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Illustration abstraite d’un Bitcoin sur fond de cours boursier
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Les cryptoactifs posent des défis fiscaux inédits

Cryptomonnaies et règles fiscales ne font pas très bon ménage. À cette discordance, deux solutions : modifier la Loi de l’impôt sur le revenu ou laisser l’obligation de déclaration aux fournisseurs de cryptoactifs.

Le contribuable doit déclarer ses revenus de toutes sources, canadienne comme étrangère. Si des systèmes sont en place au fédéral pour assurer l’observation des règles fiscales (comme le T4), ceux-ci ont une portée limitée, voire nulle, au-delà de nos frontières. 

En 1996 sont ainsi adoptées des règles exigeant des résidents canadiens qu’ils déclarent leurs biens étrangers déterminés, faute de quoi ils s’exposent à des pénalités. Comme l’annonce le ministre des Finances de l’époque, Paul Martin : « Ces exigences de déclaration permettront à Revenu Canada de faire un examen plus rigoureux des placements étrangers détenus par les Canadiens et d’assurer la déclaration complète des revenus. » 

Puis 12 ans plus tard, Satoshi Nakamoto, de son nom d’emprunt, lance le bitcoin, qui, avec les autres cryptomonnaies, prend d’assaut le marché. Or, l’investisseur avisé aura tôt fait de s’interroger : les cryptomonnaies constituent-elles des biens canadiens ou des biens étrangers? 

Quiconque est rompu à la chaîne de blocs connaît la nature transfrontalière de ce type d’actif. Les monnaies virtuelles n’étant pas forcément situées dans un pays en particulier, leur traitement fiscal peut vite devenir un casse-tête pour le contribuable et le professionnel comptable. D’instinct, on peut y voir des biens canadiens, puisqu’elles sont accessibles de façon numérique au pays sur un téléphone, une clé USB, un portable ou une plateforme de négociation. 

Toutefois, dans la pratique, ce n’est pas si simple pour l’Agence du revenu du Canada (ARC), qui, pour faire obstacle à l’évasion fiscale, tente d’établir dans quelles circonstances une cryptomonnaie doit être déclarée comme un bien étranger déterminé. 

Le hic, c’est que les règles énoncées dans la Loi de l’impôt sur le revenu ne se prêtent ni aux cryptomonnaies ni à la chaîne de blocs. La quadrature du cercle, à tout prendre. 

Il y a une dizaine d’années, l’ARC a entrepris de statuer sur la question.  

Sa conclusion : les cryptomonnaies sont des « fonds » ou des « biens intangibles », qui, s’ils sont « situés, déposés ou détenus à l’étranger », doivent effectivement être traités et déclarés comme des biens étrangers déterminés. Mais comment établir l’emplacement réel de ces actifs? Aucune piste n’est donnée à cet égard. 

Devant cette impasse, CPA Canada a récemment soumis à l’ARC la question suivante : « L’Agence peut-elle fournir des exemples de cryptomonnaies qui sont situées, déposées ou détenues à l’extérieur du Canada aux fins de classification comme des biens étrangers déterminés? » 

Cet angle d’approche a débouché sur davantage de précisions. La réponse de l’ARC se lit comme suit : « [N]ous sommes d’avis que, lorsqu’une PNC [plateforme de négociation de cryptoactifs] est résidente au Canada et se soumet à la règlementation canadienne, les cryptomonnaies détenues à travers de telles PNC au profit de clients canadiens ne seront généralement pas considérées comme étant “situées, déposées ou détenues” à l’étranger. » 

Cette position, quoiqu’officieuse, confirme au contribuable que tout cryptoactif détenu auprès d’une plateforme canadienne n’a pas à être déclaré à titre de bien étranger déterminé. En revanche, pour les cryptoactifs détenus ailleurs, le flou persiste. En somme, aucune modification concrète n’a été apportée, l’ARC se contentant d’enchâsser au mieux ce type de bien dans la loi existante. 

D’où la question suivante : y a-t-il lieu de réviser la Loi de l’impôt sur le revenu à la lumière de cette nouvelle réalité? 

Il faut savoir que le Canada n’est pas le seul à avancer avec peine dans cette sphère. C’est le cas aussi des États-Unis, qui tardent à légiférer sur le plan de l’impôt des particuliers, et dont le Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), malgré des annonces en ce sens, n’a toujours pas mis à jour son avis 2020-2, où l’on peut lire qu’un Report of Foreign Bank and Financial Accounts (ou « formulaire FBAR ») n’a pas à être rempli pour les comptes étrangers en monnaie virtuelle. 

Par ailleurs, la position officielle de l’Internal Revenue Service (IRS) quant à la déclaration des cryptomonnaies en vertu de la Foreign Account Tax Compliance Act se fait toujours attendre. Comme le Canada, les États-Unis semblent avoir particulièrement dans leur mire les fournisseurs de cryptoactifs, et moins les contribuables. Mais à l’opposé de l’ARC, l’IRS a ajouté en 2019 à son formulaire 1040 une question sur les opérations en cryptomonnaie. Et à compter de 2024, toute personne américaine réalisant une opération ou une activité pour laquelle elle reçoit un paiement de 10 000 $ ou plus en monnaie virtuelle devra déclarer cette opération ou activité. 

De son côté, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié, en octobre 2022, le Cadre de déclaration des Crypto-actifs (CDC), accompagné des modifications proposées à la Norme commune de déclaration (NCD), adoptée par plus de 100 pays, dont ceux du G20. Le Canada, les États-Unis et une quarantaine d’autres s’affairent à la mise en œuvre complète du cadre, visant 2027 pour le début de l’échange d’informations. 

L’idée derrière le CDC est de soumettre les fournisseurs de cryptoactifs à une obligation de déclaration pour que les autorités fiscales aient une meilleure connaissance des opérations effectuées et des revenus gagnés sur ce marché. 

Autre référentiel dans la même veine, la récente directive DAC8 de l’Union européenne facilitera le suivi de l’activité des fournisseurs par les autorités fiscales au moyen d’une plateforme d’échange d’informations. 

Le portrait à l’international montre que, pour ce qui est de la déclaration des cryptomonnaies, ce n’est pas sur les contribuables mais sur les fournisseurs que les démarches se concentrent. 

Le concert des nations misant sur la collecte et l’échange d’informations obtenues directement des fournisseurs, y a-t-il vraiment lieu d’exiger du contribuable qu’il déclare ses cryptoactifs, qu’ils soient étrangers ou canadiens? 

Comme l’a souligné Mark Greenberg, directeur général du Canada pour la plateforme Kraken, dans une récente entrevue avec le Nasdaq, le quart de la population canadienne possède des cryptoactifs, et plus de 30 % prévoient investir sur ce marché d’ici un an. Tôt ou tard, donc, il faudra bien trancher la question une fois pour toutes.  

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