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Collage de Jeff Bandy, Rob Davis et Nick McGuigan avec graphique arc-en-ciel
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Magazine Pivot

« Les choses ont évolué, mais tout n’est pas réglé. »

Socle de la diversité, de l’équité et de l’inclusion, les initiatives en ce sens épaulent les communautés LGBTQ2SIA+. De quoi attirer et fidéliser les talents en tout genre.

Collage de Jeff Bandy, Rob Davis et Nick McGuigan avec graphique arc-en-cielEn haut à gauche, Jeff Bandy, CPA, de Dartmouth, Nouvelle-Écosse; à droite, Nick McGuigan, cofondateur du regroupement Queering Accounting; en bas, Rob Davis, FCPA, Chef de l’inclusion, de la diversité et de léquité chez KPMG Canada (images fournies)

La veille du souper en l’honneur des associés retraités de KPMG, Rob Davis n’a pas fermé l’œil de la nuit, tenaillé par l'inquiétude. Oui, les conjoints et conjointes étaient les bienvenus, mais voilà : Rob, hésitant, tout en discrétion, n’avait pas encore osé présenter à ses collègues son compagnon de vie, Joseph. Il faut le dire, en 2009, les comptables noirs et gais ne couraient pas les rues. « J’étais sur le qui-vive, sensible au moindre geste. Je ne voulais pas me faire remarquer. » Malgré sa nervosité, enfin résolu à s’affirmer, Rob a emmené Joseph à la soirée. Une décision courageuse, qu’il n’a pas prise à la légère. « J’avais quand même pris du galon et j’étais mieux dans ma peau, à vrai dire. »

Aujourd’hui chef de l’inclusion, de la diversité et de l’équité chez KPMG Canada, Rob Davis, FCPA, préside aussi le conseil d’administration du cabinet. Cadre supérieur, noir, gai, il sait pertinemment qu’il fait figure de modèle pour les jeunes. « La représentation à la direction pèse lourd dans la balance, mais elle faisait défaut à l’époque où je gravissais les échelons. » À une exception près. Eh oui, Rob Davis comptait sur une alliée, Mary Lou Maher, associée à KPMG, qui avait pris en charge le dossier diversité, équité et inclusion. « Mary Lou a été la première à normaliser ce que je vivais, et c’est grâce à elle que je suis sorti du proverbial placard. Je voyais qu’elle était à l’aise, qu’elle réussissait son parcours, sans égard à son identité lesbienne. »

Une enquête de la Société de recherche sociale appliquée le souligne, voir des personnes LGBTQ2SIA+ présentes à la tête d’une organisation n’a rien d’anodin. Commençons par décoder le sigle LGBTQ2SIA+, qui a allongé pour représenter les identités lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers, bispirituelles, intersexuées, asexuelles et plus encore. Place à l’arc-en-ciel! Les têtes dirigeantes, dorénavant appelées à défendre les droits des employés et à induire des changements organisationnels, font valoir un leadership inclusif, qui prémunit les employés contre la discrimination. Les répondants à l’enquête l’ont dit : pour créer des milieux de travail inclusifs, où chacun s’épanouit dans la confiance, à tous les niveaux hiérarchiques, les cadres doivent faire de l’équité leur cheval de bataille. D’après Egale Canada, organisation de défense des droits des communautés LGBTQ2SIA+, le leadership s’avère capital pour aménager un environnement inclusif. En clair, dans l’adoption des politiques d’inclusion, les leaders donnent le ton.

« On pousse un soupir de soulagement, sachant qu’on pourra être soi-même au travail. »

En Alberta, Morgan Bazin, CPA, qui n’a pas eu de modèle quand iel a résolu d’assumer sa différence, soutient désormais l’émergence de voix plurielles, en contexte professionnel. Un jour, en conférence téléphonique, Morgan a décidé de se désigner par les pronoms anglais neutres « they » et « them ». Un geste qui a trouvé des échos. « C’est la première fois que j’entends quelqu’un le faire, et je le fais moi aussi », lui a-t-on écrit. Et Morgan Bazin de poursuivre : « J’étais vraiment touché·e d’avoir montré qu’on peut réussir en exprimant son identité, en étant pleinement soi-même, et que c’est bien ainsi. » Apporter un mentorat à ses collègues LGBTQ2SIA+, voilà une façon d’avancer. « Tendre la main à un seul collaborateur suffit. » À en croire les enquêtes menées par McKinsey, le sentiment d’inclusion dépend surtout de l’accueil ménagé par les coéquipiers.

Comme chef de mission et future CPA chez KPMG à Vancouver, Kirsten Douglas s’est mise en quête d’alliés. En voyant des membres de la communauté dans le cabinet, Kirsten a su que l’endroit serait propice à son épanouissement. « On pousse un soupir de soulagement, sachant qu’on pourra être soi-même au travail. J’ai vu que je pourrais exceller, car diverses identités de genre sont acceptées ici. » Le cabinet offre notamment une prime à vie de 10 000 $ pour l’affirmation de genre, des toilettes neutres dans la plupart des bureaux, et un complément inclusif aux prestations de congé parental. (Auparavant, seules les mères biologiques en bénéficiaient. Par ses démarches, le Réseau de la Fierté de KPMG a fait évoluer les choses.)

