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Articles de fond
Magazine Pivot

Un CPA doté d’une assurance vraiment tous risques

Entre l’univers de la banque et celui de l’assurance, Manjit Singh, vice-président général et premier directeur financier de la Sun Life, a su se poser des questions et miser sur ses talents.

Portrait de Manjit SinghManjit Singh a commencé sa carrière chez Price Waterhouse avant de bifurquer vers le milieu bancaire où il a travaillé près de 30 ans. (Photo Katherine Holland)

L’inattendu frappe parfois à la porte. Manjit Singh en sait quelque chose. En 2002, il a 33 ans. Cadre à la TD, il y coule des jours paisibles, mais voilà que, par un après-midi de novembre, tout bascule. Le chef des services administratifs lui propose de déménager au Royaume-Uni dans cinq semaines pour travailler sur un projet d’envergure. Cinq semaines? Manjit Singh et sa femme viennent d’avoir un deuxième enfant et d’acheter une maison, et il a entrepris un MBA, qu’il prépare la fin de semaine. « J’ai dû prendre une décision difficile, sans tergiverser : garder un emploi qui me plaisait dans mon pays, près de ma famille, ou relever un nouveau défi, avec un échéancier serré, sans mes collègues ni ma famille à mes côtés. » Après réflexion, Manjit Singh accepte l’offre, à condition de pouvoir terminer son MBA.

Chaque semaine, il fait la navette entre Londres et Toronto. Il atterrit le samedi matin pour assister à ses cours et voir sa famille avant de reprendre l’avion pour le Royaume-Uni le soir même. « C’était épuisant, reconnaît-il, mais un cocktail d’adrénaline et de volonté m’a permis de persévérer. »

Après avoir passé la majorité de sa carrière dans le secteur bancaire, à la BMO, à la CIBC et à la TD, Manjit Singh est devenu vice-président général et premier directeur financier de la Sun Life. Un grand saut, certes, mais il n’y a pas de quoi s’étonner, de la part d’un leader qui n’a pas froid aux yeux. Aujourd’hui, il encadre de jeunes professionnels qui vivent leurs propres transitions de carrière. « Je leur dis qu’un jour, on pourrait leur demander de prendre un virage imprévu, de déménager du jour au lendemain. En principe, ils s’estiment prêts à le faire. Mais quand l’occasion se présente, ce n’est “pas le moment”, disent-ils. Honnêtement, ce n’est jamais “le moment”. Pourtant, en général, le jeu en vaut la chandelle. Mon poste à Londres m’a ouvert des portes, on a vu que j’étais prêt à prendre des risques. »

Après des études en comptabilité à l’Université de Waterloo, Manjit Singh a travaillé chez Price Waterhouse, devenu PricewaterhouseCoopers. Deux ans plus tard, il s’est joint au groupe d’audit interne de BMO Marché des capitaux, ce qui a marqué le début d’une carrière de 30 ans dans le milieu bancaire. « La formation de CPA confère des compétences transférables. Je ne voulais pas nécessairement travailler pour des banques, mais j’ai réussi à le faire parce que j’avais des compétences en audit, un sens aigu des finances et de l’expérience en gestion d’équipes diversifiées, aptitudes que je pouvais appliquer dans d’autres contextes. »

En 1995, Manjit Singh s’est joint à l’équipe de gestion des risques de la BMO. Quatre ans plus tard, la banque néerlandaise ABN AMRO procédait à une expansion dynamique en Amérique du Nord. Prévenu par une de ses connaissances, il a posé sa candidature et décroché le poste de vice-président adjoint de l’audit, marché des capitaux, son premier poste de cadre, pour aider l’institution à s’établir à Chicago. Faisant fi de la facilité, le jeune professionnel de 28 ans, fier papa d’un premier bébé, a fait ses valises : toute la famille a déménagé aux États-Unis pour un an.

Manjit Singh debout au milieu du bureauEn mars 2021, Manjit Singh a quitté le monde bancaire pour devenir vice-président général et premier directeur financier de la Sun Life. (Photo Katherine Holland)

« Il aurait été simple de rester à la BMO, mais j’avais envie de travailler pour une financière en pleine croissance, comme ABN AMRO. Et devenir vice-président à 28 ans, quand même! Alors, je me suis lancé. Tout ne s’est pas passé exactement comme je l’aurais voulu, ce qui arrive parfois quand on part à l’aventure. Mais qui ne risque rien n’a rien. À dire vrai, là-bas, je n’ai pas eu autant d’occasions d’apprentissage que je l’aurais souhaité, mais le poste m’a ouvert d’autres débouchés. » Puis, pendant quelques années, Manjit Singh met à profit son bagage spécialisé pour aider les négociateurs à structurer les opérations.

