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Michael Ferguson

Michael Ferguson : Le legs d’un leader par l’exemple

Le vérificateur général du Canada se faisait le défenseur de l’obligation redditionnelle des auditeurs, appelés à servir l’intérêt public.

Le 2 février 2019, lorsqu’est tombée la nouvelle que le cancer avait emporté Michael Ferguson, Mylène Lapierre, CPA, CA, CFE, était affairée aux préparatifs de la cérémonie de remise des permis d’exercice, au Nouveau-Brunswick, province natale du vérificateur général du Canada, qui nourrissait une farouche indépendance professionnelle. Mme Lapierre, registraire à CPA Nouveau-Brunswick, chargée des dossiers de conformité, était en début de carrière au Bureau du vérificateur général du Canada, en 2011, quand M. Ferguson a été nommé par Stephen Harper.

« Michael a toujours fait preuve de détermination et d’une grande force de caractère. Il a fait l’effort de parfaire son français pour représenter honorablement le Bureau dans les deux langues officielles. En le côtoyant, j’ai eu le privilège de mieux le connaître. Une chose est sûre, il était concentré et résolu, mais aussi conscient du labeur des autres, qu’il savait apprécier à sa juste valeur. Sur les photos publiées dans les médias, il pouvait avoir l’air quelque peu austère, mais dans les faits, c’était un homme affable, d’un abord facile. Il a été un modèle et a inspiré de nombreux CPA. »

Martha Jones Denning, membre du Conseil sur la comptabilité dans le secteur public (CCSP), connaissait M. Ferguson depuis une vingtaine d’années et travaillait à ses côtés au CCSP depuis 2002 : « Mike croyait fermement au principe de la reddition de comptes dans le secteur public, convaincu qu’une rigueur accrue s’impose quand il s’agit des deniers publics. C’était un parfait exemple d’intégrité dans l’exercice du rôle d’auditeur. »

Nul doute sur ce point. Michael Ferguson n’a jamais laissé les considérations politiques s’immiscer dans son travail, à savoir protéger l’intérêt public. Son premier rapport n’a pas été tendre envers le gouvernement, qui n’avait pas donné l’heure juste à la population : les coûts des nouveaux avions de chasse F-35 avaient été largement sous-estimés; il fallait ajouter 10 milliards de dollars. Les rapports subséquents n’ont pas été indulgents non plus sur divers points qui fâchent : coûts de la réinstallation de réfugiés syriens, manque de vigilance à propos de la sécurité des voies ferrées (dans la foulée de la catastrophe de Lac-Mégantic), scandale des dépenses du Sénat, fiasco du système de paye Phoenix, pratiques et niveaux de service de l’ARC, santé et conditions de vie des Autochtones (ce qui a d’ailleurs amené M. Ferguson à caractériser le traitement des communautés autochtones par le fédéral d’échec incompréhensible). Charlie Angus, député néo-démocrate, critique en matière d’affaires autochtones, a bien exprimé les sentiments d’élus de tous les partis en disant de M. Ferguson qu’il était un fervent défenseur de l’obligation redditionnelle.

Carol Bellringer, vérificatrice générale de la Colombie-Britannique, sait qu’il peut s’avérer difficile de faire respecter les principes de la reddition de comptes dans l’arène publique. « Le rapport du vérificateur général ne marque pas la fin du match. On le remet au gouvernement, qui doit ensuite prendre acte des observations et agir. Comme comptables et auditeurs, nous voulons nous appuyer sur des chiffres convaincants, mais il reste problématique de mesurer exactement les incidences. Et il y a toujours le risque qu’une organisation auditée pousse un soupir de soulagement, après votre départ, et n’apporte pas les correctifs nécessaires. C’est l’enjeu : une fois votre travail accompli, comment être un acteur de changement sans verser dans l’ingérence? »

On peut juger frustrant de formuler chaque année des observations et des recommandations de réforme quand les intéressés font la sourde oreille, soulignait M. Ferguson. Cette inertie élargit l’écart par rapport aux attentes chez les élus, qui ne distinguent pas forcément audit des états financiers et audit de performance, soutient Mme Bellringer. « Dans un audit de performance, on creuse davantage, mais il ne faut pas en déduire qu’on va étudier à la loupe les moindres décaissements au sein de l’entité gouvernementale examinée. »

Un autre défi important, crucial pour la valeur de l’audit? La capacité de maintenir son impartialité. « Manifester sa vision des choses et son indépendance est essentiel, pour protéger l’intérêt public, ajoute Mylène Lapierre. Vous devez absolument faire état des faits et de la situation réelle. Parfois, il y a des attentes chez l’organisme faisant l’objet d’un audit, mais le vérificateur fera preuve de fermeté et de résolution, malgré les critiques. Il présentera tous les faits avec impartialité. Il ne faut jamais perdre de vue l’objectif fondamental : protéger l’intérêt public. Michael Ferguson ne l’a jamais oublié et il sera toujours considéré comme un grand défenseur de l’obligation redditionnelle. »

Mme Lapierre est d’avis que le sens des responsabilités et le devoir d’impartialité sont nourris par la formation des CPA, qui met l’accent sur la déontologie, l’intégrité, l’esprit critique et l’indépendance, et par l’exercice de la profession, éléments auxquels s’ajoute l’influence de figures comme Michael Ferguson : « Les nouveaux CPA pourront prendre exemple sur lui et je m’en réjouis. Ils s’inspireront de son leadership, dans un souci d’intégrité et de protection de l’intérêt des Canadiens. »