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Les normes d’information sur la durabilité et le rôle des conseils d’administration

De plus en plus, les investisseurs demandent aux sociétés de les informer de leurs démarches en matière de durabilité. Quel sera le rôle des conseils d’administration?

Réunion d'hommes d'affaires dans un espace de travail moderneUne surveillance accrue oblige les conseils d’administration à intégrer plus stratégiquement les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance à leurs activités. (Getty/ recep_bg)

La sensibilisation grandissante aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), dont les changements climatiques et les objectifs de carboneutralité, pousse les entreprises à rendre compte de leur performance au chapitre de la durabilité. Résultat : elles doivent démêler un écheveau de cadres et d’obligations d’information floues.

C’est en réponse à la demande d’information ESG mondiale de la part des investisseurs que les administrateurs de l’International Financial Reporting Standard Foundation (IFRS Foundation) ont mis sur pied le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (International Sustainability Standards Board – ISSB), qui voit à uniformiser l’information communiquée au moyen d’un référentiel exhaustif à cet égard. Les premières normes – IFRS S1 et IFRS S2 – ont été publiées le 26 juin 2023, et d’autres devraient suivre.

CPA Canada s’est entretenue avec Rosemary McGuire, CPA, vice-présidente, Recherche, orientation et soutien, et Barbara Stymiest, FCPA, administratrice de sociétés, qui ont récemment participé à un webinaire conjoint de l’Institut des administrateurs de sociétés (IAS) et de CPA Canada ayant pour thème l’avenir de l’information sur la durabilité avec les normes de l’ISSB, afin de savoir ce que les travaux de l’ISSB signifieront, à leur avis, pour les conseils d’administration.

CPA CANADA : Quelle est l’importance des normes de l’ISSB pour les organisations?

Rosemary McGuire (RM) : Les attentes à l’égard de la gestion et de la transparence des enjeux de durabilité changent, et le cadre réglementaire évolue rapidement.

L’ISSB cherche à apporter clarté et cohérence au marché en établissant une base de référence mondiale pour l’information sur la durabilité. À l’heure actuelle, l’application des normes IFRS d’information sur la durabilité, soit IFRS S1 et IFRS S2, n’est pas obligatoire au Canada. Cependant, ce n’est qu’une question de temps avant que des obligations d’information ne voient le jour.

N’oublions pas, d’ailleurs, que la législation canadienne en valeurs mobilières exige déjà des émetteurs qu’ils incorporent l’information importante liée au changement climatique dans les documents qu’ils déposent auprès des autorités de réglementation. Par ailleurs, de nombreuses sociétés fermées fournissent de l’information sur la durabilité en réponse à la demande accrue de leurs parties prenantes.

Barbara Stymiest (BS) : Grâce aux normes de l’ISSB, nous avons exactement ce qu’il nous faut pour commencer à communiquer l’information. C’est également l’occasion pour notre pays de montrer la voie dans le domaine des normes d’information sur la durabilité.  Le Canada a toujours contribué de façon notable à l’établissement de normes mondiales, et le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) est bien positionné pour demeurer un chef de file en normalisation.

CPA CANADA : Quels seront les effets des normes de l’ISSB sur les conseils d’administration?

BS : On disait autrefois qu’il suffisait de s’occuper des bénéfices et que le reste venait naturellement. Ce n’est plus le cas. Les conseils d’administration doivent désormais adopter une vue d’ensemble, et comprendre que les activités liées aux questions environnementales, sociales et de gouvernance ne s’opèrent pas en vase clos, mais rejaillissent sur toutes les parties concernées.

Les comités d’audit avaient l’habitude de se consacrer exclusivement à la surveillance de l’information financière et à la certification. À l’avenir, ils devront superviser la mesure de la durabilité et prendre en compte les retombées environnementales et sociales. Ces retombées pour les parties prenantes devraient être soumises aux mêmes procédures de surveillance que celles qui s’appliquent à l’information financière suivant les normes en la matière. C’est pourquoi, à terme, l’ISSB – tout comme le CCNID – exigera l’expression d’une assurance par des tiers à l’égard de l’information connexe.

RM : Les conseils d’administration doivent veiller à ce que les questions ESG fassent partie de la stratégie organisationnelle et assurer une gouvernance efficace à cet égard.

Il importe aussi de tenir compte, en théorie et en pratique, des liens entre « environnement », « société » et « gouvernance ». Les investisseurs veulent savoir si les administrateurs s’occupent des enjeux de durabilité importants, et il s’agit d’ailleurs d’un volet fondamental des normes de l’ISSB. Par exemple, IFRS S1 et IFRS S2 exigent de rendre compte de la surveillance exercée par le conseil d’administration quant aux possibilités et aux risques liés à la durabilité et aux changements climatiques.

