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Feuilles de marijuana d'un groupe de plantes poussant dans un établissement
Comptabilité
La profession

Cannabis et information financière : nouveau secteur, nouveaux enjeux

Des considérations pratico-pratiques se présentent quand vient le temps d’appliquer des normes de comptabilité et d’audit au secteur du cannabis. CPA Canada a mis sur pied un groupe de travail pour explorer les options.

Feuilles de marijuana d'un groupe de plantes poussant dans un établissementPour la première fois au Canada, de nombreuses sociétés agricoles cotées en bourse sont tenues d’appliquer la norme IFRS visant cette catégorie d’entreprise. (Getty Images/Bloomberg Creative Photos)

Le Canada étant au nombre des premiers pays à avoir légalisé l’usage du cannabis à des fins récréatives ou médicales, il est devenu un chef de file de ce nouveau secteur. (Rappelons que la Loi sur le cannabis est entrée en vigueur le 17 octobre 2018.) Or, on remarque une demande croissante des investisseurs et autres intéressés pour de l’information plus détaillée sur ce sujet, et nos divers organismes sont bien placés pour façonner les pratiques d’audit et définir les normes de présentation de l’information financière. [Voir État du secteur du cannabis, neuf mois après la légalisation]

Plus tôt cette année, CPA Canada a mis sur pied un groupe de travail chargé de se pencher sur les défis en matière d’audit et de présentation d’information financière, défis auxquels se heurtent les CPA appelés à travailler chez des clients du secteur du cannabis. Ce groupe, orchestré par CPA Canada, réunit des représentants de plusieurs cabinets d’audit ainsi que du Conseil des normes comptables (CNC) du Canada.

Nous nous sommes entretenus avec Michael Massoud, directeur de projets, Recherche, orientation et soutien, à CPA Canada, et avec deux membres du groupe de travail : Maruf Raza, associé et directeur national, Sociétés ouvertes, à MNP, et Armand Capisciolto, associé national, Normes comptables, à BDO Canada. M. Raza a longuement travaillé auprès d’entreprises du secteur du cannabis, ici et à l’étranger (missions d’audit, opérations de financement ou étapes d’entrée en bourse). M. Capisciolto, lui, est membre de l’équipe IFRS mondiale de BDO et vice-président du CNC.

CPA CANADA : Quel est le mandat du groupe de travail?

MICHAEL MASSOUD : Ce groupe a trois grands objectifs :

1) Tenir un forum, pour les cabinets et les professionnels en exercice, où il est possible de discuter d’enjeux touchant la présentation d’information financière ou les activités d’audit, dans le secteur du cannabis.
2) Faire connaître les nouveaux enjeux qui se présentent quand on applique les normes de comptabilité ou d’audit dans le secteur du cannabis.
3) S’il y a lieu, rédiger et publier des indications ne faisant pas autorité à propos des enjeux soulevés. Au fait, un webinaire est prévu à cet effet, cet automne.

L’idée est de rassembler des experts, tous les deux ou trois mois, pour discuter de la question et des moyens de réduire la diversité des façons de faire ou d’améliorer la transparence pour les utilisateurs d’états financiers.

ARMAND CAPISCIOLTO : Étant donné que certains membres et permanents du CNC font partie du groupe de travail, le CNC est à même de discerner les préoccupations des parties prenantes et, par conséquent, de soulever ces questions auprès de l’International Accounting Standards Board. C’est donc dire que la connaissance des enjeux s’étend à l’échelle nationale et mondiale.

CPA Canada : Pouvez-vous donner des exemples de défis auxquels font face les comptables?

MARUF RAZA : Le secteur du cannabis est régi par la Norme comptable internationale (IAS) 41 Agriculture, qui porte sur le traitement et la présentation de l’information financière ainsi que sur les informations à fournir en ce qui concerne les activités agricoles. Toutefois, les indications pratiques sur la façon d’appliquer la norme font défaut, et c’est ce qui cause le manque d’uniformité observé dans la réalité.

