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Michel Lanteigne et Diane Blais à l'aile du CHU Sainte-Justine nommée en l'honneur du défunt fils de Lanteigne, Benoit
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40 millions de dollars au suivant

Michel Lanteigne, CPA, et Diane Blais avaient déjà quitté l’univers de la fiscalité et des services-conseils quand un dernier dossier de taille a fait surface.

Michel Lanteigne et Diane Blais à l'aile du CHU Sainte-Justine nommée en l'honneur du défunt fils de Lanteigne, BenoitAprès avoir exploré différentes possibilités de don, Michel Lanteigne et Diane Blais ont décidé de consacrer leur avoir à la santé des enfants. (Photo : Guillaume Simoneau)

Après avoir gravi les échelons chez EY pour enfin accéder au rang des associés – lui, en fiscalité, elle, en services-conseils –, Diane Blais et Michel Lanteigne coulaient des jours heureux. Une retraite bien méritée. Durant les trois dernières années de sa carrière, le fiscaliste, voyageur depuis toujours et leader à l’international, travaillait à Londres et traversait l’Atlantique la fin de semaine pour retrouver sa conjointe à Montréal.

Les années de maturité étant arrivées, voilà que le couple se demande comment mettre à profit quelque 40 M$ d’économies, pour laisser un héritage marquant, gage de retombées véritables.

Après 80 ans d’expérience combinée en cabinet, coauteurs d’un ouvrage sur la planification financière dans les années 1990, Diane et Michel, unis dans la vie comme au travail, connaissaient tous les ressorts de la collaboration en équipe.

Ils avaient déjà rédigé leur testament et résolu de faire des legs séparément, mais la réflexion s’est poursuivie. « On s’est dit que rassembler toutes nos ressources, ce serait aussi choisir d’optimiser les retombées, au lieu de fractionner les dons », explique Diane Blais.

Elle avait prévu de répartir son patrimoine entre plusieurs causes, mais son conjoint restait fidèle à l’une d’entre elles, chère à son cœur. En 1989, le petit Benoit, son fils, issu d’une union précédente, était mort à l’âge de huit ans des suites d’une leucémie. L’enfant avait été malade plus de la moitié de sa vie avant de s’éteindre dans les bras de son père. À l’époque, à peine 50 % des enfants leucémiques survivaient.

Il est vrai que la médecine a progressé à pas de géant en trente ans, mais pour un enfant sur dix, la leucémie reste une condamnation à mort. Et environ 1 500 enfants canadiens reçoivent un diagnostic de cancer, année après année, dont à peu près 20 % au Québec. Le couple avait déjà participé à des collectes de fonds et recueilli des millions de dollars pour des œuvres comme la Fondation de la recherche pédiatrique (auparavant appelée Fondation des étoiles), qui soutient les chercheurs du Québec. D’ailleurs, Michel Lanteigne avait siégé à son conseil d’administration et à celui de l’Hôpital de Montréal pour enfants, où Benoit avait été traité. Après mûre réflexion, Diane Blais, elle aussi, a choisi de consacrer son avoir à la santé des enfants.

Même si, pour Michel Lanteigne, la décision s’imposait, le fiscaliste a été frappé par la générosité de Diane, qui n’était pas la mère de Benoit (le couple n’a pas eu d’enfants). Vouer temps et énergie à la cause des enfants est une chose. Y affecter les fruits d’une carrière entière en est une autre. « Seule une femme d’exception était en mesure de prendre une telle décision », souligne-t-il.

Le tandem commence alors à rencontrer les directions de l’Hôpital de Montréal pour enfants, de l’Hôpital général juif et du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, pour déterminer comment leurs 40 M$ – du jamais vu comme promesse de don à un établissement de soins au Québec – seraient mobilisés. Le couple souhaite que les fonds soient affectés à des objectifs en lien avec les cancers pédiatriques, et non à des fins générales.

Il est vrai qu’un deuil tragique peut pousser les donateurs à faire le choix d’une cause. Ainsi, Myron et Berna Garron ont-ils offert de généreux dons à des centres de santé en mémoire de leur fils Michael, dont 50 M$ à l’Hôpital Toronto East General, désormais appelé Michael Garron Hospital. De Vancouver à Halifax, le nom des édifices, établissements d’enseignement et bourses d’études illustre les causes et les passions des philanthropes. Cela dit, on voit les donateurs, comme Diane Blais et Michel Lanteigne, tenter d’aller plus loin, pour élargir le rayonnement des gestes de générosité. Le questionnement porte sur l’affectation des fonds, afin de trouver un parallèle entre les objectifs et les valeurs des donateurs et ceux des bénéficiaires. Il y a lieu de s’interroger aussi sur la structure des dons, afin d’optimiser les retombées pour les organismes caritatifs, compte tenu des avantages fiscaux offerts aux philanthropes.