Aux professionnels en début de carrière, il dit : « Patience! Concentrez-vous sur l’apprentissage. Le secteur bancaire était tout nouveau pour moi, alors j’ai vraiment cherché à apprendre. Passer par l’audit interne a été une façon d’y parvenir, parce que j’étais appelé à examiner les différents aspects des activités de la Banque. »

En 2001, il s’est joint à la TD comme vice-président, stratégie, Valeurs Mobilières TD, avant de devenir vice-président directeur des finances (essentiellement, directeur financier adjoint). En fin de compte, il est resté presque 20 ans à la TD, où il a dirigé une équipe mondiale de professionnels de la finance, et où il a appris bien des choses sur le leadership.

« Gérer une équipe, voilà la partie la plus difficile de mon travail. Les aspects techniques, même s’ils sont délicats, sont mieux délimités. Quand on a affaire à des personnes, on se rend vite compte que chacune est différente. Ma méthode : écouter, faire preuve d’ouverture et m’adapter autant que possible. »

Un de ses premiers rôles à la TD? Celui de premier directeur financier à Valeurs Mobilières TD, Europe et Asie. Il était à la tête d’environ 600 employés répartis dans cinq bureaux au Japon, à Taïwan, à Singapour et en Australie. De nos jours, il est facile de télétravailler grâce aux visioconférences, mais à l’époque, la majorité des échanges se faisaient par téléphone, ce qui représentait tout un défi. « J’ai dû apprendre à écouter, comme je ne pouvais pas voir le langage corporel de mes interlocuteurs. Et en dirigeant une équipe internationale, je suis aussi devenu plus sensible aux différences culturelles. »

Manjit Singh a vite remarqué que certains coéquipiers s’exprimaient facilement, mais que d’autres étaient plus réservés. « Je me souviens de quelqu’un qui était trop gêné pour parler pendant les grandes réunions d’équipe, mais je savais qu’il avait de bonnes idées. » Au cours d’une rencontre individuelle, il a demandé à l’employé ce qui le retenait. Il a répondu que ce n’était pas dans sa nature de prendre la parole. « Je le comprenais, mais il avait beaucoup à offrir à l’équipe, et je me suis dit qu’il devait y avoir moyen de profiter de ses lumières tout en l’aidant à rester dans sa zone de confort. »

Avec le temps, Manjit Singh a établi un lien de confiance avec l’employé au moyen de petits encouragements. « Je lui disais qu’il avait des atouts à proposer, qu’on pourrait profiter de ses connaissances. » Manjit Singh a aussi commencé à demander directement l’avis de certaines personnes pendant les petites réunions d’équipe, dont celui du collaborateur en question, pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui parlent. « Je l’ai lentement fait sortir de sa coquille en lui demandant son opinion. Je l’ai vu prendre confiance, être plus à l’aise. Je ne voulais pas faire de lui un personnage qu’il n’était pas, mais lui permettre de briller sans gêne, pour que son apport soit reconnu et récompensé. »

Ruby Dhillon, fondatrice de Pink Attitude Evolution, OSBL qui favorise l’avancement professionnel des femmes d’origine sud-asiatique, travaille au groupe RBC Gestion de patrimoine. Elle a été mentorée par Manjit Singh, qu’elle a rencontré à la TD il y a plus de 10 ans. Ensemble, ils ont créé le volet sud-asiatique du programme de diversité de la Banque, et Ruby souligne que pendant tout le processus, peu importe à quel point son horaire était chargé, Manjit Singh était à sa disposition. « Il réussissait à se libérer, et je voyais qu’il voulait vraiment me donner un coup de main. Manjit Singh est attentif et aide ses mentorés à voir leurs propres forces. Quand j’ai fondé Pink Attitude en 2015, j’étais tellement jeune, je me demandais si j’y arriverais. Mais il était toujours prêt à me conseiller et à me rassurer. Sans son soutien, l’organisation ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. »

« À mes débuts, Il n’y avait personne qui me ressemblait dans les équipes de direction. »

En mars 2021, Manjit Singh a encore une fois pris un grand risque. À la recherche de nouveaux horizons, il a laissé derrière lui les banques pour devenir vice-président général et premier directeur financier de la Sun Life. « J’ai travaillé si longtemps dans le secteur bancaire, pour différents groupes de la TD, dans plusieurs pays, que j’avais l’impression d’avoir tout vu, explique-t-il. Je suis arrivé dans un nouveau domaine, où je ne connaissais personne, en pleine pandémie, alors j’ai dû compter sur mon équipe pour qu’elle m’aide à apprendre à la vitesse grand V. »

En tant que membre de la haute direction et dirigeant du volet finances de la Sun Life, Manjit Singh veille sur bien des dossiers : capital, fiscalité, développement organisationnel, relations avec les investisseurs, initiatives stratégiques, il touche à tout. Manjit Singh est aussi arrivé dans un secteur en pleine transition vers IFRS 17, la norme sur les contrats d’assurance de l’IASB, norme qui entrera en vigueur début 2023. (La norme vise à éliminer les incohérences entre les états financiers, afin qu’il soit plus facile pour les analystes, les investisseurs et les autres parties prenantes de comparer les contrats ainsi que les entités.)