CPA CANADA : Les organisations sont-elles bien préparées?

RM : On constate actuellement un important manque de confiance dans l’information sur la durabilité. En effet, dans un sondage mené par EY, 76 % des investisseurs se sont dit d’avis que les sociétés étaient très sélectives quant à l’information qui leur était communiquée, une situation qui n’est pas sans laisser craindre des tentatives d’écoblanchiment. Puis, selon une étude récente de PwC, un peu plus de la moitié des administrateurs estiment que leur conseil est fin prêt à assurer la surveillance des informations ESG à fournir, comparativement à 25 % en 2022.

Les normes peuvent aider les administrateurs à combler une partie des lacunes. Grâce au cadre qu’elles créent, il est possible de déterminer les enjeux ESG importants et les ICP pertinents, ainsi que de mesurer et de surveiller la performance.

CPA CANADA : Comment les conseils d’administration doivent-ils se préparer?

BS : Il est primordial de déterminer les enjeux importants pour l’organisation et ses parties prenantes. Le conseil d’administration doit d’abord prendre un pas de recul et réfléchir à la façon d’établir un lien entre la raison d’être de l’entreprise et ce qu’elle fait pour sa clientèle, son personnel et les autres parties prenantes. La structure de surveillance coulera ensuite de source.

Chez George Weston, par exemple, le conseil d’administration a fortement adhéré à la décision prise par Loblaw de miser sur l’élimination du gaspillage alimentaire et des matières plastiques et sur la santé et le bien-être du personnel. Quant à la division immobilière de l’organisation, elle a mis le cap sur la réduction de l’empreinte carbone.

Il ne faut pas oublier que la mesure des résultats ESG doit se comparer à celle des résultats financiers sur le plan de la qualité, ce qui signifie que de bonnes pratiques en matière de données et de bons contrôles internes sont essentiels. Les comités d’audit ont cependant beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir assurer la surveillance de tous ces nouveaux enjeux.

CPA CANADA : Comment les organisations peuvent-elles y arriver?

BS : Les chefs des finances et les comités d’audit ont l’habitude de mesurer et de surveiller les résultats pour les actionnaires. Les organisations n’ont pas encore les ressources équivalentes pour rendre compte des retombées environnementales et des facteurs sociaux. Pour recueillir, gérer, mesurer et communiquer l’information conformément aux attentes de toutes les parties prenantes, il faudra essentiellement les mêmes effectifs, normes cohérentes et contrôles internes que ceux qui s’appliquent depuis des décennies à l’information financière.

Les organisations devront désigner, à l’interne, une agente ou un agent de changement qui les aidera à mesurer comme il se doit les résultats pour les parties prenantes. Qui déterminera les enjeux importants et identifiera les données pertinentes? Quels autres services devront intervenir pour mener à bien toutes les activités de mesure nécessaires à l’atteinte des objectifs prioritaires? Comment évolueront les services d’expression d’une assurance par des tiers?

CPA CANADA : À quoi peut-on s’attendre dans les prochains mois?

RM : Il faudra déployer des efforts considérables pour uniformiser et rehausser l’information sur la durabilité à l’échelle mondiale, mais l’ampleur de la tâche ne doit pas décourager les organisations de commencer dès maintenant à jeter les bases. L’accent est mis sur l’application d’IFRS S1 et d’IFRS S2, mais les conseils d’administration ne doivent pas perdre de vue d’autres sujets qui retiennent de plus en plus l’attention, à savoir la biodiversité, le capital humain et les droits de la personne, et qui feront vraisemblablement partie du prochain programme de travail de l’ISSB.

BS : Heureusement, le Canada jouit déjà d’une structure qui facilitera la mise en œuvre des normes de l’ISSB par les organisations, sans compter que le pays a beaucoup contribué à leur élaboration. Du reste, l’IFRS Foundation a choisi Montréal pour accueillir l’un de ses grands centres mondiaux.

Les enjeux ESG figurent à l’ordre du jour des réunions des conseils d’administration, et ils doivent aussi faire partie de leur stratégie. À l’heure actuelle, la priorité consiste à bâtir la capacité nécessaire pour faire face à ce contexte de contrôle renforcé. Pour que les résultats soient au rendez-vous, les conseils d’administration devront mettre les bouchées doubles.

Autres documents

Vous trouverez un survol des mesures à la portée des conseils d’administration à la page « Surveillance des questions ESG : cadre à l’intention des administrateurs » et dans l’article « Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité : ressources et indications ». Voyez également le webinaire de l’IAS et de CPA Canada ayant pour thème l’avenir de l’information sur la durabilité avec les normes de l’ISSB.