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Articles de fond
Magazine Pivot

Une direction financière à temps partiel, à la demande et au champ d’activités élargi

Gestion de crise. Qualités humaines. Expertise fiscale. Conciliation de responsabilités dans diverses entreprises. Voilà les compétences attendues des directrices et directeurs financiers nouveau genre.

Quand elle a obtenu son titre de CPA, Nicole Ballestrin n’envisageait pas du tout de devenir entrepreneure. Pourtant, après 15 années à travailler dans de grandes entreprises, dont Nortel, EY et McKinsey, elle ne s’y sentait toujours pas à sa place. « J’aspirais à progresser, à automatiser, à améliorer, mais j’étais sans cesse freinée par la politique interne et la bureaucratie. Pour m’épanouir, j’avais besoin d’évoluer dans un milieu innovant et dynamique. »

À 40 ans, elle quitte l’univers familier de la grande entreprise pour la direction financière externalisée, et apporte depuis son expertise à des PME à titre contractuel, à temps partiel. Elle est maintenant à la tête d’Aspire CFO, une équipe de 30 professionnels capable de remplir toutes les fonctions d’un service des finances traditionnel, de la direction financière à la vice-présidence, en passant par la tenue de livres et les contrôles. Composée à 95 % de femmes, Aspire CFO cible les organisations détenues par des femmes et axées sur l’impact. Le marché des professionnels des finances externalisées est voué à l’expansion, croit l’entrepreneure, prévenant toutefois qu’il faut une bonne dose de courage pour y faire carrière.

« Un parcours en direction financière externalisée comporte plus de risques qu’un cheminement traditionnel. S’y engager, c’est dire adieu aux grandes entreprises bien capitalisées, dotées d’une solide infrastructure et de processus établis. Par ailleurs, on fera souvent appel à vos services quand rien ne va plus, et qu’une action décisive s’impose. Pour moi, ça fait partie des beautés du métier, mais il faut aimer relever des défis, et exceller en gestion du changement. Pour réussir dans ce créneau, on doit savoir réorganiser les fonctions financières en un clin d’œil sans céder sous la pression. »

Les PME ne peuvent pas se permettre de payer des centaines de milliers de dollars par année pour un directeur financier à temps plein. Mais par-dessus tout, nombre d’entre elles n’en ont tout bonnement pas besoin. Shauna Frederick, CPA et cofondatrice de la plateforme de littératie financière pour entrepreneures The Finance Cafe, offre ses services de directrice externalisée sous la bannière Frederick OTG. Au départ, son but était d’amener ses clients à pouvoir se passer de ses services, à plus ou moins brève échéance.

« J’aspirais à faire croître chaque entreprise jusqu’au point où elle aurait les moyens d’engager quelqu’un à temps plein. Mais j’ai vite constaté que, d’un client à l’autre, selon les besoins uniques exprimés, ce n’est pas toujours l’angle à adopter. Certains clients n’auront jamais besoin d’un soutien interne à temps plein, et c’est très bien ainsi. »

Selon l’autre cofondatrice du Finance Cafe, Shannon Pestun, conseillère financière et ex-banquière d’affaires, c’est dans le segment des entreprises détenues par des femmes et par des personnes d’horizons divers, en général plus petites et moins bien capitalisées, que les besoins en direction financière externalisée se font le plus criants.

« Les femmes et autres groupes dignes d’équité, comme les entrepreneurs noirs ou autochtones, se heurtent souvent à des obstacles financiers dans leurs démarches d’embauche d’un directeur financier permanent à temps plein. En revanche, faire affaire avec un directeur financier externalisé, lui-même entrepreneur, facilite les choses. » Dans ses fonctions de conseillère financière, Shannon Pestun a constaté de visu les effets du recours à une direction financière externalisée sur des entreprises qui n’auraient pas pu bénéficier de cette expertise autrement. « Au-delà des transactions, un directeur financier externalisé nouera une relation, et cherchera activement à comprendre les besoins et motivations de la personne derrière l’entrepreneur. Celle-ci sera ensuite plus encline à demander conseil. Les chiffres le démontrent, les femmes disent manquer de confiance pour gérer les finances de leur entreprise. Les services de direction financière externalisée comblent un besoin important. »