AC : Outre le fait que le cannabis est un nouveau secteur, il existe bien peu de sociétés ouvertes qui appliquent la norme IAS 41 au Canada. C’est que, voyez-vous, même si le pays compte près de 200 000 entreprises agricoles – un chiffre élevé, à tous égards –, la plupart sont des sociétés fermées et ne sont donc pas tenues d’appliquer les IFRS. La majorité des entreprises productrices de cannabis, elles, sont des sociétés ouvertes parce qu’elles devaient recueillir des fonds. On sait que ce secteur est capitalistique, car une grande partie de la culture se fait à l’intérieur et exige des systèmes d’éclairage et d’arrosage. Et comme on le sait, le marché a manifesté un vif intérêt envers la manne escomptée.

Par conséquent, nous voilà dans une situation quasi inédite au Canada, où de nombreuses sociétés agricoles cotées en bourse sont tenues d’appliquer la norme IFRS visant cette catégorie d’entreprise. Je dis à la blague que cultiver du pot ou des tomates, ce n’est guère différent. Mais le marchand de légumes type, lui, n’a pas à se préoccuper des IFRS.

CPA Canada : Pouvez-vous donner un exemple d’enjeu potentiel?

MR : Selon la norme IAS 41, les producteurs doivent comptabiliser leurs actifs biologiques à leur juste valeur, ce qui signifie que les revenus sont comptabilisés avant la vente comme telle, pendant que les plants de cannabis poussent. Beaucoup d’estimations entrent alors en jeu, ce qui engendre une grande incertitude dans le bilan et dans l’état des résultats. Il est donc difficile, pour les investisseurs et les analystes, d’évaluer la performance de l’entreprise.

CPA Canada : Aux États-Unis, le cannabis est illégal à l’échelle fédérale, mais légal dans certains États. Quels problèmes cela soulève-t-il pour les entreprises américaines désireuses de s’inscrire en bourse au Canada?

MR : Il y a, en effet, plusieurs défis d’ordre opérationnel quant aux activités menées aux États-Unis. Il suffit de penser aux opérations bancaires, à l’article 280E du Internal Revenue Code et au processus d’entrée en bourse. Le Groupe TMX n’accepte pas d’inscrire des sociétés américaines qui s’occupent directement de la culture des plants de cannabis, ce qui a limité la capacité des sociétés inscrites au TSX ou au TSXV de faire une incursion au sud de la frontière. Cela dit, la Bourse des valeurs canadiennes s’est positionnée comme un leader en permettant aux sociétés américaines actives dans le secteur du cannabis de s’inscrire en bourse, sous réserve de la fourniture d’informations suffisantes au sujet des risques.

Et si des sociétés américaines veulent s’installer au Canada, des entreprises canadiennes, de leur côté, veulent prendre de l’expansion sur le marché américain. Ce qui a soulevé des difficultés concernant leur inscription en bourse (au TSX ou au TSXV) et, aussi, restreint leur capacité à s’inscrire au NASDAQ ou au NYSE. La crainte de se retrouver en situation de non-conformité avec la législation fédérale est plus préoccupante pour les Canadiens, qui ne jouiraient probablement pas de la même protection que les Américains en vertu des lois des États américains.

CPA Canada : Des questions semblables se présentent-elles quand il est question d’autres pays?

AC : Oui, chaque pays a ses propres règles qui déterminent qui peut être propriétaire ou exploitant d’un centre de production de cannabis, si bien qu’il peut se révéler très compliqué de signer des ententes commerciales.

MR : Le plus gros défi, dans une perspective d’audit – surtout lorsque les activités sont menées dans d’autres pays –, c’est de bien connaître le cadre légal en matière de cannabis, dans chaque pays, et de s’assurer que l’entreprise auditée se conforme à toutes les lois de ce cadre. Pour chaque pays, cela exige un investissement en temps, de la part des auditeurs, pour se familiariser avec les règlements et s’assurer que tous les permis nécessaires ont été obtenus.

AC : Le nombre de ressorts territoriaux qui ont légalisé le cannabis, pour un usage médical ou récréatif, augmente continuellement. Et étant donné que le marché boursier canadien est le plus mature, pour ce qui est du cannabis, il attire des entreprises de partout dans le monde.

MR : Oui, et il faut dire que nos entreprises aussi veulent conquérir d’autres marchés dans le monde. Donc, les risques vont dans les deux sens.

LE CANNABIS AU CANADA

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