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Jasmine Marcoux
Articles de fond
Magazine Pivot

Pour aider les autres, une CPA raconte son combat contre le cancer

Au Canada, une femme sur huit reçoit un diagnostic de cancer du sein. Jasmine Marcoux a vécu ce coup de massue, ce qui l’a incitée à se joindre à l’organisme de bienfaisance, Garde tes cheveux.

Jasmine Marcoux Après avoir dû affronter le cancer, Jasmine Marcoux veut faire de l’accompagnement pour mieux inspirer d’autres patientes aux prises avec la maladie. (Photo Stephanie Foden)

Une masse sur le sein, de la grosseur d’une noix de Grenoble qui roulait sous mes doigts. Voilà ce qui m’a catapultée sur la planète cancer, le 14 décembre 2020, en pleine pandémie. Je n’oublierai jamais l’appel de l’hôpital, ce jour-là, pendant le lunch de Noël virtuel avec mon équipe de l’Ordre des CPA du Québec. En raccrochant, j’avais soudainement rendez-vous avec une chirurgienne oncologue. Certes, j’avais passé une mammographie – ma première à vie –, suivie d’une échographie qui avait révélé une petite lésion, mais rien ne me préparait à un tel choc.

Le souffle coupé par la nouvelle, j’avais tout de suite téléphoné à ma médecin de famille, étonnée que l’hôpital m’ait déjà contactée. Quand elle a prononcé les mots « cancer du sein », j’ai tout de suite pensé à ma fille de sept ans. Est-ce que j’allais mourir? « Non », m’a répondu la médecin. « Tu as un bon pronostic de survie. » À partir de ce moment-là, tout a déboulé.

J’avais 41 ans et je souffrais d’un cancer du sein hormonodépendant de stade 2B. Je devrais subir deux interventions chirurgicales, dont l’une permettrait aussi de réaliser une double mastectomie, et je recevrais quatre séances de chimiothérapie toutes les trois semaines. Crise sanitaire oblige, je recevrais mes traitements seule, sans l’accompagnement normalement permis. Mon conjoint Jean-François serait contraint de me déposer devant l’hôpital et de revenir me chercher à ma sortie, alors que j’allais être souvent au bord de l’évanouissement.

Jasmine Marcoux et son conjoint, Jean-FrançoisJasmine Marcoux avec son conjoint, Jean-François. (Avec l’autorisation de Jasmine Marcoux)

Mais j’ignorais tout cela encore. Tout ce que je voyais, avant d’être prise en charge par les infirmières et les médecins, c’est que je n’aurais d’autre choix que de passer une longue période dans le monde nébuleux du cancer, sans savoir si j’allais m’en sortir.

D’un seul coup, je perdais le contrôle de ma vie personnelle et professionnelle. C’était vertigineux pour la femme, l’amoureuse, la mère et la gestionnaire très organisée en moi. Carburant à l’adrénaline, je me suis mise en mode survie. J’ai tout fait pour aller mieux : ostéopathie, massothérapie, acupuncture, et n’importe quoi d’autre qui pouvait me donner le sentiment de reprendre un certain contrôle.

Des vagues d’émotions

Après le diagnostic, je suis passée par toutes les émotions : colère, tristesse, peur. Je me sentais seule et incomprise. Je n’ai pas été facile à vivre, et j’avais parfois du mal à me supporter moi-même. Cela dit, j’ai reçu tellement de fleurs, de cadeaux, qui m’ont touchée droit au cœur. J’ai aussi été déçue par certaines personnes – j’ai ensuite compris que chacune avait ses propres enjeux face à la maladie ou ne savait simplement pas comment s’y prendre. Ça a amené des tensions dans mon couple, mais en même temps, ça nous a rendus plus forts, Jean-François et moi.

Je m’inquiétais de faire côtoyer le cancer à ma fille, si jeune. Quand je lui ai expliqué ce qui m’arrivait, Sandrine a immédiatement fondu en larmes, mais trois secondes après, elle m’a demandé : « On peut-tu jouer, maman? » La question était réglée pour elle.

Bien sûr, je me suis aussi demandé : « Pourquoi moi? Qu’ai-je fait pour mériter ça? Que devrais-je changer dans ma vie? » Tant d’interrogations revenaient en boucle dans ma tête. Surtout que dans ma famille composée de filles, il n’y avait aucun cas de cancer. Jusqu’à ce que je finisse par accepter que rien ne pouvait expliquer mon cancer, même s’il ferait à présent partie de ma vie.

L’engagement, un cheveu à la fois

La chimiothérapie entraîne très souvent la perte des cheveux. Et en raison de mon type de cancer, j’avais jusqu’à 12 % de risques de souffrir d’une alopécie permanente, que j’étais déterminée à éviter à tout prix.

