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L’incidence de la transformation géopolitique sur le secteur pétrogazier est illustrée par la photo de nuit d’une grande ville, surplombée par l’image d’une carte du monde où différents endroits sont reliés par des rayons lumineux.

Gestion des risques et avenir du secteur pétrogazier

La transformation géopolitique actuelle se répercute sur le monde des affaires canadien. Écoutez les réflexions de Robert Johnston, conférencier au Colloque de 2017 pour le secteur pétrogazier, sur l’avenir des politiques internationales et la gestion des risques.

Vous possédez une vaste expérience dans les domaines de l’infrastructure énergétique, des relations entre les représentants du secteur et la société civile, de même que du nationalisme en matière de ressources. Comment cette expérience vous guide-t-elle dans votre travail de directeur général d’Eurasia Group?

J’ai eu la chance de faire mes premières armes dans le secteur de l’énergie à Houston, en négociation de titres et en évaluation des risques associés au développement de projets à l’étranger. C’était une excellente occasion d’appliquer ma formation universitaire en affaires internationales et en politique étrangère dans un contexte commercial, en analysant la situation de pays comme la Russie, l’Indonésie, le Venezuela et le Qatar. À Eurasia Group, notre champ d’action couvre 90 pays grâce à 65 analystes, qui sont aussi pour moi une excellente source de nouvelles informations.

Eurasia Group offre ses avis d’expert sur la gestion des risques. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez des transformations géopolitiques qui touchent actuellement le secteur pétrogazier canadien?

Tous les mois de janvier, Eurasia Group publie ses prévisions concernant les principaux risques géopolitiques de l’année et présente aux investisseurs du monde entier et aux intervenants du marché les tendances politiques et géopolitiques. Dans notre dernier bulletin, nous avons qualifié 2017 d’année de la «récession géopolitique» parce qu’à notre avis, nous vivons dans le contexte de risque politique le plus volatil de l’après-guerre. Et pour la première fois, le risque le plus important dans notre classement cette année correspond à un marché développé : les États-Unis. À notre avis, la politique d’indépendance adoptée par Donald Trump se trouve en rupture avec des décennies d’exceptionnalisme américain. Après les élections, nous avons constaté une transformation radicale de la perception des États-Unis : autrefois considérés comme une superpuissance mondiale, ils sont désormais vus comme l’inconnue de l’équation. L’année tire bientôt à sa fin, et nous sommes arrivés à un tournant géopolitique qui a une influence déterminante sur le secteur pétrogazier canadien.

Mon organisation surveille plusieurs éléments importants pour les producteurs de gaz canadiens. L’offre américaine de gaz naturel liquéfié (GNL) montera en flèche au cours des prochaines années. La compétitivité des nouveaux projets sera toujours tributaire de facteurs liés aux marchés et au contexte politique – pensons à l’annulation du projet d’exportation de GNL lié au gazoduc Pacific Northwest de Petronas, qui a déçu les espoirs liés à cette ressource. Par ailleurs, les États-Unis conserveront des politiques en matière d’énergie qui soutiendront la croissance et les exportations, ce qui accroîtra la pression concurrentielle sur les producteurs canadiens. Cela dit, en ce qui concerne la demande de gaz, c’est la Chine – poussée par la volonté de réduire la pollution ainsi que par la surcapacité de l’industrie du charbon – qui est l’acteur déterminant.

À plus long terme, différentes théories de la réduction de la demande de pétrole suscitent des questions primordiales quant à la transformation potentielle du paysage géopolitique en matière d’énergie. La notion de pic de la demande est de plus en plus reconnue, mais la question du moment où il aura lieu est loin de faire l’unanimité – et un contexte mondial de recul de la demande est une source de perturbations pour les gouvernements dont les recettes dépendent beaucoup de la production et de la vente de pétrole. L’impact le plus grand se fera sentir dans les pays où le risque politique et le coût de l’offre sont tous deux élevés, comme le Nigeria et le Venezuela; pour les producteurs comme le Canada, le Mexique, le Brésil et la Colombie, il s’agira de dommages économiques associés aux investissements perdus. Pour l’instant, diverses prédictions du pic de la demande continueront d’assombrir les perspectives en matière d’investissement dans des projets en amont à cycle long comme les sables bitumineux canadiens et l’exploitation des ressources dans l’Arctique.

À votre avis, les nouvelles politiques énergétiques adoptées aux États-Unis auront-elles une incidence sur celles des autres pays – particulièrement les autres grands émetteurs comme la Chine et l’Inde –, ou le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris demeurera-t-il plutôt une approche isolée?

Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris porte un dur coup aux efforts déployés à l’échelle internationale pour s’attaquer aux changements climatiques, étant donné que ce pays est le deuxième émetteur en importance au monde. Je ne crois pas, cependant, que ce retrait entraîne la fin de l’accord parce que les autres pays et régions, dont l’Union européenne, ont réitéré leur engagement ferme à son égard. De fait, les États-Unis se trouveront de plus en plus isolés et mis à l’écart dans les discussions multilatérales sur le climat.