Une fois la vue d’ensemble arrêtée, même si une foule de nouvelles questions restaient sans réponse, le couple Blais-Lanteigne s’est vite retrouvé en terrain familier. « On a entrepris le projet comme on l’aurait fait chez EY », précise Diane Blais.

Bruce Ball, vice-président, Fiscalité, à CPA Canada, souligne que certains grands donateurs oublient que les considérations fiscales entrent en ligne de compte. Un de ses clients tenait à verser un don ponctuel, d’une ampleur notable, mais il aurait été avantageux d’échelonner la somme.

« Le contribuable bénéficie d’un droit de report de cinq ans pour les dons faits de son vivant. Un versement substantiel, de ce point de vue, pourra être étalé sur plusieurs années. »

Diane Blais et Michel Lanteigne, avec des membres de l’équipe de la Fondation du CHU Sainte-Justine, après l’annonce de leur donDiane Blais et Michel Lanteigne lors du dévoilement du nouveau nom donné au bâtiment de soins spécialisés du CHU Sainte-Justine. (Photo fournie par la Fondation du CHU Sainte-Justine)

Les impacts attendus figurent également au premier rang des préoccupations, et on souhaite en arriver à des avantages environnementaux et sociaux quantifiables. Auparavant en marge, la question s’avère primordiale de nos jours. On le sait, les investisseurs tiennent désormais compte des critères ESG dans leurs choix. Les consommateurs, eux aussi, ont pris le virage et s’adressent à des fournisseurs qui répondent aux nouveaux impératifs de proximité et de retombées élargies. Il en va de même pour les dons, vertueux par définition, qui doivent toutefois déboucher sur des retentissements mesurables.

Prenons le cas de Mackenzie Scott, auparavant mariée au créateur du géant Amazon, Jeff Bezos. Cette femme a fait la une en raison de son immense générosité. Elle a déjà remis 14 G$ à un large éventail d’organismes de toute sorte. Sur son site, Yield Giving, la bienfaitrice expose un ensemble de critères qui l’orientent. On y voit, entre autres, certains paramètres de mesure : répercussions positives inscrites dans la durée, trésorerie convaincante, antécédents pluriannuels éloquents, résultats probants et leadership aguerri qui représente la communauté desservie en sont quelques-uns.

Les milliardaires ne sont plus les seuls à soulever de pareilles questions. Les bienfaiteurs de tous les jours suivent le mouvement et cherchent de telles informations, fréquemment à leur portée, d’ailleurs, dans les rapports annuels, mais aussi sur des sites comme Charity Intelligence ou GiveWell.org. On y consulte des constats sur les impacts, en vue de comparer les organismes caritatifs.

Certes, les donateurs comme Diane Blais et Michel Lanteigne se tournent vers des organismes avec qui des liens se sont noués, avec qui une histoire s’est écrite. Pourtant, certaines habitudes changent, explique Sharilyn Hale, ex-cadre d’un OSBL, fondatrice du cabinet-conseil Watermark Philanthropic Counsel de Toronto.

« On veut des organisations avec qui accomplir quelque chose de précis, et on est disposé à en découvrir de nouvelles. Alors, la recherche de partenaires tout comme les conversations sur les objectifs et l’orientation deviennent primordiales. »

Même si les hôpitaux et les universités restent les mieux lotis, Sharilyn Hale constate que la relève souhaite lutter contre la crise climatique, désormais troisième cause caritative au Canada. « Certains s’intéressent de près à la justice sociale et économique, et aux moyens de s’attaquer aux problèmes systémiques. »

Au Canada, les bienfaiteurs comme Diane Blais et Michel Lanteigne, c’est-à-dire ceux dont le patrimoine dépasse 1 M$, sont une force vive, étant donné qu’ils versent 60 % des dons déclarés. Environnement, santé, société, de leurs choix découlent des orientations aux larges retombées.

Selon Sharilyn Hale, des questions cruciales se posent à l’étape de la planification. Les donateurs font-ils confiance à l’organisme, à sa direction? Tiendra-t-il ses promesses? Les modalités pratiques s’imposent aussi, surtout les conditions, le financement et la mise à exécution.

Adam Aptowitzer, avocat fiscaliste chez KPMG, à Ottawa, conseille aux clients de réfléchir à la nature des biens à léguer. « Si vous avez des terres, il y a des avantages fiscaux à les céder à une fiducie foncière plutôt qu’à un organisme qui sert des repas. » Il faut aussi discuter avec sa famille. Un donateur souhaitait laisser une collection d’œuvres d’art à une association caritative, mais il n’en avait pas parlé avec ses enfants. Ceux-ci ont voulu conserver certaines des œuvres les plus précieuses. L’organisme de bienfaisance s’est alors désintéressé du don, sa valeur ayant chuté.

