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Canada
Économie

Du bon usage d’une marge de crédit hypothécaire, ou l’art de marcher au bord du précipice

40 % des Canadiens ne font pas de paiements réguliers pour rembourser le capital de leur marge hypothécaire, et 25 % se limitent aux intérêts.

Des électroménagers plus beaux, un cinéma maison de 72 pouces, une moto, même un bateau, parce que c’est le printemps… Des achats inconsidérés, Pierre Leblanc, CPA, CMA, PAIR, en a vu de toutes sortes. Il faut dire que ce professionnel de l’insolvabilité est bien placé. Son entreprise, Groupe Leblanc Syndic, qui compte 21 bureaux dans la grande région de Montréal, a aidé depuis sa création, en 2004, plus de 15 000 personnes à se sortir du surendettement. Une des principales causes, selon lui? Les marges de crédit hypothécaire, qui donnent accès trop facilement à des fonds.

Et les Canadiens ne se sont pas privés. De 2000 à 2016, le solde du montant dû est passé de 35 G$ à 211 G$, une croissance moyenne de 20 % par an pendant une décennie, avant de se stabiliser à 5 %, puis, récemment, à 2 %. Concrètement, on dénombre aujourd’hui près de 3 millions de marges hypothécaires, dont le solde moyen est de 70 000 $.

Il faut dire que la tentation est grande. Rappelons qu’une marge hypothécaire est un produit de crédit garanti par votre maison. Plus vous remboursez l’emprunt, plus vous avez la possibilité de « remprunter » de l’argent à un taux préférentiel (généralement 1 % de plus que votre taux hypothécaire, et jusqu’à 80 % de la valeur du bien en garantie). C’est le principe des vases communicants.

Utilisée intelligemment, la marge de crédit hypothécaire permet beaucoup : financer des rénovations (susceptibles d’augmenter la valeur d’une propriété) ou des études, procéder à des investissements (comme l’achat d’un deuxième bien immobilier) ou, s’il le faut, consolider ses dettes et se débarrasser de soldes dus sur des cartes de crédit à un taux de 20 %.

En outre, l’argent est tout de suite disponible et, contrairement à l’emprunt hypothécaire, il est possible de ne payer que les intérêts, pas le capital emprunté, « un avantage à court terme qui peut devenir un problème à long terme » selon l’Agence de la consommation en matière financière du Canada. Imaginez, par exemple, que votre maison perde de sa valeur et qu’à force d’avoir trop emprunté, vous deviez plus qu’elle ne vaut?

Ce scénario n’est pas invraisemblable. Aujourd’hui, bien des gens ne font plus de leur emprunt hypothécaire une priorité, mais misent sur l’appréciation de leur propriété au fil du temps, constate Pierre Leblanc. « Il y a 20 ans, les gens remboursaient leur maison sur 25 ans. Aujourd’hui, on voit des gens qui, après avoir pigé constamment dans leur marge, doivent autant (ou plus) au bout de 20 ans qu’ils devaient au moment de l’achat. Bref, ils se sont appauvris. »

Comment? La plupart des institutions financières énoncent dans le contrat initial que tout remboursement affecté au prêt hypothécaire traditionnel peut devenir un montant disponible sur la marge, montant que les gens récupèrent dès qu’ils n’ont plus d’argent dans leur compte courant. La maison joue le rôle de guichet automatique, avec une carte dédiée.

Certaines personnes, une fois qu’elles ont fait un paiement de 2 000 $ sur leur hypothèque, vont récupérer les 600 $ ou 800 $ devenus disponibles dans la marge hypothécaire, explique Pierre Leblanc. Elles ont envie de se payer un peu de luxe et ne réalisent pas que les 100 $ ou 200 $ supplémentaires qu’elles devront payer mensuellement sur leur marge ne correspondent qu’aux intérêts. Souvent, elles ne seront en mesure de rembourser le capital qu’à la vente de la maison, pas avant.

Les faits sont là : 40 % des Canadiens ne font pas de paiements réguliers pour rembourser le capital de leur marge hypothécaire, et 25 % se limitent aux intérêts. On entend aussi souvent parler du ratio moyen d’endettement des Canadiens, qui est de 170 %. En réalité, « le ratio dette/revenu brut atteint 350 %, voire plus, chez environ 8 % des ménages. La dette de ces derniers représente un peu plus de 20 % de la dette globale des ménages », soulignait Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada, au début de mai.

Que se passera-t-il si la Banque du Canada augmente son taux directeur de 1 % dans les 12 prochains mois, comme le prédisent certains économistes? « Les gens n’ont pas de marge de manœuvre. On voit de plus en plus de retraités qui ont surévalué les prestations gouvernementales et se sont en outre endettés pour s’occuper de leurs enfants, mais aussi de leurs petits-enfants. » D’autres surveillent le marché de l’emploi, car pour payer de pareilles dettes, deux revenus sont nécessaires.

Faudrait-il revoir les montants admissibles, mieux encadrer les retraits?

La discipline, il n’y a que ça, répond Pierre Leblanc. « C’est un produit qui demande beaucoup de prudence. C’est comme un marteau : ça peut être très pratique comme ça peut faire beaucoup de dégâts si on ne sait pas s’en servir. »