’emblée. Il faut fournir un certain niveau d’assurance pour les activités auxquelles prennent part les participants au marché. Par exemple, si vos cryptoactifs sont détenus dans une plateforme qui fait également office de dépositaire (gardien de valeurs), alors on peut se demander quels contrôles ce dépositaire a mis en place pour s’assurer que les actifs ne feront pas l’objet d’un détournement. C’est là une inquiétude chez beaucoup de parties prenantes, notamment les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, qui envisagent d’ailleurs une série d’exigences réglementaires adaptées à ces plateformes, histoire de couvrir les nouvelles fonctions et les nouveaux risques.

CPA CANADA : Dans vos exposés, vous avez parlé de la chaîne de blocs non seulement en tant que nouvelle technologie, mais aussi en tant qu’écosystème. Que voulez-vous dire au juste?

JFT : Il y a plusieurs parties prenantes : les communautés qui élaborent des projets, les cryptomineurs qui valident les transactions et les fabricants du matériel spécialisé nécessaire au minage des cryptomonnaies. Il y a aussi les entreprises de services financiers, qui structurent des produits fondés sur les cryptoactifs, et, bien sûr, les auditeurs et les organismes de réglementation, qui ont un rôle important à jouer. Comme dans tout écosystème, il y a, j’ose dire, des parasites, c’est-à-dire des gens aux intentions malveillantes ou qui nourrissent des projets véreux. Je ne dis pas que toutes les ICO, les premières émissions d’une cryptomonnaie, sont des canulars, mais des études montrent que bon nombre d’entre elles ne sont pas ce qu’elles prétendent être. Sans surprise, cela contribue à la défiance qui a cours envers cet univers.

CPA CANADA : De quoi a-t-il été question à la première réunion du groupe de travail?

TA : Nous avons discuté des défis associés à l’audit des cryptoactifs ainsi qu’à la cause profonde de ces défis – que cela ait à voir avec la compréhension de la technologie, le niveau de préparation du client ou les normes d’audit elles-mêmes. Nous rédigeons actuellement l’ébauche d’un document d’orientation – opinions au sein de la profession – sur deux sujets, à savoir la fiabilité de l’information obtenue d’une chaîne de blocs et l’obtention d’éléments probants sur la propriété des cryptoactifs. Troisième point, aussi : nous examinons les risques que pourrait soulever la détention de ces actifs par un dépositaire.

CPA CANADA : Où se situent les cabinets comptables, en ce qui concerne l’audit des cryptoactifs? Saisissent-ils l’occasion ou ont-ils tendance à éviter les risques?

JFT : Je suis du genre à penser que la fortune sourit aux audacieux. Et je dirais que les cabinets, en général, sont audacieux quand il s’agit de tirer parti de la technologie, notamment pour améliorer la qualité des audits. Après tout, c’est l’objectif : faire en sorte que les audits soient efficaces et efficients.

Comme CPA, nous sommes garants de la confiance. La confiance est dure à gagner et si facile à perdre. Il nous faut donc trouver le juste équilibre entre, d’une part, la volonté d’innovation et d’audace et, d’autre part, le souci de tenir compte des risques. Je pense que c’est ce que font les cabinets.

EN SAVOIR PLUS SUR LE MONDE DES CRYPTOACTIFS

CPA Canada propose diverses ressources d’information qui vous intéresseront à coup sûr : Facteurs à considérer pour l’audit des actifs et des transactions en cryptomonnaie, Réponses de l’auditeur à l’évaluation des risques dans le cadre des audits d’entités détenant des cryptoactifs, Introduction à la comptabilisation des cryptomonnaies et Introduction à la comptabilisation des cryptomonnaies selon les Normes comptables pour les entreprises à capital fermé.