Shannon Pestun utilise elle-même de tels services pour son cabinet-conseil. « J’aime pouvoir moduler le niveau de service selon mes besoins. » Puisque sa directrice financière externalisée s’occupe de la tenue de livres, elle a plus de temps à consacrer aux tâches génératrices de recettes. Elle la rencontre tous les trimestres pour un examen minutieux de la performance financière du cabinet. « Je lui explique mes objectifs de l’année, puis nous examinons mes marges et évaluons les possibilités ensemble. Il n’est pas rare qu’elle remette en question ma façon de penser et m’apporte le soutien émotif nécessaire à la prise de décisions financières judicieuses. »

Pour beaucoup de propriétaires d’entreprise, c’est l’avantage principal d’externaliser la direction financière : pouvoir s’offrir, pour une fraction du coût habituel, un expert qui comprend à fond leurs activités, prend le temps de connaître leurs aspirations professionnelles et contribue à la prospérité de l’entreprise. Pour les entreprises qui en ont déjà un, le teneur de livre interne peut répondre aux besoins courants en comptabilité, alors que le directeur financier externalisé examinera en détail la stratégie d’affaires et fournira un soutien continu arrimé aux objectifs organisationnels globaux. « Trop d’entrepreneurs considèrent encore leur comptable comme un mal nécessaire en fin d’exercice. Ce faisant, ils se privent d’un expert à consulter périodiquement, par exemple, pour revoir leurs prévisions de trésorerie trimestrielle ou discuter des buts à atteindre au cours de l’année suivante. »

D’autre part, servir une clientèle diversifiée pimentera sans conteste le travail des CPA qui aiment varier les plaisirs. Certains directeurs financiers externalisés choisissent de composer avec des clients d’un seul secteur. D’autres, dont Shauna Frederick, préfèrent éviter de se limiter et travaillent avec un large éventail d’entreprises différentes.

Entrepreneurs en construction, juristes, détaillants, Shauna Frederick tire profit de la mixité des expériences et des points de vue de ses clients. « Je trouve quand même des points communs entre les processus de divers secteurs, dont la planification stratégique, l’établissement de budget ou les indicateurs clés de performance peuvent se ressembler. »

Nicole Ballestrin recherche elle aussi la variété dans le choix des clients avec qui elle collabore. « C’est vraiment enrichissant de travailler dans autant d’entreprises et de situations différentes. C’est très stimulant. » Quand elle recrute des professionnels pour Aspire CFO, elle cherche des personnes qui jugent « ennuyeux » le parcours traditionnel en entreprise. Pour réussir en direction financière externalisée, il faut aimer évoluer dans un environnement dynamique et savoir jongler avec de multiples priorités au quotidien.

Par ailleurs, contrairement à son homologue à temps plein, qui voit l’organisation de l’intérieur tous les jours et finit par en connaître tous les rouages, le directeur financier externalisé doit déployer des efforts volontaires pour découvrir l’entreprise et son fonctionnement. Shauna Frederick recommande de « rencontrer les clients à leurs bureaux au moins une fois par mois. Mieux vaut s’y rendre en personne et écouter les commentaires de toute l’équipe pour dresser un portrait complet de la situation. » De même, vu l’importance de prendre en compte les nuances qui distinguent chaque client et leurs secteurs, un processus rigoureux de prise de notes détaillées est de rigueur.

En outre, ce travail exige des aptitudes exceptionnelles en relations humaines. Selon Nicole Ballestrin, « la véritable valeur ajoutée de la direction financière externalisée dépasse de loin les compétences de base d’un CPA. Il faut savoir captiver son auditoire et exercer une influence. De la première rencontre à la présentation d’une évaluation, on veut persuader le client qu’on propose la meilleure décision qui soit pour son entreprise, puis l’accompagner dans la gestion de son équipe. Les qualités humaines s’avèrent absolument essentielles. »

D’autant plus qu’avant d’envisager le recours à la direction financière externalisée, bien des PME attendent de se trouver en situation de crise financière. Beaucoup de petites entreprises s’en sortent sans problème en retenant les services d’un comptable en fin d’exercice, pour la déclaration de revenus, jusqu’à ce qu’elles gagnent en complexité et perdent le contrôle de leurs finances.