Les initiatives de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) sont au cœur du recrutement et de la fidélisation des candidats LGBTQ2SIA+. Et de nos jours, pour ne pas se retrouver en queue de peloton, les cabinets adoptent des politiques de lutte contre les injustices. Selon l’agence Thomson Reuters, aux États-Unis, un CPA sur cinq issu des communautés LGBTQ2SIA+ quittera la profession à cause d’un manque d’initiatives de DEI. Mais bien qu’elles deviennent courantes, voire nécessaires, dans un marché où les recrues de talent ont l’embarras du choix, l’authenticité demeure primordiale.

Jeff Bandy, CPA à Dartmouth, raconte : « J’aime bien voir le logo arc-en-ciel surgir à l’approche du Mois de la Fierté, mais s’il disparaît sans gestes concrets, au-delà de la visibilité, le tout prend figure d’opération de relations publiques. » Il y a plusieurs façons de prêcher par l’exemple, dit-il. Parrainer des organisations, ajouter aux avantages sociaux le remboursement des soins d’affirmation de genre, financer des projets pour la jeunesse. « Afficher un logo ne suffit pas. »

Côté Fierté, les Quatre Grands ne chôment guère. L’an dernier, PwC Canada a consulté des spécialistes en DEI pour élargir ses politiques, compte tenu des nouvelles réalités identitaires (appui au remboursement des chirurgies d’affirmation de genre, congés aux parents non biologiques, prime de maternité de substitution aux parents célibataires, 2 500 $ par année pour la santé mentale). Si 16 % des employés de PwC Canada s’identifient comme LGBTQ2SIA+, Olivia Nuamah, leader nationale, Inclusion, diversité et appartenance, souligne que l’affirmation identitaire reste une décision qui appartient à chacun : « Nous faisons au mieux pour apporter accueil, soutien et équité aux équipes, au fil d’un cheminement qui sera résolument personnel. »

« La diversité, c’est l’invitation à la soirée, mais l’inclusion, c’est l’invitation à danser. »

Les recrues qui le souhaitent sont invitées à découvrir Shine, le rassemblement LGBTQ2SIA+ international de PwC. « Nous misons sur le réseautage en accéléré », explique Jacob Young, coprésident de Shine pour le Grand Toronto. « Le sentiment d’appartenance s’installe, les nouveaux et nouvelles prennent de l’assurance et s’épanouissent. »

Osons poser la question. La diversité rime-t-elle avec la rentabilité? Bien sûr que oui. Outre préciser que les équipes plurielles suscitent l’appartenance et la motivation, EY évoque une hausse de 50 % de la productivité. Pour le cabinet, dans un contexte de concurrence internationale pour recruter une main-d’œuvre qualifiée, les maîtres mots restent l’accueil, l’inclusivité et la bienveillance.

En 2022, pour faire le point, Deloitte a interrogé un groupe de personnes LGBTQ2SIA+ à l’échelle mondiale. Environ 80 % des sondés estimaient que les initiatives d’inclusivité figuraient désormais parmi les priorités de l’employeur. De ce nombre, presque tous ont précisé que ces mesures apportaient un soutien apprécié. L’alliance inclusive a également été jugée essentielle. Près de 40 % des répondants l’ont confirmé, ce qui favorise l’inclusion, c’est la présence d’alliés, qui dénoncent les comportements non inclusifs et écoutent attentivement leurs collègues de la communauté.

Pour Rob Davis, les politiques et pratiques de DEI permettent de se démarquer de la concurrence : « On attire les meilleurs, convaincus qu’ils s’épanouiront mieux ici qu’ailleurs. » Et, libres d’exprimer leur personnalité, ils se dépasseront. « Devant quelqu’un comme moi, un cadre supérieur noir et gai, il y a de quoi créer un filet de sécurité. » Au cabinet, la diversité est à l’honneur. Cette année, 8 % des nouveaux associés de KPMG se sont identifiés comme LGBTQ2SIA+, soit 3 % de plus que parmi les employés en général. En outre, 80 % d’entre eux se sentent libres d’être eux-mêmes au travail. Mais, pour Rob Davis, il faudrait arriver à un taux de 100 %. « Les choses ont évolué, mais tout n’est pas réglé », nuance-t-il.

Malgré les efforts louables déployés par les Quatre Grands, certains professionnels attendent d’être devenus cadres pour être pleinement eux-mêmes au travail. C’est le cas de Trisha Egberts, CPA, qui a longtemps hésité à dévoiler son identité. À la voir aujourd’hui, on a peine à le croire. « Finies les cachotteries! », dit-elle. Désormais, ses collègues mettent parfois des arcs-en-ciel en réaction à ses messages sur Slack. Toutefois, pendant ses trois premières années de carrière, elle a gardé le silence sur son identité. Il est vrai que son cabinet avait préparé des ressources et organisait chaque année des activités en juin, mais Trisha Egberts travaillait pour des clients qui n’étaient pas aussi ouverts aux différences que ses collègues à l’interne. Qui plus est, elle devait parfois aller dans des pays où l’homosexualité est criminalisée. La loi du silence régnait.

