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Graphique de la main tendue vers les tranches de pizza
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Avant de redistribuer la richesse, il faut commencer par la créer

David-Alexandre Brassard, économiste en chef à CPA Canada, explique pourquoi la faible croissance de notre pays repose en partie sur notre difficulté à monétiser nos innovations.

Graphique de la main tendue vers les tranches de pizzaL’OCDE prévoit que les prochaines décennies seront marquées par une croissance économique anémique au Canada. (Illustration Dan Parsons)

L’inflation a atteint une croissance inégalée depuis près de 40 ans, ce dont souffrent le plus les ménages les moins fortunés chaque fois qu’ils achètent des biens essentiels. Différentes provinces ont déjà octroyé des aides financières ponctuelles, et je ne serais pas surpris qu’elles le fassent de nouveau. Au niveau fédéral, l’alliance politique conclue entre le Nouveau Parti démocratique et le Parti libéral du Canada prévoit également l’instauration de programmes sociaux d’envergure : des services de garde, une assurance dentaire et même une assurance médicaments. Bref, la redistribution de richesse par des transferts directs ou par l’ajout de services est au cœur des préoccupations politiques.

Cela dit, ces programmes sociaux doivent être financés. En d’autres termes, avant de redistribuer la richesse, il faut commencer par la créer, or les prochaines décennies seront marquées par une croissance économique anémique. L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) prévoit même que le Canada sera dernier pour la croissance du PIB par habitant entre 2020 et 2060, une faible performance anticipée qui est due en partie au vieillissement de la population ainsi qu’à notre difficulté à créer plus de richesse grâce à l’innovation ou à la productivité.

Certains froncent les sourcils à la mention de croissance économique. Ils y associent une croissance des inégalités et des dommages environnementaux, une association que j’ai toujours trouvée simpliste, car de nombreux pays européens sont simultanément riches, égalitaires et connus pour une empreinte environnementale réduite (Danemark, Pays-Bas, Suède, etc.). D’ailleurs, le Canada arrive à bien redistribuer les revenus, surtout si on le compare à son voisin du Sud. Dans les deux pays, les 40 % parmi les moins nantis gagnent de 11 à 12 % des revenus de travail. Cependant, après impôts, la redistribution fait en sorte qu’ils se retrouvent avec 24 % des revenus au Canada alors que ce pourcentage est seulement de 14 % aux États-Unis.

Même si le gouvernement a un plan clair pour « renouveler » le marché du travail (principalement grâce à l’immigration), on ne saurait en dire autant à l’égard de la croissance économique à long terme, qui ne fait pas l’objet d’un « plan directeur » visant à nous sortir de cette situation de faibles innovation et productivité. Multiplier les initiatives à la pièce, aux résultats incertains, ne suffit pas.

Le gouvernement a annoncé dans son dernier budget les créations d’une Agence canadienne d’innovation et d’investissement et du Fonds de croissance du Canada. Soit, mais ces initiatives ne devront pas être associées à des objectifs de création d’emplois comme l’ont été plusieurs programmes gouvernementaux de soutien à l’innovation ou à l’investissement si on veut garantir une croissance économique alors que le bassin de travailleurs diminuera.

L’Agence canadienne d’innovation et d’investissement devra miser sur son accessibilité tout en tissant des liens serrés avec le secteur privé. Elle devra développer une expertise pointue pour cibler les projets potentiellement plus risqués et nécessitant de l’accompagnement. Le but? Lancer des projets qui n’auraient pas vu le jour sans son appui, ce qui posera des défis de financement. En effet, tout bon montage prévoit un partage de risques entre les différents investisseurs (banques, fonds de pension, gouvernements, entreprises et investisseurs privés). Or, certains d’entre eux sont assez frileux, ce qui amène le gouvernement à investir plus qu’il ne devrait le faire dans des projets d’investissement ou d’innovation.

Quant au Fonds de croissance du Canada, il devra avoir les moyens financiers de ses ambitions s’il veut accompagner les entreprises en plein développement. S’il sera tentant d’utiliser le Fonds à toutes les sauces (développement régional, priorité politique, autre projet connexe, etc.), la qualité des projets soumis devra primer sur la quantité dans la sélection. Il en va de sa crédibilité. De plus, le Fonds devra lui aussi travailler main dans la main avec le secteur privé pour créer un effet de levier financier.

De toute évidence, il faut une vision d’ensemble pour s’assurer que l’écosystème de soutien à l’innovation et à la productivité soit complet. Cela implique aussi que la partisanerie politique soit mise de côté. Qu’on tire des apprentissages des précédents programmes. Qu’on expérimente pour trouver de nouvelles solutions au problème de la faiblesse de l’innovation et de la productivité qui, lui, n’est pas nouveau. Ne serait-ce pas le comble, après tout, que les secteurs public et privé s’accusent mutuellement de ne pas en faire assez en matière d’innovation et d’investissement?

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