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Améliorer la conception des nouvelles dispositions législatives fiscales

Le gouvernement passant graduellement à un programme davantage tourné vers l’avenir, le moment est venu d’examiner les processus d’élaboration des dispositions législatives fiscales et d’examiner de meilleures pratiques de gestion des changements en la matière.

En raison de la pandémie, le gouvernement fédéral a dû agir avec célérité pour accélérer les processus législatifs habituels afin de pouvoir déployer d’urgence les mesures de soutien financier dont les particuliers et les entreprises avaient besoin.

Au fur et à mesure que ces besoins immédiats s’atténuent, le gouvernement visera des objectifs plus larges, notamment la mise en œuvre de la série de mesures fiscales énoncées dans la lettre de mandat de la vice-première ministre et ministre des Finances.

À ce stade-ci, nous pensons que le gouvernement doit faire plus que d’observer le statu quo. À notre avis, il doit plutôt songer à adopter de meilleures pratiques de gestion des modifications législatives fiscales. L’examen de l’approche retenue au Royaume-Uni constituerait un bon point de départ.

Dans le présent billet, nous traiterons des sujets suivants :

  • le cadre de consultation en fiscalité du Royaume-Uni;
  • comment bien modifier la législation fiscale dès le départ;
  • la consultation des parties prenantes du début à la fin;
  • les suivis après mise en œuvre des modifications;
  • les leçons tirées de l’application de la TPS/TVH aux fournitures numériques.

Évidemment, la conception et l’adoption d’une nouvelle méthode d’élaboration des politiques fiscales impliquent certains coûts et des perturbations potentielles, et pourraient même freiner les progrès du gouvernement à court terme. Toutefois, à long terme, le système fiscal canadien bénéficiera d’un cadre plus ordonné et axé sur des consultations d’envergure pour l’élaboration et l’adoption de nouvelles mesures législatives fiscales.

Le cadre de consultation en fiscalité du Royaume-Uni

Le cadre de consultation en fiscalité du Royaume-Uni (en anglais seulement), qui a été annoncé en 2011, prévoit cinq étapes à suivre au moment de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques fiscales :

  • Première étape – Établir des objectifs et cerner les options.
  • Deuxième étape – Déterminer quelle est la meilleure option et élaborer un cadre pour la mise en œuvre, y compris un processus détaillé de conception des politiques.
  • Troisième étape – Rédiger les mesures législatives permettant d’apporter la modification proposée.
  • Quatrième étape – Mettre en œuvre la modification et effectuer le suivi.
  • Cinquième étape – Revoir et évaluer la modification.

La tenue de consultations d’envergure est essentielle à ce processus. Selon les auteurs du cadre : « Quand le gouvernement obtient un excellent engagement du public, il peut dégager, mettre de l’avant et tester de nouvelles idées pour améliorer le système fiscal, s’assurer que les modifications sont bien ciblées et que leurs répercussions possibles sont connues. Un meilleur examen de la législation fiscale, faisant intervenir, tôt dans le processus, des consultations sur les modifications législatives envisagées, aboutira à des dispositions adaptées aux besoins. » [traduction]

Comme nous le mentionnons ci-dessous, l’essentiel est de déterminer quand il est utile de mener des consultations et comment les commentaires doivent être recueillis. Cependant, pour chacune des modifications envisagées, nous pensons qu’il faut réfléchir attentivement aux trois questions suivantes :

  1. La modification fiscale est-elle bel et bien nécessaire et, dans l’affirmative, est-elle conçue de manière à atteindre l’objectif de la façon la plus simple, claire et efficiente possible?
  2. Les parties prenantes appropriées ont-elles été suffisamment consultées pour cerner les problèmes potentiels?
  3. A-t-on tenu compte des problèmes de mise en œuvre, pour que les résultats attendus en théorie se réalisent effectivement?

Comment bien modifier la législation fiscale dès le départ

Avant d’entreprendre toute initiative de politique fiscale, celle-ci doit faire l’objet d’un examen systématique pour confirmer qu’il s’agit du meilleur moyen d’atteindre l’objectif à un coût acceptable. Une immense quantité de modifications fiscales sont maintenant à l’étude ou le seront bientôt, et nous ne savons pas si elles seront adéquatement analysées pour déterminer si elles répondent aux principaux objectifs de façon claire, efficiente et efficace, sans complexifier inutilement le système fiscal.