Selon la suggestion de ma chirurgienne, j’ai donc opté pour le casque réfrigérant. Porté à -32 °C avant, pendant et après la chimio, son effet vasoconstricteur permet aux follicules pileux de recevoir une moindre quantité de médicaments de chimio, ce qui a pour effet de prévenir la chute capillaire dans la plupart des cas. Bien qu’elle soit encore méconnue au Québec, cette technique ciblée pour les personnes qui présentent des tumeurs solides est reconnue et utilisée au Canada depuis plus de 25 ans.

Le port du casque a été un combat en soi. J’ai dû le porter jusqu’à 11 heures par jour, mais je m’y suis habituée. Comme il est lourd placé dans de la glace sèche, il faut le manipuler avec soin. De plus, il doit être changé toutes les 25 minutes. Durant ma perfusion, j’avais donc besoin d’aide pour y parvenir. C’est après une forte réaction allergique, dès les premiers millilitres de la perfusion, que l’hôpital a finalement autorisé Jean-François à m’aider. Les médicaments servant à contrer la réaction allergique allaient m’empêcher de m’occuper seule de la manipulation du casque. Ma détermination en a valu la peine, puisque j’ai pu préserver le gros de ma chevelure.

Ce combat, j’en ai fait ma cause. Saviez-vous que 8 % des femmes refusent la chimiothérapie par peur de perdre leurs cheveux? Ça n’a rien à voir avec la coquetterie. En effet, c’est une chose de se savoir malade, mais c’en est une autre de se voir malade dans le miroir et dans le regard des autres. D’ailleurs, lorsqu’on montre une personne cancéreuse, on la représente toujours chauve ou avec un bandana.

Il est temps de changer le visage du cancer, un cheveu à la fois, me suis-je dit.

C’est ce que vise Garde tes cheveux, un organisme de bienfaisance que j’ai découvert au début de mes traitements. Tout s’est joué lors de la rencontre de Sophie Reis, qui avait recours au casque réfrigérant. Grâce à elle, j’ai rencontré Sophie Truesdell-Ménard, l’une des premières femmes à avoir utilisé le casque au Québec et la fondatrice de Garde tes cheveux. Comme sa cause me semblait essentielle, je lui ai proposé de faire équipe. Depuis, je m’y implique activement, à titre d’administratrice et ambassadrice, aux côtés d’elle et de mes autres sœurs de sein, Sophie Reis et Cléo Maheux. Toutes les quatre, nous avons subi un cancer du sein dans la jeune quarantaine. Nous nous sommes donné pour objectif d’informer, d’outiller et d’accompagner toutes les parties prenantes afin que les personnes sachent que le casque réfrigérant existe et qu’elles peuvent y avoir accès. Et ce n’est qu’un début, car nous avons de grandes ambitions pour accroître l’influence de Garde tes cheveux. Par exemple, nous visons à faciliter l’accès au casque réfrigérant au sein des centres hospitaliers du Québec. C’est un droit pour toutes les patientes atteintes de cancer. Or, certains hôpitaux se montrent encore réticents. Les obstacles sont nombreux, mais ils ne sont pas insurmontables. C’est pourquoi nous faisons des représentations politiques pour faire changer les choses. Nous cherchons également des partenaires afin de soutenir financièrement les patientes, car les coûts reliés au casque sont élevés.

Jasmine Marcoux porte un casque réfrigérant Jasmine Marcoux est coiffée d’un casque réfrigérant, à son premier traitement de chimiothérapie. (Avec l’autorisation de Jasmine Marcoux)

Sur le plan personnel, cela exige beaucoup de mon temps. J’accompagne des patientes qui ont recours au casque — aujourd’hui, nous en comptons presque 200. Je les informe, les rassure et les encourage, car le port du casque relève du défi pour plusieurs. En plus de multiplier les séances d’information auprès des centres hospitaliers pour les sensibiliser à l’efficacité du casque réfrigérant, je contribue au contenu du site Web de l’organisme, qui devrait être lancé fin 2023. Je participe aussi avec enthousiasme à des événements d’envergure, comme des marches pour la prévention du cancer et le soutien aux personnes atteintes de la maladie. Je tire une grande satisfaction de mon engagement au quotidien.

Le défi de l’après-cancer

Après des mois de traitements éprouvants, je ne présentais plus aucun signe de la maladie. Quand on m’a annoncé le 22 juillet 2021 que j’étais en rémission, j’ai paniqué. Je sais, c’est paradoxal, mais ce que je voulais, c’était revenir à l’hôpital le lendemain, car tant que j’y étais soignée, le cancer ne pouvait pas progresser.