Et maintenant? Vice-présidente aux finances et à l’exploitation pour ThinkData Works, entreprise en démarrage qui compte une cinquantaine d’employés, Trisha Egberts fait bouger les choses. « Il faut catalyser des virages culturels, faire évoluer les politiques, et pour de bon. » Décidée à faire place aux groupes sous-représentés ou négligés (LGBTQ2SIA+, communautés noires et racialisées, communautés autochtones, groupes neuroatypiques), l’entreprise adopte une approche holistique de la DEI. Les changements de culture passent notamment par l’embauche. Les étapes de candidature et d’entrevue ont été revues pour que les meilleurs postulants, issus de tous les groupes, puissent participer. Et les recruteurs suivent une formation sur les préjugés sous-jacents pour déjouer la discrimination.

Nous sommes à la croisée des chemins. Osler, cabinet spécialisé en droit des affaires, constate que les entreprises qui ont opté pour des stratégies de diversité recrutent une main-d’œuvre représentative. Et elles investissent pour former des leaders qui prônent l’inclusion. Or, pandémie oblige, les priorités ont changé. Dans les secteurs où l’on se bat pour attirer les meilleurs, les travailleurs remettent parfois en question leurs choix de carrière, en quête d’un nouvel équilibre pour concilier activités professionnelles et personnelles. Avoir une équipe diversifiée, c’est un bel atout, fait valoir Trisha Egberts. Mais elle ajoute : « Il faut aussi donner aux recrues envie d’apprendre, d’évoluer, de rester. Sinon, vous allez les perdre. »

Certains plaident pour une approche repensée, où la différence aurait plus que jamais droit de cité. Les chercheurs Nick McGuigan, Lisa Powell et Alessandro Ghio ont lancé le regroupement Queering Accounting, qui entend réinventer la profession grâce aux points de vue des communautés LGBTQ2SIA+. L’inclusivité n’est pas l’objectif. « Remettons en question la structure hétéronormative des cabinets, où l’inclusion fait défaut », dit Nick McGuigan. La diversité permet d’ouvrir l’espace à tous afin d’accueillir un plus large éventail de personnalités et de perspectives. L’activiste américaine Vernā Myers a déclaré : « La diversité, c’est l’invitation à la soirée, mais l’inclusion, c’est l’invitation à danser. » La métaphore est succincte, mais il reste que beaucoup ont du mal à déterminer comment inclure le volet « équité » dans l’acronyme DEI.

Les organisations doivent elles aussi s’assumer, en quelque sorte. « Il faut qu’elles fassent un pas en avant. »

Terri McDowell, qui a passé 37 ans chez EY, dont 22 au Canada, a vu la profession changer et les membres des communautés LGBTQ2SIA+ être mieux acceptés. Elle s’est sentie pleinement appuyée quand elle a décidé de faire sa transition en 2019. « Je voulais évoluer dans la franchise et l’ouverture, à EY. Bien vite, mes collègues m’ont proposé leur soutien. » Terri souhaite faciliter la tâche de la relève. « Elles et ils ne seront pas les premiers, on entendra leur voix. »

Les pionniers comme Terri McDowell et Rob Davis sont de véritables modèles pour les jeunes CPA, comme s’ils brandissaient un étendard arc-en-ciel. La visibilité qu’ils offrent à la cause vient souligner que les personnes LGBTQ2SIA+ peuvent s’épanouir elles aussi dans une profession plutôt conservatrice. Emprunter un chemin déblayé par des précurseurs, c’est ce qu’a vécu Kirsten Douglas : « Je dis merci à ceux qui m’ont précédée, à celles qui ont préparé le terrain, pour que nous puissions travailler là où les autres nous ressemblent, avec ouverture, en toute confiance. »

Pour Nick McGuigan, les CPA aptes à jongler avec différentes perspectives seront mieux outillés, dans un contexte où les décisions se complexifient. « Avoir l’esprit ouvert, faire preuve de souplesse, c’est aussi apprendre à repousser les limites, à explorer l’inconnu et à tisser des liens. La prise de décisions sera globale, multifactorielle, et nous assurerons ainsi la pertinence de la profession pour l’avenir. »

Selon les chercheurs, l’avenir s’annonce prometteur pour les CPA de tous les horizons, mais ils doivent avoir les coudées franches pour se faire entendre. Les organisations doivent elles aussi s’assumer, en quelque sorte. « Il faut qu’elles fassent un pas en avant, explique Nick McGuigan. Nous les invitons à nous tendre la main afin de rebâtir une nouvelle piste de danse. Pour que nous puissions danser tous ensemble, mais autrement. »

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