Comme nous l’expliquions dans notre récent mémoire sur la fiscalité, le gouvernement fédéral a la même obligation de reddition de comptes, qu’il s’agisse de dépenses faites au moyen du système fiscal ou de dépenses directes. Dans un rapport du vérificateur général du Canada, on recommandait que les dépenses fiscales soient soumises aux mêmes évaluations systématiques que celles qui sont imposées aux dépenses de programmes directes.

À notre avis, les gouvernements sont plus susceptibles de bien modifier la législation fiscale dès le départ s’ils tiennent compte d’un certain nombre de questions de vérification et de conception. Nous abordons certaines de ces questions ci-dessous.

Définir l’objectif et étudier les options

Pour bien modifier la législation fiscale, la première étape consiste à définir clairement l’objectif de la politique. Par exemple, le but pourrait être l’utilisation accrue de processus et de matériel plus propres qui réduiront la pollution et d’autres impacts environnementaux néfastes.

La prochaine étape consiste à se demander, en gardant l’objectif à l’esprit, si une initiative ou un encouragement fiscal constitue le meilleur moyen d’atteindre le résultat voulu. Par le passé, les décideurs du Canada semblent avoir eu un parti pris à l’égard du recours au système fiscal par rapport aux autres moyens, comme les dépenses directes ou les subventions.

Analyser les options de conception, y compris les questions d’ordre pratique

Si une modification fiscale s’avère la meilleure stratégie, toutes les options de conception possibles doivent faire l’objet d’un examen exhaustif – tant du point de vue conceptuel que du point de vue pratique – pour dégager l’option qui présente les meilleures chances de réussir. Aussi sensée qu’une idée puisse sembler sur le plan théorique, elle a peu de chances de succès s’il est difficile, du point de vue pratique, de la mettre en œuvre.

Assurer l’équilibre entre l’efficacité et la complexité

Dans le cadre de l’analyse, il faut également vérifier si la modification peut être effectuée d’une manière qui assure l’équilibre entre l’efficacité et la complexité. Parfois, il arrive qu’une nouvelle règle fiscale soit conçue pour décourager certains comportements en général ou empêcher les contribuables de profiter indûment d’une modification fiscale avantageuse de plus grande portée. Ces situations impliquent souvent un compromis : si toutes les mesures imaginables sont prises pour assurer l’intégrité d’une règle, celle-ci peut devenir tellement complexe que les contribuables ont de la difficulté à la comprendre et à l’appliquer. Cette situation risque de décourager les contribuables d’observer la règle ou de les mener à l’appliquer incorrectement, ce qui la rendrait inefficace.

Éviter les effets collatéraux

Des règles formulées dans des termes trop généraux peuvent s’appliquer à certains contribuables ou situations malgré l’intention du législateur. Les décideurs en matière de fiscalité doivent être particulièrement à l’affût de ce genre d’effets collatéraux, notamment au moment d’établir des règles qui empêchent certains résultats ou qui alourdissent les obligations d’information fiscale.

Il arrive aussi que les administrations fiscales subissent les incidences inattendues de la portée des règles fiscales. Par exemple, chaque fois qu’une nouvelle règle vient complexifier davantage le système fiscal, l’objectif de simplifier et d’automatiser la production des déclarations fiscales des Canadiens vulnérables est poussé encore plus hors de portée.

Prévenir les gains fortuits et les mesures inopérantes

Lorsqu’il conçoit des incitatifs fiscaux afin d’encourager certains types de comportements ou d’investissements, le gouvernement doit veiller à ne pas offrir aux contribuables de gains fortuits : les contribuables ne doivent pas bénéficier d’économies d’impôt pour un choix qu’ils auraient fait de toute manière.

De la même façon, les incitatifs fiscaux ne doivent être adoptés que s’il est démontré qu’ils favoriseront effectivement les gestes voulus chez les contribuables.

Assurer l’équilibre entre la complexité et les recettes

Il importe aussi de déterminer si le degré de complexité qu’ajouterait pour les contribuables et l’administration fiscale la modification fiscale envisagée en vaut la peine, compte tenu de l’importance des recettes qu’elle permettrait de percevoir. Par exemple, si on exclut les aspects non techniques, la taxe de luxe et la taxe sur les biens immobiliers sous-utilisés proposées par le gouvernement rendront le système fiscal encore plus complexe. Cependant, ces taxes donneraient lieu à des recettes modestes comparativement aux autres impôts fédéraux, ce qui vient remettre en question l’adoption de ces mesures.