« Les petites entreprises peuvent se complexifier très vite, poursuit Nicole Ballestrin. Et elles attendent parfois trop longtemps avant de demander de l’aide, justement parce que l’expertise interne leur semble trop onéreuse. Ainsi, quand elles finissent par s’adresser à nous, il y a dans bien des cas un grand ménage à faire. » La gestion de crise fait souvent partie des rôles de la direction financière externalisée, et il faut une bonne dose de courage et de ténacité pour renverser la vapeur dans les moments cruciaux. D’un autre côté, ces circonstances défavorables ont le don d’éveiller un désir de changement chez les clients, et soulèvent des difficultés tout autres que celles vécues par Nicole Ballestrin dans les grandes entreprises. « Si vous brillez par votre créativité et votre vivacité, vous serez dans votre élément. Vous pourrez prendre les rênes des finances, recommander un plan et instaurer des changements très rapidement. »

Au départ, on accorde normalement plus de temps à la relation client, surtout si la direction financière est externalisée en période de crise. On peut alors consacrer jusqu’à 40 heures par mois à un seul client pour mener une évaluation complète et mettre les choses en ordre, explique Nicole Ballestrin. Une fois la routine établie – production régulière d’informations financières exactes et processus solides, dont certains sont automatisés –, on peut réduire le temps alloué au client. « Vient ensuite le moment de se concentrer sur la stratégie et la croissance, et l’entreprise peut aller de l’avant, libérée des entraves de sa crise financière. » Il faut habituellement deux ou trois mois pour en arriver là. « C’est rapide, mais le jeu en vaut la chandelle. » Certains directeurs financiers externalisés quittent l’entreprise à ce moment-là, tandis que d’autres, comme Nicole Ballestrin, préfèrent rester indéfiniment, et moduler le soutien offert en fonction des besoins.

Pour Shauna Frederick, la clé de sa réussite en direction financière externalisée réside dans sa formation de CPA, en grande partie parce que les CPA apprennent à analyser les problèmes dans une perspective générale et savent que les solutions sont rarement unidimensionnelles. « On m’a enseigné à poser des questions et à cultiver ma curiosité. À défaut, le risque est grand de ne pas s’attarder au vrai problème du client et de le laisser dans une situation encore plus précaire qu’avant l’intervention. » En outre, étant donné la diversité de sa clientèle, sa formation en recherche est fort utile, car elle lui permet de passer aisément d’un secteur à l’autre et d’adapter ses stratégies en conséquence.

Nicole Ballestrin considère aussi sa formation de CPA comme un atout notable. Pour réussir en direction financière externalisée, il ne suffit pas d’être un gestionnaire de personnel de haut niveau. Les connaissances comptables sont indispensables. « J’ai vu des personnes sans formation en comptabilité essayer de se lancer en direction financière, mais toutes ont échoué. Je ne compte plus les fois où j’ai pris la relève d’anciens banquiers ou banquières d’affaires qui avaient ainsi tenté leur chance. Le plus souvent, on commence par un examen des comptes. On plonge d’emblée dans les chiffres. Sans compétences de base ni coordination avec les auditeurs, toute tentative est vouée à l’échec. » La quasi-totalité des membres de l’équipe Aspire CFO détiennent d’ailleurs le titre de CPA ou l’équivalent local (l’entreprise a des bureaux au Ghana et aux Philippines).

L’externalisation de la direction financière – et des fonctions financières dans leur ensemble – devrait se généraliser à mesure que les propriétaires d’entreprise en découvrent l’existence, pense Nicole Ballestrin. Cependant, prévient-elle, la clé du succès résidera dans le maintien d’une norme de qualité supérieure. C’est précisément la raison pour laquelle elle a choisi de ne pas exploiter Aspire CFO comme une agence, où chaque professionnel aurait le statut d’indépendant. La collaboration, l’encadrement et un certain degré de supervision centralisée forment l’assise de son modèle d’affaires, en plus de sa philosophie visant l’embauche de personnes polyvalentes, qui aspirent à relever des défis.

De toute évidence, les personnes qui font carrière en direction financière externalisée ont en commun une tendance à ne pas supporter l’immobilité. « Bon nombre de mes clients m’ont offert un poste à temps plein, mais j’ai toujours refusé, raconte Shauna Frederick. Honnêtement, j’aurais peur de m’ennuyer. Je suis sûre qu’il existe d’autres comptables qui, comme moi, n’ont pas l’intention de passer leur vie dans la même entreprise à répéter les mêmes tâches jour après jour. Je les invite à envisager une carrière en direction financière externalisée. »

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Légende : Plutôt que de travailler pour une seule organisation, Nicole Ballestrin, CPA et fondatrice de Aspire CFO, apporte son expertise à des PME à titre contractuel, à temps partiel.