Pendant que tout mon entourage voulait célébrer la nouvelle, j’avais envie de me rouler en boule car ma vraie bataille commençait : j’étais seule face à mon cancer. Pendant les premiers mois de ma rémission, mon cancer me manquait.

Jasmine Marcoux et deux amies lancent des confettis au « Chemo Prom 2022 »Marcoux et ses amies célèbrent la fin des traitements. (Avec l’autorisation de Jasmine Marcoux)

On parle trop peu de l’après-cancer et des émotions contradictoires qu’il provoque. Aujourd’hui, je vois que ce n’était pas la maladie qui me manquait, mais son immense apport sur le plan humain. Je sais, c’est une chose qu’on ne dit pas, mais j’ai vécu ce retour à la normale ainsi. Je m’étais tellement habituée au fait d’avoir le cancer que je me sentais mal à l’aise de revenir à une vie normale.

Le retour à l’Ordre

Après un an de congé de maladie, grâce à la bienveillance de mes patrons, j’ai pu faire un retour progressif à l’Ordre des CPA du Québec. Cette transition de dix semaines était essentielle, car les premiers temps, mon esprit était complètement ailleurs. À moins de l’avoir vécu soi-même, personne ne sait ce qu’implique le retour au travail d’une personne frappée par le cancer. On en sous-estime les répercussions, particulièrement sur le plan de la santé mentale. C’est tabou. Par exemple, quand je suis revenue au bureau, personne n’osait me demander directement comment j’allais, alors je me suis mise à parler ouvertement de ce que j’avais traversé, et plus j’en parlais, plus les barrières tombaient.

Vite, je suis devenue porteuse d’un message de prévention auprès de mes collègues féminines. Encore aujourd’hui, je leur rappelle de faire un autoexamen des seins et de passer une mammographie préventive, quitte à se battre pour y avoir droit. En effet, au Québec, la mammo n’est recommandée qu’aux femmes de 50 ans et plus, donc cet examen pourtant simple et préventif est difficilement accessible aux femmes plus jeunes. Quel non-sens, surtout quand on sait que le cancer du sein hormonodépendant – comme le mien – touche les femmes dès la vingtaine et qu’environ une femme sur huit sera atteinte du cancer du sein au cours de son existence. Il faut faire plus de prévention. C’est une des autres missions que j’accomplis certes de manière informelle, mais très investie tant dans mes réseaux professionnel et personnel que sociaux.

Cette volonté d’avoir de l’impact me motive et donne un sens à ma vie professionnelle. Je travaille à l’Ordre depuis bientôt 20 ans. En tant que vice-présidente, Accès à la profession, depuis octobre, je chapeaute le programme, les examens et la formation pour devenir CPA. Je suis au bon endroit pour avoir un effet positif sur les candidats et mes collègues. Comme gestionnaire, je dirais même que d’avoir connu le cancer me rend encore plus sensible aux épreuves que peuvent traverser les gens.

Une nouvelle vie

De nos jours, les médecins parlent peu de guérison d’un cancer, mais bien de rémission. Puis-je en guérir? Je ne le saurai pas vraiment avant 5 à 10 ans. Pour le moment, j’apprends à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. La peur ne me quitte jamais tout à fait, surtout avant mes rendez-vous de contrôle trimestriels. À défaut de pouvoir passer un examen de tomodensitométrie (scan) plus fréquemment pour me rassurer, je fais signe à mes sœurs de sein dès qu’un symptôme persiste, sachant que le personnel soignant ne peut pas répondre à toutes nos interrogations.

Le cancer reste une épreuve, mais il nous offre aussi des cadeaux inattendus. Il m’a permis de rencontrer des personnes formidables et de mieux me découvrir. Pendant mon « aventure médicale », j’ai pu participer virtuellement au programme d’études After Cancer Coaching du Centre universitaire de santé McGill, lequel permet d’apprendre à rebondir après un cancer, même si on s’en sent incapable. Non seulement cette formation devrait être offerte à toutes les patientes, mais elle a renforcé mon désir de faire de l’accompagnement pour mieux inspirer d’autres patientes. À vrai dire, j’ai toujours adoré jouer le rôle de mentor, et je suis reconnaissante de pouvoir le faire auprès de femmes atteintes de cancer, notamment par l’entremise de Garde tes cheveux.

À présent, donner de mon temps fait partie de ma guérison. C’est la nouvelle Jasmine, celle qui aura de l’impact dans toutes les sphères de sa vie. C’est ma façon de transformer la maladie en une chose positive.

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