La consultation des parties prenantes du début à la fin

Comme nous l’avons noté précédemment, le cadre de consultation en fiscalité du Royaume-Uni met en évidence les avantages de tenir des consultations à diverses étapes de l’élaboration des politiques fiscales, et de porter une attention particulière au calendrier des séries de consultation, ainsi qu’à la forme que pourraient prendre les commentaires demandés.

Au Canada, la période de consultation sur les dispositions législatives fiscales proposées est habituellement définie. Cette approche comporte des avantages, mais il serait préférable de bonifier cette pratique en menant des consultations aux étapes précédentes, comme à celle de la conception. Une fois que les orientations sont fixées et que l’avant-projet de loi est rédigé et publié, il peut être trop tard pour discuter des autres options possibles qui permettraient d’atteindre les mêmes fins.

Par exemple, les propositions législatives du 4 février 2022, qui portent sur les règles en matière de déclaration pour les fiducies, étendent les exigences aux partenariats consistant en fiducies simples. Selon ces propositions, une déclaration T3 devra être produite lorsqu’une personne détient le titre juridique sur un bien au nom d’un bénéficiaire effectif qui traite le bien comme s’il lui appartenait aux fins de l’impôt. Il s’agit là d’un moyen inefficace d’obtenir des renseignements supplémentaires sur la propriété effective alors qu’il existe, à notre avis, de meilleures façons d’y parvenir. Si les parties prenantes avaient été consultées plus tôt dans le processus, d’autres options permettant d’atteindre les objectifs du gouvernement auraient pu être relevées pour examen.

D’après notre expérience, il devient plus difficile de remodeler les modifications fiscales d’envergure après la publication des dispositions législatives, en raison de l’ampleur du travail qui a déjà été effectué. C’est pourquoi il est important d’effectuer une consultation à l’étape de la conception. S’il le faisait, le gouvernement pourrait à tout le moins démontrer qu’il a consulté des gens de l’extérieur et que ceux-ci comprenaient les orientations choisies.

Après l’étape de la conception, des consultations supplémentaires menées afin d’obtenir des commentaires sur les propositions législatives peuvent permettre de détecter des incohérences dans le libellé et des répercussions d’ordre pratique. À cette étape-ci, il est important de prévoir suffisamment de temps. Bien que certaines questions d’ordre pratique découlant des propositions législatives soient évidentes, il faut parfois consacrer plus de temps à dégager les enjeux plus subtils.

Souvent, les contribuables et leurs conseillers examinent les conséquences d’une modification proposée en appliquant cette dernière à des séries de faits réels. Par le passé, nous avons constaté que ces études de scénarios permettent de repérer et de corriger certains problèmes et incohérences dans les mesures fiscales avant leur adoption. Les périodes de consultation doivent prévoir amplement de temps pour la réalisation de cet important travail.

La consultation est aussi utile à l’étape de la mise en œuvre. Elle donne aux contribuables et à leurs conseillers l’occasion de renseigner les gouvernements sur les guides, les formulaires et les autres outils susceptibles de les aider à observer les nouvelles règles et sur la période de préparation dont ils ont besoin avant l’entrée en vigueur des mesures. Au cours du processus d’élaboration de la législation, il est important de choisir une date de mise en œuvre qui prévoit du temps pour la tenue de telles consultations.

Par exemple, initialement, l’entrée en vigueur des modifications proposées permettant à l’Agence du revenu du Canada (ARC) d’envoyer un avis de cotisation par voie électronique à un contribuable qui produit une déclaration de revenus des particuliers T1 pour 2021 sans avoir obtenu son autorisation était prévue dès la période des impôts qui vient. Après que nous et d’autres parties prenantes avons soulevé des préoccupations d’ordre pratique concernant les propositions et le délai très court avant l’entrée en vigueur, l’avant-projet de loi publié le 4 février 2022 précise que ces mesures entreront maintenant en vigueur le 1er janvier 2023. Pour en savoir davantage, lisez notre récent billet de blogue sur la fiscalité.

Il est particulièrement important d’établir une date de mise en œuvre raisonnable, fondée sur les commentaires des parties prenantes, lorsqu’il est question de taxes sur les transactions, étant donné leurs grands volumes, la fréquence de la présentation des renseignements et la confiance dans des systèmes de traitement de données configurés correctement. Si le gouvernement agit trop vite pour modifier la TPS, par exemple, cela pourrait causer de sérieux problèmes dont la solution serait bien plus difficile et coûteuse après l’instauration de la modification.

