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La couverture noire de «La Guerre Mondiale Des Ondes» est représentée avec deux poings illustrés, l'un portant le drapeau américain et l'autre le drapeau chinois
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Magazine Pivot

Le Canada pris en otage

Un essai captivant sur la nouvelle guerre froide menée par les États-Unis contre la Chine. 

La couverture noire de «La Guerre Mondiale Des Ondes» est représentée avec deux poings illustrés, l'un portant le drapeau américain et l'autre le drapeau chinoisLa Guerre mondiale des ondes se dévore comme un roman de John Le Carré. (Tous droits réservés)

Les enjeux entourant la 5G sont-ils vraiment connus du public? Sûrement pas, à lire l’excellent livre La Guerre mondiale des ondes (Tallandier, 2021). Journaliste au quotidien français Les Échos, spécialiste des télécoms et des plateformes numériques, Sébastien Dumoulin dévoile dans cet ouvrage les dessous d’une bataille sans merci dans laquelle les États-Unis se sont engagés.

MENACE FANTÔME

Si la rivalité des grands de la 5G ne passionne pas le grand public, la technologie transformera pourtant certains secteurs, comme les transports ou la santé, en permettant à une quantité incroyable d’appareils de se connecter simultanément à un large réseau. Et dans cette course, Huawei avait pris une longueur d’avance.

Relatée par Sébastien Dumoulin, l’histoire de l’équipementier en téléphonie est fascinante. Fondée il y a 30 ans par Ren Zhengfei, alors parti de rien, Huawei est aujourd’hui l’une des 50 plus grandes entreprises dans le monde.

Ses produits, reconnus pour leur grande qualité, sont le fruit d’investissements pharaoniques en R-D. Leurs faibles coûts de production et une stratégie de prix ultra-agressive ont permis à Huawei de conquérir des marchés grands comme des continents, tels que l’Afrique ou l’Europe. Et il règne dans l’entreprise une culture où le dévouement à la tâche est total.

Soutenue par la Chine (elle a déjà bénéficié de 75 G$ en crédits d’impôt, selon le Washington Post), Huawei dispose de soutiens financiers uniques. « Lorsque [l’homme d’affaires] Carlos Slim a voulu construire un réseau 4G au Mexique, la Bank of China lui a donné un milliard de dollars, avec un taux d’intérêt de 1 %, s’il en dépensait 80 % chez Huawei. »

Régulièrement accusée d’espionnage pour le compte du gouvernement chinois, l’entreprise a ouvert en Angleterre « The Cell », un organisme unique au monde où elle permet « aux cyber-experts de Sa Gracieuse Majesté de démonter pièce par pièce chacun de ses équipements qui a vocation à être installé sur le territoire britannique [code source inclus] ». Dans six villes du monde, dont Toronto, Huawei a aussi ouvert un « centre de la transparence sur la cybersécurité du groupe ». 

Autant de démarches permettant au géant de montrer patte blanche. « Nous sommes comme un fabricant de camions, qui vend des véhicules à différents pays. Ce qui est transporté dépend du conducteur, pas de nous », se plaisait à rappeler Ren Zhengfei en entrevue au Globe and Mail.

Bien sûr, le géant a dû se défendre contre des accusations de toutes sortes (comme le plagiat de produits Cisco ou le vol de Tappy, une technologie de test de téléphone cellulaire), mais il n’y a qu’aux États-Unis qu’elles ont provoqué des remous.

RIPOSTE RÉELLE

Depuis la présidence de George Bush, les États-Unis n’ont cessé d’imposer des mesures restrictives au fabricant, comme sur l’importation des puces nécessaires à la fabrication de ses téléphones. En vain, ils ont mené moult opérations d’espionnage pour prouver que la Chine les épiait : infiltration des serveurs centraux de Huawei et vols de données, écoutes illégales, détournement de colis en vue de trafiquer les produits expédiés… Comble de l’ironie, les Américains ont même piraté les équipements de Huawei pour surveiller d’autres pays comme l’Afghanistan, le Pakistan ou Cuba.

Sur son propre territoire, l’administration américaine n’a ménagé aucun effort, imposant de nouveaux droits de douane sur 50 G$ d’importations chinoises ou menaçant ses propres opérateurs, comme AT&T et Verizon, de ne plus leur attribuer de contrats s’ils achetaient du matériel à Huawei.

En 2018, les États-Unis pressent leurs alliés de s’enrôler dans la lutte. Un des premiers à en faire les frais? Le Canada, qui procède à l’arrestation à Vancouver de la fille du fondateur, Meng Wanzhou. L’année suivante, la pression monte d’un cran lors du 11e Forum d’Halifax sur la sécurité internationale. Les patrons du renseignement du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l’Angleterre se font dire par leur homologue américain (dans le cadre d’une alliance appelée les « Five Eyes ») que toute collaboration avec Huawei pour implanter la 5G sera sanctionnée. Il faut prendre position.

Bref, le combat mené par les États-Unis contre la Chine est tentaculaire – début juillet 2020, le FBI ouvrait un nouveau dossier de contre-espionnage en lien avec la Chine toutes les 10 heures –, sauf qu’à force d’être attaquée, Huawei s’est adaptée et pourrait en sortir encore plus forte.

La Guerre mondiale des ondes se dévore comme un roman de John Le Carré. Si le monde doit se séparer en deux blocs, comme l’évoque Sébastien Dumoulin, on se demande juste ce qu’il adviendra du Canada, personnage secondaire et pourtant clé, qui se retrouve bien malgré lui pris en otage.

DES LECTURES INSPIRANTES

Notre vision du progrès nous a-t-elle fait perdre de vue l’essentiel? Doit-on prioriser la quête de sens plutôt que la poursuite du bonheur? L’entreprise peut-elle agir comme un levier social pour changer le monde? La réponse en livres.