Passer au contenu principal
Une main gantée ajoute de la sauce à une tranche de poulet sur une boîte de Petri
Articles de fond
Magazine Pivot

De la viande cultivée en laboratoire bientôt en vente dans nos épiceries?

L’innovation d’Upside Food pourrait annoncer l’avènement d’une toute nouvelle façon de s’alimenter pour notre espèce.

Une main gantée ajoute de la sauce à une tranche de poulet sur une boîte de PetriContrairement aux précédents types de similiviande, les viandes cultivées en laboratoire sont censées être bioidentiques à la « vraie » viande. (Illustration Dan P. Parsons)

En novembre 2022, la Food and Drug Administration déclare la viande cultivée en laboratoire sûre pour la consommation humaine. Et l’entreprise californienne Upside Foods obtient le feu vert pour utiliser des cellules de poulets vivants afin de cultiver encore plus de viande dans son laboratoire. Verdict historique? Et comment! Non seulement les États-Unis sont devenus le deuxième pays, après Singapour, à légaliser ce procédé digne de science-fiction, mais la décision présage une nouvelle ère pour l’alimentation humaine.

Si vous imaginez des poitrines de poulet bien formées dans des boîtes de Petri, vous y êtes presque. La viande de laboratoire (aussi appelée viande de culture ou viande cellulaire) est biofabriquée à partir de cellules animales.

« En termes simples, il s’agit de prélever des cellules souches et du sérum d’un animal vivant – la ponction est sans douleur aucune –, puis de reproduire ces cellules en environnement contrôlé », explique Dana McCauley, directrice de l’expérience client au Réseau canadien d’innovation en alimentation (RCIA).

Les cellules se multiplient en se nourrissant d’un amidon obtenu après l’extraction des protéines d’un pois chiche, par exemple. Un procédé appelé « fermentation de précision » leur confère ensuite les qualités recherchées des produits carnés. Qui n’aime pas son steak bien tendre, son burger juteux? Contrairement aux produits de similiviande (vous vous souvenez du burger Impossible?), les viandes de laboratoire sont bio-identiques à la « vraie » viande. Du point de vue tant nutritionnel que moléculaire, il s’agit bien de viande.

« Nous sommes dans un âge d’or de la science alimentaire, affirme Dana McCauley. Le secteur agroalimentaire est à un tournant. Pour nourrir la population mondiale en croissance, il faudra plus de protéines. L’expansion des classes moyennes, en particulier, fait augmenter la demande de viande. Et pour satisfaire ces besoins, nous devrons disposer de nouveaux moyens de produire de la viande, car les superficies cultivables n’augmentent pas. »

L’une des solutions pourrait venir d’Edmonton, où est établie la société de biotechnologie Future Fields. Après avoir d’abord envisagé de produire les premières « croquettes de poulet cultivé » au Canada, celle-ci s’est tournée vers la fabrication de « facteurs de croissance », soit des substances qui favorisent la croissance de cellules animales dans la culture en laboratoire. Future Fields fabrique son facteur de croissance à l’aide de mouches à fruits.

« Les facteurs de croissance et les milieux de croissance représentent jusqu’à 85 % des coûts du produit, explique Matthew Alexander, vice-président, Finances. Nous cherchons à réduire ce coût suffisamment pour que les prix de détail en agriculture cellulaire se rapprochent de ceux des produits classiques. »

Mais les avantages potentiels dépassent largement la question du prix. Cette technologie pourrait en effet participer à la lutte contre les changements climatiques, le secteur de la production de viande étant un des grands émetteurs de gaz à effet de serre. Elle pourrait aussi contribuer à réduire l’insécurité alimentaire dans le monde, fléau que la croissance démographique et la crise climatique exacerbent.

Toutefois, l’arrivée potentielle de viande artificielle sur nos tablettes ne suscite pas que de l’enthousiasme.

Alicia Kennedy, chef et auteure de l’ouvrage à paraître bientôt intitulé No Meat Required: The Cultural History and Culinary Future of Plant-Based Eating, fait un parallèle entre la viande de culture et la voiture électrique. Présentée comme une solution à la crise climatique, cette dernière génère aussi sa part d’émissions, puisque ses batteries nécessitent l’extraction de ressources naturelles. Dans les deux cas, on pourrait donc avoir affaire à des innovations qui n’induisent pas un changement de comportement (manger moins de viande, utiliser les transports en commun). Pour la planète, ce serait, somme toute, pratiquement blanc bonnet et bonnet blanc.

« La question se pose aussi pour la viande artificielle : y gagnerons-nous vraiment? demande Alicia Kennedy. Ou est-ce quelque chose qui peut remplacer une petite partie de la viande produite, ou encore juste la viande de restauration rapide, qui est la pire sur le plan de la qualité, des dommages environnementaux, et du bien-être des animaux et de la main-d’œuvre humaine? » Selon elle, pour réussir à nourrir la planète sans la détruire, il faudrait plutôt repenser tout le modèle, afin d’écarter les comportements qui nous ont menés là où nous sommes.

Dana McCauley reconnaît qu’il y aura un grand travail de vulgarisation à faire au sujet de la viande de laboratoire – tâche qui ne doit pas revenir à des spécialistes du marketing motivés par le profit, mais à Santé Canada et à d’autres acteurs. Et le Canada n’a pas de temps à perdre : des produits de viande de culture pourraient être approuvés pour la vente d’ici cinq ans. Qu’en est-il des craintes que peut soulever le fait de fabriquer de la nourriture en laboratoire, plutôt que de recourir à l’élevage ou aux cultures comme on l’a fait pendant des millénaires? « Les biotechnologies et la biofabrication n’ont rien de vraiment mystérieux », rétorque Dana McCauley : les bioréacteurs utilisés pour la fermentation de précision sont ceux-là mêmes qui produisent le kimchi ou la bière.

Pour reprendre une autre de ses analogies : tout comme le « cheval plus rapide » qu’Henry Ford a pu fabriquer grâce aux découvertes entourant la vulcanisation du caoutchouc et le moteur à combustion, la poitrine de poulet fabriquée en laboratoire sera issue du mariage d’une multitude d’innovations (ADN, génomique, etc.) et de techniques séculaires (comme la fermentation) qu’on aura adaptées.

« Oubliez l’image du savant fou. Nous sommes devant une avancée scientifique et systémique majeure qui ouvre un univers de possibilités. »

Place à linnovation

Découvrez comment des fabricants de collations tiennent compte de la sécheresse pour proposer de nouveaux produits. Voyez aussi comment des CPA qui ont trouvé le moyen d’exercer leurs compétences de manière novatrice et lisez ce que Nicole Barry, CPA et chef des finances du Centre MaRS à Toronto, a à dire sur l’avenir de l’innovation au Canada.