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Vue de dessus d'une zone communautaire durable parmi les gratte-ciel

Une transition environnementale équitable pour les collectivités canadiennes

Il peut être plus difficile pour certaines collectivités de cheminer vers une économie durable en raison de leur dépendance aux industries à fortes émissions. La transition peut-elle être juste et équitable pour tous?

Dans le contexte de l’atteinte d’objectifs environnementaux ambitieux et de la transition vers une économie plus verte, le Canada fait face à des défis considérables en raison de sa grande dépendance aux industries à fortes émissions de gaz à effet de serre. Cette dépendance varie d’une province à l’autre et est plus marquée dans certaines régions. Plus elle est élevée, plus les entreprises, les travailleurs et les collectivités sont à risque dans la transition environnementale.

Cette situation a mené à l’avènement du concept de « transition équitable » au pays. Née du mouvement syndical européen, cette expression est définie comme suit par l’Organisation internationale du travail : processus visant à « rendre l’économie plus verte d’une manière qui soit aussi équitable et inclusive que possible pour toutes les personnes concernées, en créant des opportunités de travail décent et en ne laissant personne de côté ». La transition environnementale passe par la compréhension de la réalité des travailleurs et des collectivités. De leur point de départ, en quelque sorte.

La présente analyse vise à examiner les caractéristiques et les particularités des collectivités qui dépendent davantage des industries à fortes émissions, le but étant de déterminer si elles se distinguent effectivement du reste du pays, mais également de fournir des informations qui pourraient orienter les politiques publiques à l’appui d’une transition équitable.

Pour ce faire, nous avons étudié les données du Recensement de la population de 2021 au Canada. Nous avons examiné les subdivisions de recensement et les avons divisées en catégories selon le pourcentage des salaires totaux provenant des industries à fortes émissions. Nous avons ensuite analysé divers indicateurs du recensement et indicateurs élaborés à partir d’autres données publiques.

Les résultats sont présentés dans la section ci-dessous, et nous expliquons par la suite les répercussions possibles sur les politiques publiques. Cette analyse montre la nécessité de mieux comprendre nos collectivités, surtout lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des politiques qui pourraient avoir une incidence sur leur gagne-pain. Elle fait aussi ressortir le besoin de meilleurs outils pour évaluer les répercussions potentielles et cibler les besoins actuels et futurs. Même si certaines collectivités ne ressentent pas encore les effets de la transition environnementale, nous devons mettre en place les fondations qui seront nécessaires pour la mise en œuvre de politiques publiques efficaces.

Résultats

Démographie et ménages

Les collectivités qui dépendent davantage des industries à fortes émissions pour leur gagne-pain connaissent une croissance démographique plus modeste. Cette tendance s’accentue depuis 2016, et elle devrait se poursuivre. Comme la croissance de la population dépend fortement de l’immigration, le fait que ces collectivités comptent moins d’immigrants signifie que leur croissance future est moins garantie.

Fait intéressant, les collectivités fortement dépendantes sont composées d’une proportion plus grande de jeunes et plus faible de personnes de 65 ans ou plus, ce qui pourrait indiquer qu’elles ont la capacité d’attirer une population en âge de travailler.

Un autre facteur important à prendre en considération est que les industries à fortes émissions sont situées à proximité des communautés autochtones. En résultent une surreprésentation des peuples autochtones parmi les collectivités les plus dépendantes de ces industries, ainsi que des risques accrus liés à la transition pour ces populations.

Les différences sont très mineures en ce qui concerne la présence d’enfants ou la taille des ménages. Toutefois, nous observons un écart quant au pourcentage de ménages multigénérationnels, qui a tendance à être plus élevé dans les collectivités peu dépendantes, probablement en raison de la plus forte proportion d’immigrants. Dans l’ensemble, la présence d’enfants signifie que les travailleurs ont une famille à soutenir et que ce ne sont donc pas des collectivités centrées sur le travail. La moindre présence de ménages multigénérationnels dans les collectivités dépendantes pourrait aussi indiquer une mobilité des familles légèrement plus élevée.

Éducation, salaires et travail

Il y a aussi des différences sur le plan de la main-d’œuvre : dans les collectivités dépendantes, on compte relativement plus de personnes qui détiennent au mieux un diplôme d’études secondaires et moins de titulaires d’un baccalauréat, d’une maîtrise ou d’un doctorat. La croissance des salaires des ménages a été plus anémique, et les différences en ce qui a trait au travail saisonnier ou au travail autonome sont minimes.

Le travail à distance est deux fois moins fréquent dans les collectivités très dépendantes, le type d’emploi pouvant vraisemblablement moins s’y prêter. Puisque les données ont été recueillies au milieu de la pandémie (2021), nous pouvons nous attendre à ce que ces statistiques soient des données plafond. De plus, un plus grand nombre de travailleurs font la navette au sein de leur subdivision de recensement. Ces éléments indiquent des liens plus forts entre le milieu de travail et le milieu de vie dans les collectivités dépendantes.

En outre, les longues navettes sont un peu moins fréquentes, et la mobilité globale, mesurée par le pourcentage d’habitants n’ayant pas déménagé récemment, est légèrement plus élevée pour les collectivités dépendantes.

Éloignement, accès aux services et coût de la vie

Les ressources naturelles jouent un rôle important dans la croissance de notre pays, ce qui explique l’établissement de collectivités à proximité de ces ressources. Les collectivités qui dépendent des industries à fortes émissions sont plus isolées sur le plan géographique : elles sont plus éloignées des centres urbains (villes d’au moins 100 000 habitants), et la densité de la population y est plus faible. Elles sont également plus concentrées sur le plan économique, contrairement aux grandes villes, qui ont des économies plus diversifiées.

