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Pandémie, quand la raison tombe malade
Articles de fond
Magazine Pivot

Un manque de jugement?

Sous prétexte de faire face à l’imprévu, devions-nous renoncer à tout sens critique? Dans son plus récent livre, Normand Mousseau entend briser certains tabous quant à la gestion de la pandémie.

Pandémie, quand la raison tombe maladePour Normand Mousseau, les modélisations de propagation épidémiologiques sont « de véritables images de Rorschach qui ont permis aux autorités d’y projeter leurs peurs pour trouver un semblant de certitude et de crédibilité ». (Tous droits réservés) 

Dans Pandémie, quand la raison tombe malade (Boréal, 2019), Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal, n’y va pas par quatre chemins : la principale réponse apportée à la crise sanitaire par les autorités – enfermer les gens chez eux à double tour – est une pratique digne du Moyen Âge. 

Bien sûr, la COVID-19 est une menace sérieuse dont les conséquences économiques et humaines sont terribles, mais « la manière dont la pandémie a été gérée au Québec et au Canada, comme dans de trop nombreux pays dans le monde, semble avoir été encouragée par des experts sans imagination, dotés d’une vision réductrice », vision qui, au grand désarroi de l’auteur, « a gagné les autorités avec l’appui des médias ».

Un cercle vicieux

En plus de faire le point sur ce qu’on sait du virus, le biophysicien veut rétablir de nombreuses vérités, notamment que « la désinfection à outrance des mains et des surfaces n’apporte aucune réduction importante des risques de transmission » ou que « le risque d’être contaminé est essentiellement nul quand deux personnes se croisent ou se suivent ». Rien de neuf, mais comment justifier alors l’amnésie scientifique collective qui a frappé le Québec au printemps? Et l’auteur de revenir sur les limites évidentes des modélisations de propagation épidémiologiques. « Générant des projections hypersensibles aux hypothèses, mais facilement explicables, ces modèles sont de véritables images de Rorschach qui ont permis aux autorités d’y projeter leurs peurs pour trouver un semblant de certitude et de crédibilité. »

Les grands oubliés de la crise sont les femmes, les jeunes et les plus démunis.

La faute incomberait entre autres à de nombreux experts, qui, même s’ils excellent dans leur laboratoire et sont de bonne foi, seraient déconnectés du terrain. Brouillés par un « filtre déformant où chaque crise est d’abord analysée en fonction de ses interactions avec leur discipline », ces chercheurs peineraient à prendre du recul.

De plus, « trop d’experts se rangent, sans ajouter les nuances essentielles, derrière les messages officiels, refusant de remettre en question des déclarations à moitié vraies sur la base de l’autorité du messager. Ces affirmations, relativement faciles à démonter, paraissent alors soutenir, par omission, une forme de démagogie d’État, de manipulation par les élites, jetant les bases sur lesquelles se construisent les théories du complot. »

Les médias auraient aussi leur part de responsabilité. « N’ayant pas le temps de contacter cinq ou six experts pour chaque article ou chaque reportage, les journalistes privilégient les spécialistes généralistes qui offrent une réponse en apparence solide à toutes les questions. Par circularité, les experts qui se rangent du côté de la majorité sont crédibles puisqu’ils confirment le discours dominant. » Le débat se centre alors sur quelques enjeux bien délimités, pour ne pas dire binaires, forçant les intervenants à se placer dans le camp des « pour » ou des « contre ». Mais qui veut être contre? « Il n’y a pas de raison de chercher des nuances quand une histoire simpliste permet à tout le monde d’y gagner. »

Des enjeux négligés

Avec un discours aussi monolithique, pas étonnant, selon l’auteur, que les laissés-pour-compte de la pandémie se multiplient. Surreprésentées dans certains secteurs (santé, éducation, soins personnels, commerce…), les femmes en font partie, surtout qu’elles assument souvent, peu importe qu’elles travaillent ou non, « un rôle démesuré dans les ménages quand vient le temps de s’occuper des enfants, des malades et des personnes âgées ».

Le confinement a aussi durement touché les plus démunis, ceux en marge de la société (personnes toxicomanes, alcooliques, sans domicile fixe, réfugiées) ainsi que les plus jeunes, rappelle Mousseau. « Il y a un coût à la réduction des contacts sociaux. La fermeture des écoles, par exemple, augmente les risques directs pour la santé des enfants, incluant la maltraitance, la sous-alimentation, le sous-développement cognitif et, bien sûr, le sous-développement social. » Même quand le gouvernement a rouvert les écoles, il a négligé la région métropolitaine, qui compte pourtant de nombreuses poches de pauvreté et de détresse.

La crise sanitaire supplante tout, alors qu’elle aurait pu servir de point de bascule dans la lutte contre les changements climatiques, par exemple. Mais au nom de l’urgence sanitaire, les politiciens, sous des airs paternalistes, ont refusé cela, même si les derniers mois ont montré que notre société, bien plus que nos appareils d’État, peut s’adapter rapidement, au besoin. 

Au contraire, les mesures imposées par la santé publique ont favorisé massivement le jetable, l’usage unique et la production de déchets. L’automobile n’a jamais été aussi présente, y compris pour la tenue de spectacles dans des ciné-parcs ou des stationnements d’aéroport, présentés comme de nouveaux lieux de diffusion de la culture.

Un triste constat qui symbolise bien la nécessité d’adopter un vrai plan de sortie de crise, qui ne reposerait pas uniquement sur l’arrivée d’un vaccin, exhorte Mousseau. Cette crise n’est pas la dernière que nous vivrons : ne refaisons pas les mêmes erreurs.