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Lana Cuthbertson (de gauche à droite) d'Areto Labs, Bobbie Racette de Virtual Gurus et Shelley Kuipers de The51
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Magazine Pivot

Des investisseurs éclairés misent sur les femmes et en récoltent les fruits

Bien que boudées par le capital-risque, certaines entrepreneures réussissent souvent mieux que leurs homologues masculins, une réalité qui séduit certains investisseurs avisés.

Lana Cuthbertson (de gauche à droite) d'Areto Labs, Bobbie Racette de Virtual Gurus et Shelley Kuipers de The51De gauche à droite : Lana Cuthbertson d’Areto Labs, Bobbie Racette de Virtual Gurus et Shelley Kuipers de The51. (Images fournies)

Se créer un emploi plutôt que s’escrimer à en retrouver un, c’est ce qu’a fait Bobbie Racette, congédiée en 2016. Son poste d’adjointe à Calgary n’a pas survécu à la crise pétrolière. Audacieuse, elle a décidé de voler de ses propres ailes. Son entreprise, Virtual Gurus, en pleine croissance, compte aujourd’hui une quarantaine d’employés à temps plein, qui offrent des services d’adjoint administratif à distance à une clientèle nord-américaine. Mais en tant que femme, autochtone et membre de la communauté LGBTQ2IA+, Bobbie Racette a eu toutes les peines du monde à monter sa propre affaire.

« J’ai commencé avec 300 dollars en poche, et comme personne ne voulait investir dans mon projet, il m’a fallu deux ans pour arriver à bon port. J’ai essuyé 170 refus. “Manque de potentiel”, me disait-on, alors que le chiffre d’affaires dépassait le cap du million », témoigne-t-elle.

Un cas loin d’être isolé. Selon Crunchbase, à l’échelle du monde en 2020, à peine 2,3 % de l’ensemble des fonds de capital-risque revenaient aux entrepreneures, contre 2,9 % en 2019. Ces dernières représentent pourtant 17,5 % du marché au Canada. Quant à celles qui appartiennent à d’autres groupes sociaux marginalisés, les chiffres dégringolent. Lorsque Virtual Gurus a mobilisé 8,4 M$, Bobbie Racette est devenue la première femme autochtone à franchir haut la main l’étape du financement de série A dans le secteur de l’innovation au Canada. Même tableau du côté des États-Unis. Les entrepreneures noires n’obtiennent, disent les statistiques, que 0,35 % de l’ensemble des fonds, quoique, toujours plus nombreuses, elles représentent un des groupes qui affiche la plus forte croissance.

Le marasme économique qui frappe les technologies, vagues de licenciements à la clé, n’arrange rien. Les investisseurs se retirent, et les jeunes pousses s’étiolent. En 2021, ce sont 701 opérations de financement qui ont été recensées dans le domaine, conclues entre entreprises d’ici et investisseurs, pour un total de 14 G$, nous apprend Briefed.In. Un apport de capitaux qui a chuté de 41 % en 2022, année où ont été menées 417 opérations, soit l’équivalent de 9,7 G$, un affaissement qui se poursuivra en 2023. Une situation certes universelle, mais qui freine encore plus l’entrepreneuriat au féminin.

Pourquoi ce constat? Preuve en est faite, les femmes, qui éprouvent des difficultés à asseoir leur crédibilité face aux investisseurs, se heurtent à des biais sexistes, et ce, notamment en raison de leur sous-représentation dans le milieu des bailleurs de fonds. Elles constituent, selon Diversio, moins de 20 % des associés aux commandes dans le milieu du capital-risque au Canada.

« Qui se ressemble s’assemble », rappelle Shelley Kuipers, de Calgary, cofondatrice du groupe de capital-risque The51 qui plaide pour la démocratisation du financement tant pour les femmes que pour ceux et celles ayant choisi leur identité de genre. « Certaines nous disent avoir changé de nom, ne serait-ce que pour arriver à obtenir une réponse des capital-risqueurs. Les préjugés sont tenaces. »

Même frilosité ressentie par Rachel Bartholomew, fondatrice de Hyivy Health, entreprise de Kitchener spécialisée en santé pelvienne. C’est en 2020 qu’elle l’a créée, échaudée par l’obsolescence (les années 1940, c’est loin!) de l’appareil fourni pour sa rééducation après un cancer du col de l’utérus. Rachel Bartholomew a frappé à la porte de l’État et a obtenu 1,7 M$ en subventions, avant d’aller voir du côté des investisseurs chez qui, pour la plupart, son idée n’a suscité que peu d’intérêt. Elle a fini, non sans peine, par lever 1,3 M$ en financement de préamorçage.

« Pour nombre d’hommes qui se sentent interpellés par notre produit, le cancer du col est une réalité qu’a vécue leur épouse, leur sœur, leur fille. Un lien se crée, et c’est là, je crois, que l’essentiel se joue. Mais mener ces conversations, dialoguer pour récolter quelques réponses positives, c’est long. Du temps qui en coûte à l’entreprise. »

Aucun progrès, donc? Loin de là. Le nombre de capital-risqueuses monte. De grands acteurs, dont The51, qui a soutenu Hyivy Health et Virtual Gurus, se consacrent au financement de jeunes pousses pilotées par des membres de groupes sous-représentés. Au Canada, citons également Backbone Angels, collectif d’anges-investisseuses au service des entrepreneures et des fondateurs non binaires. S’y ajoutent StandUp Ventures et SandPiper Ventures, spécialisées en financement d’amorçage.

« Les femmes lancent des produits et services qui n’existaient pas ou qui ont été pensés sans tenir compte de leurs points de vue. Elles viennent remanier, redéfinir et réinventer les objets du quotidien, et c’est un marché porteur », souligne Shelley Kuipers.

Les chiffres ne mentent pas. Ces 10 dernières années, au Canada, le nombre d’entrepreneures a grimpé de 30 %. Leurs entreprises, pourtant négligées par les bailleurs de fonds, dégagent souvent un chiffre d’affaires supérieur à celui que réalisent leurs concurrentes dirigées par des hommes, à savoir plus du double par dollar investi. De fait, d’après le Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat (PCFE), le nombre d’entreprises innovantes fondées par des femmes et évaluées à plus de 1 G$ US (les « licornes ») a presque doublé depuis 2019.

Un phénomène qui ne surprend pas Lana Cuthbertson, cofondatrice et PDG d’Areto Labs, entreprise en démarrage de Calgary spécialisée en cybersécurité et en lutte contre la violence en ligne, et venant tout juste de réunir 1 M$ en financement. « On place la barre haut si une femme est aux commandes, et avec le temps, l’entreprise, qui s’est appréciée chemin faisant, sera sous-évaluée. La prise de participation représente alors un atout indéniable pour les investisseurs », explique la PDG.

En savoir plus

Voyez en quoi la présence de femmes à des postes de direction est essentielle pour améliorer les résultats d’une organisation. Découvrez pourquoi le réseautage est indispensable pour les entrepreneures autochtones et comment les femmes peuvent trouver leur voix en tant que leaders. Enfin, faites connaissance avec trois femmes CPA, à différentes étapes de leur carrière, qui parlent de leur expérience et de leurs réalisations.