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Couverture du livre Pyramid of Lies
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Magazine Pivot

Ascension et chute d’un château de cartes « fintech »

Ou comment les tromperies de Lex Greensill ont conduit à l’effondrement de ses profits pharaoniques.

Couverture du livre Pyramid of LiesDans The Pyramid of Lies, le journaliste financier Duncan Mavin plonge aussi loin dans le monde financier de son protagoniste que dans les méandres de sa personnalité. (image fournie)

The Pyramid of Lies: Lex Greensill and the Billion-Dollar Scandal est fertile en leçons : Duncan Mavin, comptable et journaliste financier, y relate l’ascension et la chute, en mars 2021, du château de cartes « fintech » de Lex Greensill. Disons-le, la plupart de ces leçons inspirent un certain cynisme. L’auteur, vraisemblablement sur l’avis de conseillers juridiques, qualifie poliment de « trompeuses » les flagrantes contradictions factuelles du protagoniste. Soit. D’autres constats restent carrément en travers de la gorge : de petites entreprises et des particuliers font faillite, alors que de gros joueurs – comme l’énorme SoftBank japonaise – s’en tirent à bon compte. Et pendant ce temps, Lex Greensill, fils d’un fermier australien, se prélasse dans son manoir anglais, assis sur ses millions de livres.

Sans parler de ce qui scandalise le plus les Britanniques : la fortune que le banquier a versée à l’ancien premier ministre David Cameron pour amener la fonction publique du Royaume-Uni à ouvrir quelques portes, y compris en son sein. Le scénario s’emballe : en février 2020, un an après que l’auteur eut commencé à écrire sur Greensill Capital, une source lui remet un livre dans une enveloppe matelassée; quelques heures plus tard, la voiture du journaliste est cambriolée, et le paquet, volé. Coïncidence improbable, pour le moins.

Si ces aspects de Pyramid sont troublants, l’œuvre – superbe leçon d’histoire – est passionnante. L’auteur plonge aussi loin dans le monde financier de son protagoniste à l’ambition féroce que dans les méandres de sa personnalité. Il s’avère que le premier volet est nettement plus captivant. Pour rappel, après la crise de 2008, la vieille garde bancaire est sur les dents : la faiblesse apparemment sans fin des taux d’intérêt ne génère plus les rendements ni les commissions d’antan. Si certains demeurent avides de rendements plus élevés, d’autres, financiers idéalistes, souhaitent alors démocratiser le milieu. Les politiciens, quant à eux, veulent que les petites entreprises puissent emprunter à moindre coût.

Cette ouverture à de nouvelles idées crée une situation explosive où les organismes de réglementation, encadrés par des règles obsolètes, peinent à s’adapter contrairement aux fraudeurs prompts à s’approprier les technologies émergentes. (Dix ans avant que Samuel Morse n’envoie son célèbre premier message, deux banquiers bordelais avaient déjà piraté le système sémaphore Paris-Bordeaux de l’État pour connaître en primeur les cotes de la Bourse.)

Le monde de la finance était ainsi prêt à s’en remettre à un apôtre charismatique du financement de la chaîne d’approvisionnement (FCA), dispositif issu du très ancien affacturage : les fournisseurs de matières premières sont payés par les acquéreurs – qui n’ont pas encore fabriqué leurs produits et ne disposent donc pas des fonds nécessaires – par l’entremise d’un tiers, l’affactureur, lequel achète les factures à un prix réduit et obtient ensuite la totalité du montant auprès des acquéreurs. Techniquement, le FCA est un affacturage inversé : les acquéreurs vendent leur dette plutôt que les fournisseurs leur créance. Dans les deux cas, les fournisseurs sont payés plus rapidement, régularisent leur trésorerie et échappent au pouvoir des grands acheteurs, qui cherchent à allonger arbitrairement les délais de paiement. Tout le monde semble y trouver alors son compte : les États, souvent les plus gros acheteurs nationaux (notamment en santé), les banquiers à la recherche de sources de revenus et les investisseurs en quête de nouvelles entreprises aux rendements juteux. Pourtant, le FCA n’a jamais été très lucratif, en tout cas pas suffisamment pour attirer les grands investisseurs dont aurait rêvé Lex Greensill. Résultat : l’entrepreneur finance sa petite affaire en utilisant l’argent des investisseurs pour octroyer des prêts à court terme continuellement renouvelés au genre de clients que les grandes banques fuient comme la peste, dont Sanjeev Gupta et son obscur conglomérat d’entreprises sidérurgiques.

Pendant un temps, tout fonctionne comme sur des roulettes : à la fin de 2019, Greensill Capital est une licorne, jeune pousse évaluée à plus de 1 G$; son fondateur roule sur l’or. Pourtant, 15 mois plus tard, les assureurs, effrayés, prennent la poudre d’escampette, privant ainsi l’édifice Greensill de l’une de ses pièces maîtresses, et tout s’effondre.

Duncan Mavin fait preuve d’un extraordinaire souci du détail. Ambition aveugle, inaction des organismes de réglementation, porte tournante entre les États et les entreprises, système où les grands acteurs ne sont jamais perdants, même lorsque leurs projets mordent la poussière... tout y est. L’aventure se termine sans éclat, la montagne ayant accouché d’une souris. Opération fructueuse, les avocats et les comptables continuent de passer les débris au crible tandis que le FCA pourrait bien être abandonné à force de règlements. Et Lex Greensill, comme Adam Neumann (dirigeant déchu de WeWork, la pire erreur de SoftBank), pourrait bien renaître de ses cendres et redevenir une puissance financière.

PYRAMIDES EN CASCADES

Lisez notre entretien avec l’auteur Duncan Mavin pour comprendre comment il a résolu l’affaire Greensill. Consultez également les nombreuses ressources de CPA Canada en matière de protection contre la fraude et de lutte contre le blanchiment d’argent.