Dès le début de la démarche, qui a duré huit mois, Diane Blais et Michel Lanteigne se sont posé une question clé. Quand un premier enfant allait-il pouvoir bénéficier de leur générosité?

« Parvenir à sauver un enfant, pour Diane et moi, ce sera avoir réussi à faire notre part, pour constater des résultats probants, de notre vivant. »

Même si Michel Lanteigne connaît bien la question du cancer chez l’enfant, le couple a décidé de se renseigner sur les dernières technologies pour choisir un projet fondé sur les nouveautés, appuyé par une structure bien pensée. Se tourner vers l’avenir ne suffisait pas. Il fallait un plan clair, précis, et le nom des intervenants qui se mobiliseraient.

En fait, la démarche du couple, au-delà de la planification, a surtout nécessité de nombreuses réunions avec les dirigeants des hôpitaux et des équipes de recherche, pour trouver un terrain d’entente entre les attentes des donateurs et celles des institutions. Si les hôpitaux savaient que le couple cherchait une solution idéale, les détails exacts de chaque proposition n’ont pas été révélés.


« Parvenir à sauver un enfant, pour Diane et moi, ce sera avoir réussi à faire notre part, pour constater des résultats probants, de notre vivant », souligne Michel Lanteigne.


Les meilleures rencontres ne se résumaient pas à de fructueuses discussions. « Les échanges étaient réconfortants. On ne parlait pas seulement technique, c’était plus profond », poursuit Diane Blais. Tous les donateurs n’ont pas besoin d’aller aussi loin. Michel Lanteigne suggère comme piste d’examiner les succès précédents et les projets d’avenir de l’éventuel organisme bénéficiaire pour voir s’ils correspondent aux valeurs du donateur.

Fort de son savoir, le fiscaliste souhaitait bien structurer le don, pour en élargir l’impact, et c’est pourquoi le versement est échelonné sur les années à venir. Le solde sera remis au bénéficiaire au décès du couple. Michel Lanteigne espère que la maximisation fiscale permettra non seulement d’optimiser le don, mais aussi de le porter un jour à une somme supérieure aux 40 M$ promis.

Une fois toute l’information en main, prendre une décision n’a pas été facile pour le couple.

« Tous les dossiers étaient intéressants, ciblés. Nous avons même constaté que 40 M$, ce n’était pas suffisant. Nous aurions voulu pouvoir financer trois projets », ajoute Diane Blais.

En fin de compte, le couple n’a pu en retenir qu’un seul.

Le 15 décembre 2022, la une des journaux l’annonce : le couple fait don de 40 M$ à la Fondation du CHU Sainte-Justine pour appuyer la recherche en oncologie pédiatrique.

L’hôpital a précisé qu’une partie des avoirs sera affectée à la création du Fonds d’innovation thérapeutique en hématologie-oncologie pédiatrique afin de soutenir un travail fondamental, qui pouvait commencer grâce à la générosité du couple.

Le Fonds, créé sous la gouverne de plusieurs médecins du CHU Sainte-Justine, favorisera l’exploration de nouveaux traitements tels que la modification du génome et l’ingénierie des cellules souches, pour aider les enfants et enrichir les savoirs.

Le couple ne s’est pas contenté de signer un chèque et de se tenir en retrait. Diane Blais et Michel Lanteigne siégeront au comité de gouvernance du projet. Michel voit que les équipes de recherche s’affairent, sous l’effet des encouragements que leur prodiguent le fiscaliste et sa conjointe. Les premiers résultats des avancées financées par leur don pourraient être constatés dans deux ans à peine, en 2025.

La nouvelle ne s’arrête pas là : le bâtiment de soins spécialisés de l’hôpital portera le nom du petit Benoit Lanteigne.

Le couple explique que le don effectué en décembre a pris pour lui la forme d’un magnifique cadeau de Noël. Amis, collègues, parents d’enfants malades ont écrit à Diane et à Michel des mots touchants.

Évidemment, le drame de la perte d’un enfant affecte les parents tout au long de leur existence. Pourtant, la donation a apporté au couple un sentiment renouvelé de bonheur et de sérénité.

Diane et Michel se sont ainsi dotés d’un nouvel objectif à atteindre, porteur de larges impacts, d’une tout autre nature que ceux qu’ils recherchaient dans leurs activités en cabinet comptable.

« Réussir à sauver la vie d’un autre petit Benoit, c’est ce qui viendra donner un sens à notre démarche », de conclure Michel Lanteigne.

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