« C’est l’un des plus grands virages que vivront les assureurs, et beaucoup de mes collègues le préparent depuis plus de dix ans, dit-il. Je n’aurai eu que 18 mois pour me familiariser avec les dispositions, mais un leader n’a pas à avoir toutes les réponses. Il doit s’assurer d’être bien entouré et, surtout, écouter son équipe. Pour maîtriser une nouvelle sphère d’activité, il faut savoir poser des questions pointues. »

Il s’agit aussi de prendre exemple sur d’autres dirigeants de renom. À la TD, Manjit Singh exerçait en quelque sorte les fonctions de directeur des finances adjoint, mais à la Sun Life, c’est à un échelon supérieur, qui s’accompagne d’un nouveau rôle de porte-parole. Car actuellement, il communique fréquemment avec les investisseurs. « À la TD, j’ai eu la chance de travailler avec Colleen Johnston, directrice des finances pendant 10 ans. C’était l’une des meilleures dans le secteur pour les relations avec les investisseurs. Elle savait faire parler les chiffres et simplifier des concepts vraiment complexes. J’essaie donc d’appliquer ce que j’ai appris à ses côtés. »

Pendant ses 14 ans à la TD, Colleen Johnston a travaillé étroitement avec Manjit Singh et a vu le jeune professionnel talentueux se transformer en cadre aguerri, capable de faire ressortir le meilleur de son équipe. « Il a toujours été celui qui travaillait le plus fort, dit Colleen Johnston. Quand il est monté dans la hiérarchie, il a appris à encourager les autres à déployer les qualités qu’il possède lui-même. En finance, les cadres doivent continuer à maîtriser les aspects techniques du travail, mais aussi devenir des leaders accomplis. Ce n’est pas facile, mais Manjit Singh a relevé le défi avec brio. »

Lorsqu’il pense aux grandes transformations qui se sont produites dans les secteurs où il a travaillé, Manjit Singh trouve que la profession de CPA a beaucoup évolué depuis ses débuts. De un, l’émergence des IFRS a fait en sorte qu’il est plus facile que jamais pour un CPA de travailler dans un autre pays. De deux, comme il n’est plus nécessaire de cumuler les heures d’expérience pratique dans un cabinet de CPA, les parcours se sont diversifiés. « Il y a un important programme accrédité à la Sun Life, par exemple, et les 30 candidats qui y participent vivent une expérience bien différente de celle qu’ils auraient en cabinet. »

Et que dire de l’avenir qui s’esquisse? Manjit Singh croit que la durabilité continuera d’être à l’avant-plan pour la profession. « Il va y avoir une harmonisation des référentiels, ce qui va créer de nouvelles obligations d’information. Les parties prenantes s’attendent à obtenir des informations claires, et la profession va naturellement avoir un rôle à jouer, parce que les CPA fournissent déjà une assurance indépendante à l’égard d’autres informations. De nombreux CPA vont vouloir participer à l’élaboration des normes d’information sur la durabilité et s’acquitter de missions de certification. »

Quand il n’est pas en train d’explorer les moindres rouages du monde des assurances, Manjit Singh est bénévole à Ascend Canada, une organisation qui entend favoriser l’essor des professionnels issus des communautés asiatiques. La plateforme met en contact des professionnels à différents stades de leur parcours avec des mentors qui leur offrent des conseils et les aident à progresser.

Présent depuis les débuts d’Ascend, il y a plus de 10 ans, Manjit Singh a été nommé président de l’organisation en 2019. « Je viens d’une famille sikhe. Quand je suis arrivé sur le marché du travail, il n’y avait personne qui me ressemblait dans les équipes de direction. Et dans ma famille élargie, il n’y avait aucun leader pour me prendre sous son aile, pour me dire comment faire pour réussir. Je consacre du temps à Ascend parce que je voudrais que tout le monde soit sur un pied d’égalité. Nous aimerions élargir l’accès aux genres de privilèges que certains ont déjà, grâce à leurs réseaux informels. »

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