La consultation peut aussi aider le gouvernement à définir les renseignements que les contribuables doivent déclarer pour se conformer à un changement apporté aux règles. Pour les modifications qui comportent une nouvelle obligation de présentation de renseignements, il y a de fortes chances que les contribuables aient besoin d’un certain temps pour adapter leurs systèmes afin de recueillir cette information. Encore une fois, ceci est essentiel dans le cas de taxes sur les transactions parce que les données relatives à la conformité sont exigées à un moment plus proche dans le temps suivant l’activité commerciale connexe qu’elles ne le sont aux fins de l’impôt sur le revenu.

Les suivis après mise en œuvre des modifications

Selon le cadre de consultation en fiscalité du Royaume-Uni, le suivi réalisé après la mise en œuvre constitue une autre étape importante. Les mesures fiscales doivent être régulièrement passées en revue pour s’assurer qu’elles atteignent leurs objectifs avec efficacité et efficience, et à un coût acceptable.

À notre avis, la réalisation d’un nombre supérieur d’évaluations après mise en œuvre améliorerait le système fiscal du Canada. Par exemple, les modifications visant les sociétés privées adoptées en 2017 étaient très complexes, mais à notre connaissance, le gouvernement n’a pas effectué de suivi pour déterminer s’il serait possible de les améliorer ou de les simplifier. De même, les règles relatives à la déclaration de biens étrangers doivent être passées en revue pour voir si elles pourraient être simplifiées, tout en veillant à ce que le gouvernement continue d’avoir accès aux renseignements fiscaux dont il a besoin.

Les leçons tirées de l’application de la TPS/TVH aux fournitures numériques

La façon dont le gouvernement a présenté les modifications de l’an dernier visant l’application de la TPS/TVH à certaines fournitures numériques vendues aux Canadiens par des entreprises non résidentes met en relief d’importantes leçons à retenir à l’avenir lors de l’élaboration de politiques fiscales.

La modification était censée rendre les règles du jeu plus équitables pour les entreprises résidant au Canada qui offraient le même genre de fournitures numériques que leurs concurrents étrangers, mais qui étaient obligées de percevoir la TPS/TVH.

Bien que la proposition ait pu paraître simple à première vue, dans notre mémoire, nous avons signalé un certain nombre de questions complexes, notamment en ce qui concerne les plateformes numériques, auxquelles il fallait réfléchir davantage et qui exigeaient plus d’information (pour en savoir davantage, lisez notre billet de blogue de février 2021). Nous avons souligné que les entreprises avaient besoin de plus de temps pour se préparer, même après la date d’entrée en vigueur du 1er juillet 2021. L’ARC se précipitait aussi pour créer des systèmes en ligne et des directives d’ici cette date, et le travail se poursuit encore aujourd’hui sur certaines de ces initiatives.

Reconnaissant que le délai était serré, le gouvernement a affirmé qu’il collaborera avec les contribuables touchés pour les aider à respecter leurs obligations pendant une période de transition de 12 mois à compter de la date d’entrée en vigueur des règles.

Les intentions étaient sans doute bonnes, mais l’annonce a semé la confusion, d’autant plus qu’il n’était pas clair qu’on s’attendait à ce que les contribuables demandent cette aide. À notre avis, les contribuables canadiens étaient ainsi placés dans une situation inéquitable, et il aurait été plus utile de simplement reporter la date d’entrée en vigueur des modifications législatives afin de donner aux assujettis plus de temps pour se préparer et s’inscrire. Il semble raisonnable d’accorder aux contribuables et à l’ARC six mois de plus pour se préparer, d’autant plus que la règle a été conçue pour résoudre un problème connu de longue date.

Prochaines étapes

D’après nos discussions avec l’ARC, nous avons bon espoir qu’elle appliquera cette concession équitablement. Nous avons aussi encouragé les fonctionnaires de l’Agence à fournir de plus amples renseignements aux contribuables touchés de sorte qu’ils puissent demander de l’aide en sachant mieux en quoi elle consiste et sous quelle forme elle est offerte.

Néanmoins, la mise en œuvre de ces règles aurait pu se dérouler beaucoup mieux si les contribuables avaient obtenu un délai raisonnable avant l’entrée en vigueur de la modification, ainsi que les processus, les directives et les outils dont ils avaient besoin pour s’y conformer.

De façon plus générale, nous et beaucoup d’autres parties prenantes aux vues similaires sommes prêts et disposés à aider le gouvernement fédéral à remettre le processus législatif sur la bonne voie et à établir un processus amélioré et réfléchi pour l’élaboration et la mise en œuvre de politiques fiscales.

Avertissement

Les opinions et les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l’auteur et ne représentent pas nécessairement ceux de CPA Canada.

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