Passer au contenu principal
Couverture du livre Out of office
Articles de fond
Magazine Pivot

Le retour au bureau signifie-t-il un retour au statu quo?

Dans leur nouveau livre, Charlie Warzel et Anne Helen Petersen affirment que le travail à domicile ressemble davantage à une « vie au travail ».

Couverture du livre Out of officePour les auteurs, le confinement n’a fait qu’abolir une frontière déjà floue entre travail et sphère privée, et revenir en arrière risque d’être difficile. (Tous droits réservés)

Bureau à domicile ou domicile au bureau? Des armées de télétravailleurs finissent par se demander s’ils travaillent à la maison ou s’ils vivent au bureau. Un paradoxe qu’explorent Charlie Warzel et Anne Helen Petersen, auteurs de Out of Office: The Big Problem and Bigger Promise of Working from Home pour qui le télétravail tient tout bonnement d’une vie au bureau où s’entremêlent inextricablement obligations professionnelles, familiales et personnelles.

Certes, l’épisode COVID nous a amenés, au travail et ailleurs, à voir certaines failles et inégalités sociales, et, par conséquent, à penser le changement. Mais pour beaucoup, le confinement n’a fait qu’abolir une frontière déjà floue entre travail et sphère privée, frontière également malmenée par une tendance à la microgestion déployée sans merci pour préserver la hiérarchie en place. Revenir en arrière risque d’être difficile, avancent les auteurs.

Délaissant la vie new-yorkaise pour venir s’installer en 2017 à Missoula, au cœur du Montana, Charlie Warzel et Anne Helen Petersen, couple qui a travaillé pour la plateforme BuzzFeed News, sont des pionniers du télétravail. Une expérience déstabilisante pour Charlie, un extraverti qui adorait bavarder au bureau. Sans la spontanéité de ces moments riches d’idées, tenaillé par la crainte de s’être rendu invisible et d’être oublié par son rédacteur en chef, le journaliste s’est jeté tout entier dans sa page d’écriture et sa messagerie, s’attelant coûte que coûte à rester présent, même à 4 000 km du siège social.

Un piège, une fausse productivité, en somme, qui s’est traduite par des réunions à tout-va, des courriels nocturnes et bien d’autres manifestations encore, caractéristiques de ce vernis d’assiduité et de disponibilité que le monde du travail (et surtout, du télétravail) porte aux nues.

Or, augmenter le temps de travail ne mène absolument pas à une hausse de productivité, comme en témoigne l’histoire aux États-Unis, où les semaines se sont allongées. Au contraire, certaines entreprises qui passent à la semaine des quatre jours voient leur productivité s’envoler. Leur secret? Une réduction draconienne du nombre de réunions, qui, selon le cabinet-conseil MeetingScience, seraient loin de toutes être utiles (8 réunions sur 10 laissent à désirer).

Pour s’éloigner du productivisme aveugle (le type d’empressement que notre journaliste s’est senti contraint de montrer pour attirer l’attention), Microsoft Japon a raccourci sa semaine et plafonné la durée des réunions à une demi-heure (pas plus de cinq participants). La productivité a bondi de 40 %, et le personnel respire mieux. Davantage de plaisir, moins de stress.

C’est sur l’incontournable problématique de la fausse productivité et ses solutions éprouvées (même si peu aisées à mettre en œuvre) que s’amorce l’ouvrage. Sont abordées par la suite des questions à nuancer : culture, technologies et collectivité. Ainsi en est-il de la culture d’entreprise oscillant entre la définition positive qu’en donne l’entité en question (bien souvent, une promesse à la Netflix, qui associe intégrité, excellence, respect, inclusion et esprit d’équipe) et le ressenti du salarié. Car cet esprit de famille que prône directement ou indirectement l’organisation n’est pas anodin : c’est en effet exiger du travailleur qu’il se consacre à l’employeur tout comme il se dévoue à sa famille. Et tentez donc de faire bouger cette culture, une fois instaurée! Seul un choc sociétal pourrait l’ébranler. Un séisme comme celui que la pandémie a déclenché.

Même refrain côté technologies. Censées nous libérer, elles n’ont fait qu’aboutir à une intensification du travail, d’un siècle à l’autre. Et certains employeurs s’inquiètent. Si les travailleurs ouvrent les yeux sur les possibilités du numérique, se pourrait-il qu’ils en tirent parti pour réinventer leur propre vie? Les auteurs estiment que nous laisserons probablement filer cette occasion à saisir, comme nous l’avons fait à plusieurs reprises depuis la Première Guerre mondiale. De fait, année après année, les progrès technologiques n’ont pas toujours été libératoires.

Situation à double tranchant, donc, pour le tant attendu mode de travail dit hybride. Car il n’est pas loin ce scénario où une sous-hiérarchie verrait le jour. D’un côté, on aurait les travailleurs sur place, ambitieux, en pleine lumière, et, de l’autre, les télétravailleurs, dans l’ombre, inquiets à l’idée de déplaire à la hiérarchie, qui redoubleront d’efforts, d’où un surinvestissement. On aboutira alors à un retour inévitable à la case départ.

À l’inverse, saisir la chance, ce serait accéder à une véritable flexibilité, à une culture bienveillante et à des outils numériques au service de l’être humain. Une telle révolution nous permettrait en retour de donner un sens à notre vie, non plus nécessairement par le travail, mais en nous consacrant à nos proches, à nos loisirs, à nos réseaux. Si les auteurs nous aiguillent peu côté solutions pratiques, ils nous livrent un excellent diagnostic des maux de notre temps (et de celui qu’on passe au bureau). Il y a tout un monde au-delà du travail, nous rappellent-ils. À nous de l’explorer.

BONNES FEUILLES

Découvrez la montée fulgurante et la chute fracassante de WeWork ainsi que le parcours en dents-de-scies de Carlos Ghosn. Voyez aussi pourquoi le fondateur et PDG de Salesforce invite à défricher son propre chemin.