Le contexte politique relatif au climat n’en est pas au même point qu’au moment des retombées du protocole de Kyoto, principalement en raison de la mobilisation de la Chine et de l’Inde en vue de la réduction des émissions. Les politiques nationales visant la réduction des émissions de carbone dans ces deux pays ainsi que dans d’autres marchés en développement sont en grande partie tributaires des préoccupations liées à la qualité de l’air et à la sécurité énergétique. Aux États-Unis, l’adoption de mesures fédérales relatives aux changements climatiques sera mise en veilleuse pendant la présidence de Donald Trump ce qui ne signifie pas pour autant une volte-face sur la question. En effet, les États, les municipalités et les entreprises continueront, pour des raisons économiques ou politiques, à multiplier leurs efforts pour lutter contre les changements climatiques.

L’approche canadienne en matière de changements climatiques contraste avec celle choisie par le président Trump. Sous le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau, le Canada tente de montrer au reste du monde qu’il est possible de développer ses vastes ressources énergétiques de façon responsable tout en préparant, à plus long terme, son adaptation à une économie à faibles émissions de carbone. Ainsi, nos stratégies de leadership climatique s’harmonisent avec celles visées par le reste de la planète.

L’incidence des changements climatiques devient de plus en plus marquée. Aussi, la demande d’énergies renouvelables et plus propres que le charbon s’intensifiera. Quel avenir voyez-vous pour l’énergie solaire, l’énergie éolienne et le gaz naturel?

Incontestablement, l’énergie solaire et l’énergie éolienne améliorent rapidement la compétitivité de leurs coûts, mais l’ampleur de la menace qu’elles représenteront pour le secteur du gaz naturel dépendra de la région. Aux États-Unis, le gaz naturel à bas prix provenant de bassins de schistes comme celui de Marcellus et celui de l’Utica continuera à dominer le secteur de l’énergie – quoique l’on commence à constater, du fait de certaines politiques d’ordre étatique, une érosion du modèle traditionnel de service public. L’administration Trump est de toute évidence déterminée à encourager les combustibles fossiles, mais nous pensons qu’elle ne touchera pas aux crédits d’impôt fédéraux pour l’énergie éolienne et solaire.

En Asie, la politique industrielle et les préoccupations que suscite la qualité de l’air se traduisent par un appui solide à l’égard des énergies renouvelables, particulièrement en Chine et en Inde. Parallèlement, la demande de gaz naturel fléchit sous le poids des politiques de plus en plus favorables aux énergies renouvelables et de la compétitivité des coûts du charbon. En Asie du Sud-Est, des politiques soutenant les énergies renouvelables se font attendre en général, même si une tendance favorable commence à se dessiner. Dans l’ensemble, cependant, le gaz demeure toujours un meilleur complément aux énergies renouvelables que le charbon.

À l’heure actuelle, de nombreuses sociétés pétrolières et gazières doivent relever un défi de taille : répondre aux demandes des investisseurs tout en adaptant leur planification stratégique à long terme à une économie à faibles émissions de carbone. À la lumière de l’évolution du secteur, comment le Canada peut-il demeurer concurrentiel?

L’activisme des actionnaires en matière de changements climatiques prend de l’importance et, dans un contexte où les politiques fédérales dans de nombreux pays exercent une pression accrue sur les entreprises, cette tendance devrait s’accroître. Parallèlement, les entreprises appuient plus que jamais la prise de mesures mondiales relativement aux changements climatiques; le consensus n’a jamais été aussi large. Au Canada, nous croyons que la certitude des investisseurs à l’égard de l’orientation des politiques en matière de carbone réduira les risques d’investissement dans des secteurs comme celui des sables bitumineux en Alberta. Par conséquent, les sociétés pétrogazières canadiennes doivent démontrer qu’elles sauront demeurer rentables dans un monde où les prix du carbone augmentent alors que ceux du pétrole et du gaz stagnent.

Les prévisions pour l’offre canadienne s’avèrent restreintes tant pour le pétrole que pour le gaz, en raison d’un accès aux marchés limité et de la faiblesse des perspectives d’exportation. Il reste à déterminer, cependant, si le cadre réglementaire canadien à venir, comme celui établi par la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de l’Office national de l’énergie, rendra possible la construction d’infrastructures énergétiques sans que les groupes écologistes et les communautés autochtones s’y opposent. Autres éléments essentiels pour que le Canada demeure concurrentiel : la technologie et l’innovation, qui pourraient changer la donne quant à l’offre de pétrole et de gaz. Les technologies de réduction des émissions de carbone, notamment dans les sables bitumineux, rehausseront les perspectives concurrentielles du Canada et constitueront un élément important dans l’affectation des capitaux.

Nous nous réjouissons à l’avance de la conférence que vous donnerez au Colloque de 2017 pour le secteur pétrogazier. Elle portera sur l’influence de la politique internationale et de l’actualité des marchés de l’énergie. À quoi les participants peuvent-ils s’attendre?

Je suis très enthousiasmé par ce colloque, et reconnaissant d’y avoir été invité. Je parlerai des sujets que nous venons d’aborder, et de mes réflexions à la suite d’un récent voyage en Asie : en juillet dernier, j’ai visité des clients à Beijing, à Séoul, à Tokyo, à Hong Kong et à Singapour. Cette région revêt une importance cruciale pour le secteur pétrogazier canadien.