Cet éloignement a des conséquences sur l’accès aux services. Il y a beaucoup moins d’établissements postsecondaires (professionnels, collégiaux et universitaires) à distance de navette des collectivités dépendantes. Qui plus est, la couverture des services d’Internet haute vitesse est moins complète, bien que les différences semblent marquées uniquement pour les collectivités fortement dépendantes.

À l’inverse, les collectivités dépendantes sont généralement plus abordables : le prix des maisons en proportion des revenus est plus bas, et moins de gens dépensent plus de 30 % de leurs revenus pour leur habitation. De plus, l’inégalité entre les revenus est généralement plus faible. Cette situation contraste avec celle des régions métropolitaines du Canada, qui présentent les caractéristiques inverses.

Indicateurs par collectivités et résilience

Les résultats peuvent également être présentés par subdivisions de recensement. Le tableau suivant présente les principales collectivités fortement dépendantes ou dépendantes d’industries à fortes émissions.

Quelques indicateurs sont choisis et présentés par catégories pour chaque subdivision de recensement, et ils s’accompagnent de leurs incidences perçues sur la résilience de la collectivité à l’égard de la transition environnementale.

Nous avons établi un indice de résilience simple pour illustrer où se situent ces collectivités en ce qui concerne la transition environnementale. Cet indice vise à lancer le débat sur la meilleure façon d’évaluer et de cibler les collectivités au profit d’une transition équitable.

Nous avons sélectionné une série d’indicateurs pour lesquels nous avons associé un nombre (de 0, pour faible résilience, à 2, pour grande résilience) dans chaque catégorie. Les collectivités plus résilientes disposent ainsi d’un indice de résilience plus élevé. La résilience est présumée plus élevée dans les subdivisions de recensement qui sont ou ont :

  • une moins grande dépendance à l’égard des industries à fortes émissions;
  • une population plus nombreuse, qui est idéalement en croissance;
  • un nombre moins élevé de personnes ayant au maximum un diplôme d’études secondaires;
  • plus proches d’un centre urbain;
  • accès à davantage d’établissements d’études postsecondaires;
  • plus de travailleurs à distance;
  • des logements plus abordables.

Implications pour les politiques publiques et prochaines étapes

Certains résultats n’ont rien de nouveau et renvoient à des défis avec lesquels les collectivités éloignées doivent jongler depuis un certain temps déjà. Cependant, ils viennent souligner l’importance du développement et de la planification économiques. Ce serait l’occasion de promouvoir un développement économique qui prendrait racine au sein même des collectivités, au lieu de mettre l’accent sur l’attraction d’investissements étrangers et de grandes entreprises.

Comme le montre l’indice de résilience, les capacités en matière de transition différeront d’une collectivité à l’autre. Dans le cas des subdivisions de recensement fortement dépendantes, qui représentent un million d’habitants, il pourrait être nécessaire d’adopter une approche pratiquement au cas par cas pour bien gérer les risques et les possibilités. Une chose est certaine : il faudra mettre de l’avant une approche qui priorise les ressources et les aligne sur les besoins.

Pour les collectivités éloignées des villes et moins exposées au télétravail, les possibilités de changer d’emploi sans déménager pourraient être très rares, voire inexistantes. Parallèlement, les niveaux de scolarité généralement inférieurs pourraient compliquer la transition des travailleurs ou le perfectionnement de leurs compétences.

Les discussions sur la transition environnementale éludent généralement la question des pertes d’emplois potentielles dans les industries à fortes émissions. Qu’on veuille bien l’admettre ou non, cela n’en demeure pas moins une fatalité, et certaines collectivités pourraient porter un fardeau plus lourd. La solution proposée est de créer des emplois dans des industries durables (Plan pour des emplois durables). Espérons que ce plan tienne compte des considérations géographiques. Il est d’ailleurs important d’être particulièrement prudents pour la mise en œuvre de politiques publiques qui pourraient avoir une incidence sur les emplois à faible ou moyen niveau de compétences, bien rémunérés et plus difficiles à trouver en dehors des industries à fortes émissions. En outre, l’accès aux établissements postsecondaires (professionnels, collégiaux ou universitaires) ou même à l’enseignement en ligne fera certainement partie de la solution et pourrait être plus ciblé pour certaines collectivités.

La transition offre l’occasion de miser davantage sur les initiatives de croissance économique dirigées par les communautés autochtones. Le développement économique local favorisera les projets autochtones en raison de leur importance relative. En outre, la proportion importante de ressources situées sur des terres autochtones ouvre la porte à un développement économique fondé sur les partenariats. La création d’occasions économiques est primordiale pour éviter la migration des jeunes vers les centres urbains.

Certaines constatations ont une incidence sur la croissance de ces collectivités hors du cadre unique de la transition environnementale. Par exemple, l’idée d’étendre l’immigration à l’extérieur des villes canadiennes n’est pas nouvelle. Cependant, elle mérite une attention accrue, d’autant plus que nous avons des objectifs ambitieux et des problèmes d’accès au logement dans les grandes régions métropolitaines. L’intégration économique pourrait être encore plus axée sur les besoins non satisfaits en matière d’emploi et de services ultérieurs. Nous devons également garder à l’esprit que si la transition environnementale suppose un développement économique davantage axé sur les villes, les Canadiens pourraient perdre certaines des particularités désirables des petites collectivités éloignées.